Sélectionner une page
INFOLETTRE N°87

 Zéro artificialisation nette : comment le mettre en place en Île-de-France ? / ZAN#6

Oct 29, 2020

On en aura vu tous les aspects : l’artificialisation, la densification, la renaturation, la séquence Éviter-Réduire-Compenser, la sobriété. Le 30 juin, dernière date des six consacrées à l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN), c’est sur les mesures concrètes que L’Institut Paris Région s’est arrêté. Quels outils la région Île-de-France a-t-elle en mains, de quels autres aurait-elle éventuellement besoin ? Une réflexion éclairée par les Hauts-de-France et le canton de Genève, à la fois sur les champs réglementaires et fiscaux. Où l’on fait mine de découvrir que la fiscalité et la régulation du prix du foncier agricole ne favorisent pas vraiment la mise en place du ZAN. De quoi alimenter les débats des désormais hypothétiques élections régionales et du futur nouveau, nouveau, nouveau plan de relance. 

PS : j’approche des 3000 abonné(e)s, merci !

Zéro artificialisation nette : oui, mais comment en Île-de-France ?

Institut Paris Région/ ZAN#6 

(texte maquette disponible ici

© Frédéric Denhez/ L’Institut Paris Region

Tout d’abord, suivre l’artificialisation, aider les collectivités et les bureaux d’études, analyser la légalité des plans d’urbanisme : aller vers le ZAN implique d’emprunter le chemin de la connaissance fine des territoires. C’était l’objet du premier atelier, et l’on y revient, forcément. Pour faire le zéro artificialisation nette, il faut savoir. Savoir où, comment et pourquoi le sol a été utilisé. Avec rigueur et clarté. Or, les bases de données nationales actuellement disponibles ne sont pas vraiment adaptées. Soit leur échelle n’est pas suffisante, comme Corine Land Cover. Soit elles ne donnent pas d’indication fiable quant à l’usage des sols. Pour leur part, les fichiers fonciers retravaillés par le Cerema sont à l’échelle du cadastre, mais la numérisation est encore incomplète en France. Autre biais, ces fichiers excluent le domaine public (voirie, parcs et jardins, cours d’eau etc.) car ils sont constitués par les plans de cadastre. Et bien qu’il discrimine l’usage des sols en 13 postes, l’outil du Cerema confond encore surfaces boisées et surfaces agricoles. D’autres projets voient le jour comme l’outil OCS GE (occupation des sols à grande échelle) de l’IGN qui ambitionne de décrire le territoire national et l’occupation de son sol de façon précise, complète et homogène. Il est composé de 5 composantes géographiques (orthophotographique – BD Ortho, topographique – BD Topo, altimétrique – RGE Alti, parcellaire – BD Parcellaire, adresse – BD Adresse). Il discrimine les zones imperméables, bâties ou non bâties, les matériaux de couverture minéraux ou composites, l’eau, les sols à nu, etc. Avec la BD Forêt et le Registre parcellaire graphique développé initialement pour instruire les aides de la Politique agricole commune, il donne aussi des informations précises sur les types de peuplements forestiers et sur les types de cultures (blé, maïs, lentilles, tournesol, etc.) et de prairies (temporaires ou permanentes, fauchées ou pâturées). L’échelle est excellente, de l’ordre du 1:12500e (soit 1 cm pour 125 m) mais ce n’est pas encore suffisant pour satisfaire l’objectif ZAN. Il faut descendre plus bas encore. Au niveau de la vie quotidienne, du trajet entre la maison et la voiture.

MOS +

C’est ce qu’autorise aujourd’hui le MOS + (Mode d’occupation des sols), développé par l’Institut Paris Région. Régis Dugué, géomaticien-administrateur de données, et Damien Delaville, géographe-urbaniste, le présentent en duo.

