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INFOLETTRE N°70

Y’aura-t-il de la biodiversité dans le Grand Paris ?

Avr 8, 2019

La Nature est-elle compatible avec la ville ? Le 23 novembre dernier, le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis s’est posé la question. Comment aménager un territoire en faisant attention à la biodiversité ? Est-il possible, soyons fou, de l’augmenter ? Questions obligatoires pour tout aménageur à mesure que l’écologie infuse les esprits et que les réglementations se font plus exigeantes. Questions lancinantes en Île-de-France avec la multiplication de ces « grands travaux » qui, quand on en mesure le volume impressionnant de déblais, inquiètent. L’extrême densité de population dans la région hypertrophiée va-t-elle encore augmenter aux dépens de ce qu’il reste de nature ? Choses vues à Vaujours, où l’on a entendu les mots cours d’école, toitures végétalisées, expérimentation, herbes folles et aéroports. 

Plus personne ne peut faire semblant de l’ignorer : après le changement climatique, la biodiversité est en train de passer dans le langage commun. Lorsqu’on fait quelque chose, il faut aujourd’hui penser à elle. La société n’accepte plus que l’on touche à quoi que ce soit dès lors qu’on lui présente un projet d’aménagement. Elle veut être consultée, au début, pas à la fin, elle veut bien des parkings, des routes et des maisons, mais les plus transparents possible vis-à-vis de la nature. On ne coupe plus d’arbre ! De l’emploi, de l’économie, mais aussi les mêmes paysages. Que les territoires soient préservés ! Une injonction qui rime avec contradiction dans la mesure où nous disons collectivement abhorrer les entrées de ville défigurées par les ZAC tout en y faisant nos courses, nous déclarons aux sondeurs notre regret d’une nature perdue tout en avouant ne pas la connaître, nous voulons des villes en vert mais surtout des villes avec des espaces verts.

Heureusement, le législateur entend ce que nous avons du mal à formuler. Il sait mettre en mots l’air du temps. Alors a-t-il renforcé les lois de façon à ce que la nature ne soit plus la dernière case à cocher dans la réflexion préalable à un projet de travaux publics. À écouter les élus et les entreprises du BTP, c’est même devenu compliqué de simplement faire des fondations, ne serait-ce, d’ailleurs, que de bien comprendre les différentes réglementations afin de rester dans les clous de la légalité. Cahin-caha, les choses avancent pourtant, car conjuguer biodiversité et aménagements ramène un peu de beauté dans des agglomérations largement défigurées par le laisser-faire des années 1970 et 1980, puis la libéralisation de l’installation des grandes surfaces en 2008 (grâce à la loi de modernisation de l’économie, inspirée notamment par… Emmanuel Macron).

De la beauté, et du lien social. Mais comment le faire ? Comment conjuguer ville et nature alors que la France est de plus en plus urbaine, que les villes continuent de s’étaler sur des milieux agricoles qui ont été largement vidés de leur biodiversité par la façon de produire issue des Trente Glorieuses ? Voilà de quoi l’on a causé durant une journée grise de novembre à Vaujours, commune de la Seine-Saint-Denis. Une « rencontre technique », neuvième du nom, à destination des techniciens et des élus d’Île-de-France, du département en particulier, organisée par le Conseil départemental, en partenariat avec le Lycée du paysage et de l’environnement Fénelon, l’Union Nationale des Entrepreneurs du Paysage (UNEP), la Fédération Française du Paysage (FFP) et le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de la Seine-Saint-Denis (CAUE 93). Cette rencontre s’est tenue au Lycée Fénelon, installé au pied de la rue de Coubron qui conduit, au bout d’une longue côte, à une forêt menacée par un projet de carrière. Une sorte de mise en abîme du sujet de la journée.

Quelle valeur donnons-nous à la nature ?

Commençons par l’essentiel. De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la biodiversité dans les aménagements ? De temps… « La valeur qu’on donne à un milieu, à la nature, à la biodiversité, est liée quoi qu’il en soit à celle de la réglementation. La loi de 1976 est là, son application est de plus en plus présente. » Mais cela ne suffira pas, selon Florent Yvert, directeur de Biodiversita, bureau d’études en écologie appliquée, car « la loi ne crée pas une culture de la nature. On n’a pas encore franchi le cap d’une valeur intrinsèque que chacun de nous donnerait à la nature. Il faut être lucide : la biodiversité est encore considérée comme une contrainte réglementaire, un point c’est tout, et on compte sur nous, les écologues, pour trouver des solutions. » Le constat est dur. Comme beaucoup de spécialistes du sujet, M. Yvert se sent à la fois moins seul dans une société qui s’acculture doucement en matière de biodiversité, dans un monde qui accorde toujours moins de crédits pour s’assurer que la biodiversité sera correctement préservée par les projets d’aménagements ou de rénovation. La réglementation a démultiplié le besoin d’études et de rapports, toujours plus mal payés. Le reflet de nos contradictions : oui nous voulons de la biodiversité en ville, mais comme elle n’a pas plus de valeur que cela, nous ne voulons pas dépenser plus que cela pour la connaître et la préserver.