« Le MOS existe depuis 1982. Il a permis à la région Île-de-France de suivre l’évolution de l’occupation des sols, l’artificialisation. Renouvelé tous les 4 à 5 ans, le MOS première mouture a été un outil très efficace. » Passé composé, car l’outil a montré ses limites : comme les autres, il était affecté d’un problème d’échelle, car il ne prenait en compte que les routes de plus de 25 m de large. Ce n’était déjà pas si mal, bien d’autres outils ne voyant rien en dessous de la route départementale. Mais ce n’était plus suffisant. « C’est pourquoi on est en train de développer le MOS +. Cette surcouche viendra compléter le Mos classique lors des prochains millésimes, avec une précision de l’ordre du 1/5000e. On a mis au point la méthode durant le confinement en croisant le MOS actuel à d’autres bases comme par exemple la BD-PARCELLAIRE ou les données de l’IGN. On a constitué une couche d’emprise routière (la chaussée, mais aussi les talus, les trottoirs…) », moyennant quoi, sur la cartographie régionale les emprises routières ont doublé de surface par rapport au MOS historique, et les espaces d’habitat ont diminué de surface par rapport aux espaces végétalisés, plus importants que ce que l’on pensait. « On parvient aujourd’hui à séparer le bâtiment du jardin, à faire apparaître l’espace entre les bâtiments et les routes. En croisant toutes les bases, à terme, on pourra arriver à une échelle encore plus fine. » Les bases qui collectent par exemple les surfaces occupées par les parkings collectifs et privatifs, les cours d’école, les terrains de sport. « Un logiciel de reconnaissance d’image, fonctionnant par autoapprentissage (deep learning) va nous aider. La précision que l’on va atteindre permettra de repérer plus d’espaces qui peuvent faire l’objet d’une renaturation. »

Les espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) n’ont pas été oubliés : le MOS + prend en considération les routes et chemins agricoles, les jardins d’agrément aussi. « Cela nous a permis de mettre en évidence la fragmentation de certains espaces à cause des infrastructures, mais aussi de repérer plus d’espaces végétalisés tels que les talus, les jardins pavillonnaires. » 

À tout cela, le MOS + sera complété par une couche d’observation en infrarouge afin de faciliter la localisation des zones végétalisées. . Cette façon de voir le sol permet d’affiner les tendances : « on voit que 30 % de la surface régionale est couverte par des espaces naturels, agricoles et forestiers. Mais que la banalisation est là, par la raréfaction des milieux ouverts tels que les landes, les prairies humides, les prairies et les boisements. » L’outil de l’IGN ne le disait-il pas déjà ? D’autres bases de données de L‘Institut, Ecomos et Ecoline permettent d’aller plus loin dans la description des milieux naturels et dans le repérage des éléments supports de biodiversité des paysages ruraux (chemins, fossés, mouillères, mares, haies, arbres isolés, etc.).

ZAN #6 : « Zéro artificialisation nette » : se doter d'outils franciliens à la mesure de l'enjeu

Les indices de l’Orenaf


Un autre observatoire de l’usage des sols existe depuis 2016, fruit d’une collaboration entre la DRIEA et la Région Ile-de-France, le tout appuyé par la planification régionale : l’Observatoire régional des espaces naturels, agricoles et forestiers (ORENAF). « Aucun outil ne permet de mesurer à lui seul la consommation d’espaces et le changement d’usages, il faut croiser les outils existants. Et puis, il y a nécessité d’acquérir un glossaire commun, un langage commun… » philosophe Éric Morau, chef du département aménagement durable et dynamiques territoriales à la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et l’aménagement d’Île-de-France (DRIEA), et coordinateur de l’Observatoire. Comme l’avait démontré le premier atelier, autour d’une table ronde, pas grand monde ne parle de la même chose à propos du même sujet. L’usage des sols est une notion floue. Elle l’est moins pour l’Observatoire régional du foncier de l’Île-de-France (ORF) – encore un observatoire – qui est une mine de statistiques dont les recoupements délivrent des constats originaux. Ainsi, « 23 % de la surface régionale sont artificialisés, c’est le double du reste de la France, mais par habitant… on est à quatre fois moins ! » C’est comme pour les émissions de carbone, selon qu’on les mesure par territoire ou par habitant. Tout dépend de ce que l’on veut voir. La tendance reste cependant inchangée, baissière, comme disent les économistes : les espaces agricoles, naturels et forestiers étaient avalés par paquet de 2 500 ha chaque année durant la décennie 1990, ils l’étaient deux fois moins dans les années 2000, et le furent sur à peine 590 ha par an entre 2012 et 2017. On l’a vu dans les précédents ateliers, cette baisse franche et nette est due à la fois au renouvellement urbain qui a augmenté (en Île-de-France, un peu plus de la moitié des nouveaux logements et bureaux sont du recyclage de surfaces existantes), et à la mutation des formes urbaines : l’habitat pavillonnaire a décru dans la même proportion que s’est développé l’habitat collectif, de l’ordre de +30 % entre 2012 et 2017.

Les statistiques d’Éric Morau font aussi une géographie. « C’est dans le département de la Seine-et-Marne qu’a priori la perte d’espaces naturels, agricoles et forestiers est la plus importante, c’est même la moitié de la perte régionale. L’Essonne et les Yvelines représentent chacun 18 %, le Val-d’Oise 12 %, et les départements de la Petite couronne, 2 %. Toutefois, si l’on met en rapport la consommation de ces espaces avec leur stock – par exemple, 56 % des ENAF franciliens sont localisés en Seine-et-Marne, on obtient un indice d’intensité de 0,9 pour ce département, 0,95 pour les Yvelines, et 1,2 pour l’Essonne et le Val-d’Oise ! » Autrement dit, c’est dans ces deux derniers départements que la pression sur les espaces agricoles, naturels et forestiers est la plus forte. En descendant encore un peu les barreaux de l’échelle, on se rend même compte que 20 % des communes sont responsables (terme à nuancer quand des projets d’intérêt public s’imposent à elles) de 90 % de l’artificialisation régionale ! Et qu’une centaine est responsable de la moitié du phénomène : presque toutes se trouvent dans la ceinture verte qui entoure Paris, celle qui, entre 10 et 30 km du cœur de la capitale, concentre tous les enjeux du zéro artificialisation nette. « C’est aux franges de cette zone, surtout, que la consommation d’espaces est la plus élevée, du côté de Sénart, de Marne-la-Vallée, du corridor A1 – N2 au niveau de Roissy, de la vallée de l’Oise à sa confluence avec la Seine et au niveau du plateau de Saclay. »

De quel étalement urbain parle-t-on ?

Éric Morau nous montre une carte de répartition des communes de la région Île-de-France qui identifie chacune selon son degré de responsabilité. Eh bien, dans 47 territoires, l’Orenaf constate que la croissance de la population est supérieure à celle de l’artificialisation, ce qui veut dire qu’ils ne s’étalent pas ; à l’inverse, 4 territoires seulement, soit 7 % de la consommation régionale d’espace, continuent de se répandre. Six territoires sont dans une situation pire encore, car on y enregistre à la fois une baisse de la population et une augmentation de l’artificialisation – pour 5 % de la consommation régionale d’espaces. « En résumé, il faut comprendre que ce n’est pas parce qu’il y a consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers qu’il y a étalement urbain ! »  D’ailleurs, qu’est-ce que l’étalement ? En général on dit qu’il apparaît lorsque la superficie d’une ville augmente alors que la densité de population diminue. Mais comment le mesure-t-on ? Est-ce un ratio par habitant ou bien une simple mesure de l’emprise au sol de l’artificialisation ? Selon l’Agence Européenne de l’Environnement, l’étalement urbain survient lorsque le taux de changement d’occupation des terres en faveur de l’urbanisation excède le taux de croissance de la population. Mais quelle population ? Les ménages ? Les actifs ? Quelle urbanisation ? Au profit de l’habitation, des entreprises, de la voirie ? En clair, chacun peut voir l’étalement urbain à sa porte, et la mesurer selon les indicateurs qu’il choisit : mesurer l’étalement urbain dépend de la vision préalable qu’on en a.

Mauvaise nouvelle maintenant, cette fois-ci délivrée par un indice calculé selon la raison économique de l’artificialisation : dans un tiers des territoires de la région Île-de-France, les surfaces artificialisées pour un usage économique (ZAE par exemple) ont augmenté alors que les emplois ont reculé.  Enfin, si l’on met en parallèle taux d’artificialisation et vacance des logements, l’Orenaf constate que… 95 % des intercommunalités ont consommé des espaces alors que leur taux de vacance a progressé.

Sols réglementés  à Genève

La France adorant se détester trouve toujours des exemples à suivre ailleurs. En matière de sols, elle se donne souvent la Suisse en modèle. Le Canton de Genève en particulier.           Sébastien Gassmann est l’adjoint scientifique du secteur sols et sous-sols à l’Office cantonal de l’environnement du canton : « On a une loi sur l’aménagement du territoire qui permet de protéger les sols de façon quantitative, et une ordonnance sur les atteintes portées au sol, qui est issue de la loi sur la protection de l’environnement, qui les protège au niveau qualitatif. » Par ailleurs, il existe des Plans directeurs fédéraux puis cantonaux, qui dessinent une vision sur 25 ans et imposent de construire à l’intérieur des villes, en hauteur, de vérifier que les constructions sur terrains agricoles correspondent bien à un usage agricole et qu’à l’échelle des quartiers, 40 % de la surface urbanisée soient maintenus en sols ouverts et profonds.

Le canton en fait rêver certains et certaines avec sa surface d’assolement. « C’est un outil fédéral, qui oblige chaque canton à définir un quota de surface agricole à conserver. Il existe depuis 1985, le but est moins de protéger les sols en soi que de pouvoir, en cas de crise grave, continuer à produire de quoi alimenter la population. » : pouvoir conserver son autonomie par rapport à l’Europe en retournant si nécessaire ces surfaces pour faire de la grande culture. 45 000 ha sont ainsi strictement protégés de toute urbanisation à l’échelle de la fédération. En Suisse, petit pays, chaque mètre carré de sol est utilisé, beaucoup sont inconstructibles. La Suisse n’a jamais vécu la guerre, ni l’occupation, mais elle préserve son avenir alimentaire, au cas où.

« On a un autre outil, les surfaces de compensation écologique. Les jachères par exemple. Pendant huit ans minimum, on ne peut pas les toucher. Ensuite, dans le cadre de paiements directs fédéraux, les agriculteurs ne peuvent en faire quelque chose que si cela rend des services à la société civile. Une exploitation doit par ailleurs laisser un certain pourcentage de ses terres en promotion de la biodiversité, comme les bandes sans traitements qui ne peuvent représenter moins de 7 % de la surface totale. » Tout cela permet de limiter les atteintes au sol, et donc d’améliorer la qualité des sols. Mais revenons-en au cœur du système, la surface d’assolement. « Dans le Canton de Genève, il y a 10 000 ha de surface agricole utile, dont 8 400 sont protégés de la sorte. Ce qui ne l’est pas, 1 600 ha, est protégé d’une autre façon, car ce sont des vignes. Lesquelles ne peuvent être considérées comme surface d’assolement car leurs sols sont pollués au cuivre, ils ne rentrent donc pas dans les critères d’assolement. » Après avoir fait le calcul, Sébastien Gassman aboutit à un chiffre : le canton ne dispose que de cent hectares pour ses projets d’urbanisation. Sauf qu’en réalité, la Suisse continue d’urbaniser… en France. Entre Annemasse, Annecy et la capitale fédérale, on construit beaucoup de notre côté de la frontière, pour des citoyens Suisses attirés par un foncier bien moins onéreux que dans le canton où ils travaillent. La surface d’assolement a eu comme conséquence une externalisation de l’urbanisation. « C’est pour limiter cela que nous avons créé l’agglomération du Grand Genève avec les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie ainsi que les cantons de Vaux et de Genève. »

Un besoin de souplesse dans la fermeté

En France, la complexité du code de l’urbanisme comme le flou cartographique permettent toutes les interprétations. Robin Chalot, créateur du bureau d’études Lichen, écologue et urbaniste, encadrant à l’École d’urbanisme de Paris de Marne-la-Vallée est un homme de terrain. Il aide des mairies à élaborer leurs documents d’urbanisme. « Il y a toujours un manque d’outils précis qui apporteraient des éléments détaillés et feraient gagner du temps à tout le monde. Quand les données ne sont pas là, il faut aller les chercher, ce qui fait perdre du temps, et de l’argent. Toutefois, ces outils plus précis soulèvent une certaine inquiétude : si un jour ils sont traduits dans le droit, cela modifiera-t-il les PLU dans la mesure où leurs diagnostics initiaux ne seront plus exacts ? » M. Chalot constate chaque jour ce qui a été évoqué lors des précédents ateliers : la complexité des textes réglementaires relatifs à l’urbanisme. « Ils nécessitent beaucoup de compétences, que les élus n’ont pas tous, c’est notre rôle de consultant que de les aider à s’y retrouver. Et de les aider à voir clair dans des documents d’urbanisme qui datent parfois de plusieurs années, et qui peuvent afficher des ouvertures à l’urbanisation très importante.. Quand je dis à un maire que les 30 ha qu’il pouvait urbaniser ne seront plus que trois, parce que la loi a changé… ce n’est pas facile à faire comprendre. »  Des cas rares, car les restrictions n’arrivent pas subitement, mais qui en disent long sur la solitude des maires face à la somme des responsabilités qui ne cessent de s’accumuler sur leurs épaules, dont celles de rester dans les clous de lois et règlements qu’en tout domaine ils sont censés connaître.

En l’occurrence, la précision d’un texte s’avère un piège. La rigidité dans le temps des documents d’urbanisme empêche de les adapter à l’évolution, parfois rapide, du contexte local. Une grosse entreprise qui ferme ou un centre commercial nouveau qui vide le centre-ville n’est jamais inscrite dans un PLU. « Ce manque d’agilité est préjudiciable. Un PLU ou un Scot reste en vie pour 5 à 10 ans. Or, il rend impossible tout ce qui n’avait pas été anticipé, ce qui en fait un facteur d’immobilisme. Par ailleurs, le fait de savoir qu’une fois que le document est passé, on en a pour cinq à dix ans, fait que dans sa construction même on passe du temps à régler des microdétails pour que ça marche. » On prétend tout prévoir, et donc, on ne prévoit rien. Et l’on attend la révision du document d’urbanisme afin de s’adapter, avec beaucoup – trop – de retard. « Les documents d’urbanisme devraient permettre de faire des expériences, afin d’évoluer avec le contexte local. Or, en France, on n’ose pas trop expérimenter car on ne sait pas si l’on pourra revenir en arrière, c’est dommage. » Un exemple : plutôt que d’interdire de façon ferme et définitive toute activité relevant des exploitations agricoles dans une zone urbaine, pourquoi ne pas l’autoriser tant qu’elle reste compatible avec le milieu urbain, avec les règles de voisinage ? Ainsi un PLU pourrait laisser une place à l’agriculture urbaine, à la permaculture, au maraîchage qui n’était pas du tout prévu au départ de son élaboration. Tout est question de formulation, afin de ne pas insulter l’avenir.

Il faut de la souplesse, dans la fermeté. «  il faudrait renforcer les Sraddet et les Scot qui devraient être plus fermes de façon à ce que les PLU n’aient plus le choix. Mais il faut trouver un consensus» Du dialogue, de la compréhension. Il y a rarement de la malveillance, une volonté manifeste de détruire la nature, ni une méconnaissance abyssale des enjeux chez les communes qui imperméabilisent plus que de raison leurs sols, mais une faible capacité à rester dans les clous de la réglementation et à écrire. « Et souvent, des communes ne peuvent pas faire autrement car leur souci principal est de récupérer des taxes… » Aujourd’hui, la survie d’une collectivité repose sur de nouveaux habitants et de nouvelles entreprises qui lui amènent des ressources fiscales. Pour cela, il faut des pavillons et des zones d’activités. Les maires ont peur de faire fuir les entreprises en élaborant des documents d’urbanisme trop restrictifs, et de provoquer l’exil des entreprises déjà installées qui se verraient empêchées de s’étendre.

La nature est taxée

Président de GS Conseil, enseignant à AgroParisTech, membre du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), Guillaume Sainteny est d’accord avec ce constat fiscal. Le tableau qu’il dresse des taxes et impôts pesant sur le foncier en France est déprimant. « Les taxes comme la taxe sur les surfaces commerciales (tascom) et la taxe d’aménagement ne sont pas adaptées au problème dont on parle. La tascom est proprement destinée à abonder le budget des communes, cela les pousse à avoir des zones commerciales : je pense qu’il faudrait la remonter aux régions, et évidemment la compenser par une autre recette pour les communes. Dans son calcul, elle pourrait être diminuée pour les commerces de centre-ville et doublée en périphérie. » Quant à la taxe d’aménagement, elle a bien été réformée, mais tout le monde semble l’avoir oubliée : « On peut avoir une sectorisation, qui autorise à faire passer son taux de 1 à 5 % jusqu’à 20 % dans certaines zones, cela permet de densifier davantage ici et là, mais très peu de communes l’ont fait, même en Île-de-France. » Constat identique au sujet du versement pour sous-densité (VSD). Introduit par la loi de 2010, entré en vigueur en 2012, le VSD remplace le versement pour dépassement du plafond légal de densité (VDPLD). Il permet aux communes d’introduire dans ses textes un seuil minimal de densité par secteur (SMD). Imposé à un promoteur qui a bâti moins que ce qui lui avait été autorisé, le versement pour sous-densité est lui aussi très peu utilisé.

« C’est dommage, car une simulation pour la région Île-de-France a montré que si le VSD était systématiquement imposé, ça ne diminuerait pas l’activité du BTP, cela réduirait le transport automobile et la distance moyenne aux transports en commun, il y aurait une baisse légère des émissions de CO2, et des recettes fiscales plus importantes pour les communes ! »

Cela dit, Guillaume Sainteny attire l’attention sur un problème rarement évoqué, le prix du foncier agricole. On le sait, les terres de France sont beaucoup moins chères que les autres. À 6 000 euros l’hectare libre et 4 500 euros l’occupé, notre pays est cinq à vingt fois meilleur marché que ses voisins. Le droit de fermage est au même bas niveau. Avec 130 à 200 euros l’hectare, il est très inférieur à ce que règlent les fermiers européens (250 euros en moyenne), hollandais (900 euros) ou liguriens (1 100 euros !). Sans parler de la Suisse, huit à neuf fois plus onéreuse selon les cantons. « Cela signifie qu’on peut trouver en Suisse une rentabilité dans le foncier non bâti ! Alors qu’en France, non seulement il ne rapporte pas grand-chose pour le propriétaire, en plus, il est très taxé : sur 100 euros de loyer, 20 à 30 partent en taxe sur le foncier non bâti, ensuite on a un taux d’imposition de 31 à 75 % sur ce qui reste, plus les faux frais de l’amortissement des droits de mutation (8 %, les plus élevés d’Europe) : en comptant tout, le foncier non bâti dégage une rentabilité annuelle nulle ou négative en euro constant. » Ce n’est pas fini, car sur ces loyers, qui sont, selon Guillaume Sainteny, divisés de fait par deux par la réglementation comme si l’on vivait encore en 1945 quand le droit de fermage a été introduit dans la loi, alors que ces loyers sont taxés comme s’ils ne l’étaient pas (cela vaut 100, mais vous, propriétaire, devez louer à 50 mais vous serez imposé sur 100), s’applique la CSG, qui est passée depuis sa création en 1991 de 1 à 17,2 %.

Pour couronner le tout, le foncier agricole est un tiers moins cher, en euro constant, que dans les années 1970 et 1980. On voudrait inciter les propriétaires à vendre à un promoteur qu’on ne s’y prendrait pas autrement, tout en leur reprochant de le faire, lorsque les chiffres des belles bascules financières – qui les enrichiraient – circulent dans les médias. « En réalité, c’est une sorte de rattrapage par rapport à notre système de prix réglementé des terres agricoles, qui maintient les prix beaucoup trop bas. La culbute financière permet aux agriculteurs de rattraper 20 ans de pertes. » Les propriétaires qui vendent récupèrent une partie de l’argent que les taxes leur ont pris en les imposant beaucoup trop sur des hectares aux tarifs artificiellement tirés bien trop vers le bas. La terre ne vaut finalement pas grand-chose, parce qu’elle ne rapporte en réalité presque rien à celles et ceux qui la travaillent, et beaucoup à l’État. « En septembre 2019, un rapport sur la logistique a été remis au premier ministre [Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable]. Il montre que la France a un avantage compétitif indéniable, celui d’un foncier disponible et peu onéreux permettant la construction de nouveaux entrepôts… » Profiter d’un problème pour ne pas le régler, couvrir d’entrepôts la France agricole pour faire circuler plus de camions, c’est une ambition.

Que faire ? Supprimer les droits de fermage réglementés, ou bien les taxer sur la moitié de leurs montants ? C’est presque une question prioritaire de constitutionnalité, d’inégalité devant l’impôt, selon M. Sainteny. Libérer le prix de la terre agricole de façon à ce que ses propriétaires soient moins poussés à la vendre pour au moins se faire une retraite correcte ? Sans doute. Le constat que fait Guillaume Sainteny est terrible : à revenus et patrimoines identiques, investir dans une prairie est la certitude de se voir taxé au moins deux fois plus que d’acheter des actions d’entreprises. « C’est une réalité, on est plus imposé si l’on possède des terres classées en Natura 2000 que si l’on a des parts d’entreprises polluantes ! L’existence de la nature est taxée, alors qu’on ne rémunère pas ses externalités positives… »

Contractualiser avec les collectivités

Il y a fort à faire à Bercy. Guillaume Sainteny suggère aussi de se pencher sur les raisons de la vacance et de la lenteur de la rénovation énergétique des logements : taxes et impôts réduisent la rentabilité locative à pas grand-chose, tandis que le coût des travaux de rénovation ne peut être facilement répercuté sur le loyer. En attendant que cela change, un jour, peut-être, les régions agissent. Elles dressent des cartographies, conseillent et aident les collectivités dans l’élaboration de leurs documents de planification. « Le Sraddet a une portée prescriptive depuis la loi NOTRe, mais il n’est pas comme le Sdrif de la région Île-de-France : il n’est pas un document d’urbanisme, et la région n’a pas les compétences légales dans de nombreuses dimensions qui influencent le foncier comme le logement et la logistique, » déplore Sébastien Alavoine, directeur de l’agence Hauts-de-France 2020-2040, instance de réflexion et de débat de la région des Hauts-de-France. Riche de plus 10% des communes françaises (3789 mairies !), très urbanisée autour de Lille, Valenciennes et dans l’ex-bassin minier et sidérurgique, toujours fragilisée par les déclins industriels, très périurbanisée, aussi, avec une population qui a massivement quitté la ville pour la campagne, la région des Hauts-de-France veut à la fois réduire son empreinte foncière tout en développant son économie. Quadrature du cercle ? « On tend vers le ZAN, avec pour objectif une division de l’artificialisation par trois d’ici 2030, par quatre en 2040, par six en 2050, et zéro, au-delà  2050. On y va progressivement car notre parti pris est de développer l’économie, sauf pour l’extension des zones commerciales. »

La région veut un développement économique qualitatif, autour de grands projets tels que le Canal Seine-Nord, le réseau express Grand Lille (une liaison ferroviaire rapide entre la métropole et l’ancien bassin minier), le barreau ferroviaire Picardie Roissy (liaison rapide entre Amiens et l’aéroport), et l’augmentation de l’offre de stationnement pour les routiers nécessitée par le Brexit. Elle veut optimiser l’implantation des surfaces logistiques, déjà nombreuses, souhaite une gestion intégrée du trait de côte, produire du logement, faire du renouvellement urbain et rééquilibrer l’offre commerciale en faveur des centres-villes. Tout en préservant, dit-elle, la biodiversité. En résumé, le ZAN picard concernera avant tout l’habitat qui, il est vrai, a démontré durant la période 2009-2017 qu’il était le plus consommateur d’espaces avec 7800 hectares artificialisés sur un total de 12800 ha. La Région a défini pour ces beaux objectifs des espaces à enjeux et constitue des espaces de dialogue, à l’échelle d’inter-scots ou de plusieurs EPCI. Originaux, ces espaces de dialogue sont au nombre de neuf. Ils recouvrent chacun plusieurs espaces métropolitains ou des EPCI, mais ne sont pas une énième échelle institutionnelle : comme leur nom l’indique, ils sont des surfaces d’échange entre la région, les départements et les territoires, où s’élaboreront des accords-cadres dans la mise en œuvre locale du Sraddet.

Malgré cette innovation, il semblerait toutefois que la compétence urbanisme lui manque. « La traduction territoriale de la stratégie définie dans le Sraddet n’est pas facile à établir. À quelle échelle agir ! ? » Ou plutôt, comment articuler les échelles entre elles ? Pour Guillaume Sainteny, la révolution que constituerait le transfert de la compétence des permis de construire des mains du maire à celles de la région n’est pas nécessaire : « La région peut contractualiser avec les territoires, elle n’a donc pas besoin d’une planification. La région peut aider les communes qui font attention. » La préfecture resterait le bras armé de l’Etat, la région, celui qui aide et conseil. Bad cop, good cop, voilà une répartition des tâches qui éviterait une fédéralisation de la République. Mais ne changerait pas grand-chose à la complexité des textes réglementaires, ni à faible valeur conférée aux sols, en France. Pour corriger cela, c’est une capacité d’interprétation et d’expérimentation qu’il s’agirait d’autoriser aux collectivités, et une réforme fiscale d’ampleur qu’il ne serait pas inutile d’engager.