Dommage, car les villes sont riches en biodiversité, notamment en faune ailée. Délégué régional de la LPO, Frédéric Malher en a fait la preuve : « Il y a tant d’endroits pour nicher dans une ville. Pour un oiseau, en volume c’est un peu comme une forêt. Voilà pourquoi on y trouve tant de rapaces. » Sans parler des pigeons. La ville semble bruisser de battements d’ailes alors qu’on n’en entend plus guère à la campagne. Déjà qu’on ne voit plus son pare-brise se salir d’insectes éclatés, on n’entend plus beaucoup pépier dans les fourrés. Parce qu’il n’y en a plus beaucoup, des fourrés. « En Île-de-France, un oiseau sur trois a disparu entre 2004 et 2017, les plus touchés sont ceux qui dépendent des milieux agricoles, avec un bon -45 %. Les chasseurs n’attrapent plus de perdrix, et l’on n’entend plus l’alouette des champs, » un des rares oiseaux à chanter continûment en vol. Qui sait encore son gazouillis complexe ? « Attention, on parle de chute des effectifs, pas des espèces. L’alouette n’a pas disparu, c’est sa population qui a fondu. À cause de l’intensification des pratiques agricoles. Les parcelles augmentent de taille, les chemins disparaissent, les herbes folles qui les bordent aussi, les jachères se font plus rares etc. » Cela explique un peu… la baisse du moineau domestique en ville, qui, certes, aime la protection et la chaleur de la cité, mais a besoin d’insectes pour vivre, contrairement au pigeon, qui se fait à tout.

« Depuis quelques années, on voit les conséquences de la rénovation énergétique des bâtiments : de moins en moins de trous dans les murs, de rebords de fenêtres, de greniers ouverts, partout où les oiseaux nichaient, mais aussi les chauves-souris. » C’est au moins la preuve que la transition énergétique est en marche. « Il ne faudrait pas qu’elle aille à l’encontre de la biodiversité ! La rénovation par l’extérieur, les nouvelles constructions toutes lisses, c’est bien, sauf pour la faune. » Déjà que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ont un impact sur oiseaux et chiroptères supérieur à celui des centrales nucléaires… Que faire ? Penser à ne pas faire trop propre, à laisser de la variété dans l’architecture, des occasions à la vie de s’accrocher quelque part. Il en va des oiseaux comme des herbes folles : une fente, un trou, un peu de laisser-faire, et la vie revient. « On peut aussi poser des nichoirs, très utiles aux mésanges, mais pas aux moineaux qui ont besoin de buissons, et qui sont des animaux coloniaux, » ajoute M. Malher.

Accompagner, pour rester dans les clous

La ville attire la biodiversité qui a du mal à exister dans les régions de grandes cultures. Mais ne nous y trompons pas : c’est une biodiversité particulière, qui ne constitue pas des écosystèmes fonctionnels. La ville c’est une faune diverse, mais peu liée. « Il y a un autre aspect qu’on n’a pas en tête », ajoute Marc Barra, écologue à l’Agence régionale de biodiversité (ARB) de l’Île-de-France, « c’est la biodiversité grise, à savoir l’impact de la production de matériaux sur le vivant : la biodiversité dans les aménagements, elle est aussi à penser dès le début, de façon à privilégier les matériaux bio-sourcés. » Fibres de bois pour l’isolant, briques monomurs en argile, chanvre, lin, paille, peintures et autres vernis écologiques, beaucoup de produits existent. « En fait, je vais vous dire, le meilleur bâtiment pour la biodiversité, eh bien… c’est celui qui n’existe pas. » Disons que pour M. Barra, c’est l’aménagement du territoire dans son ensemble qui doit être favorable à la nature, pas seulement la ville. « Une ville devrait par exemple être une éponge à eau. Utiliser les sols pour stocker l’eau, cela veut dire les laisser à la végétation, comme les bassins d’orage, les noues, etc. » Le macadam et le béton nuisent à la biodiversité car ils effacent les sols vivants. Du coup, cela prive la ville de capacités d’épuration naturelle de l’eau et d’absorption des pluies hors normes. « Et ça coûte moins cher, in fine, car le béton est toujours plus coûteux que le sol laissé en place quand on regarde l’ensemble. » Marc Barra promeut un réaménagement du territoire au profit de la nature, sans toutefois tomber dans l’excès que serait une « densification non pensée, qui ferait des villes des bunkers minéraux, posés dans des campagnes vides. » Et pour densifier de façon intelligente, de façon à laisser respirer les terres agricoles et les milieux naturels, pour que l’artificialisation recule, il s’agit de former. « Malgré certains grands projets inutiles, comme Europa City, je vois de plus en plus de gens venir en formation, notamment des architectes. Les professionnels sont en train de se conscientiser, ils commencent à comprendre que la réponse à la minéralisation n’est pas le paysage, mais l’écologie. » Ce n’est pas parce qu’on fait des toitures végétalisées et des parkings ombragés d’églantiers qu’on favorise la nature !

Voilà un des rôles de l’ARB : intervenir le plus en amont possible pour aider les maîtres d’ouvrage, voire, les maîtres d’œuvre. Quel est celui de l’équivalent régional de la Dreal, la Direction régionale et interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie (Driee) ? Elle s’occupe des carrières, des espaces protégés, de la protection des paysages. Mais pas de l’aménagement, chasse gardée de la Driea (Direction régionale et interdépartementale de l’Équipement et de l’Aménagement). « Notre rôle est d’évaluer les projets que les aménageurs nous montrent. Ils doivent se soumettre à des évaluations au titre de l’urbanisme et de l’environnement, on s’assure qu’ils le font. » De l’aveu même de Jean-Marc Bernard, chargé de mission trame verte et bleue à la Driee, ce n’est pas si simple, car il y a beaucoup de structures qui interviennent sur les dossiers d’aménagements. M. Bernard a dû faire une petite « diapo » pour qu’on y comprenne quelque chose. Donc, depuis la loi de 1976, qui a mis un peu de temps à être appliquée, la prise en compte de la biodiversité dans les projets est encadrée par la doctrine Éviter-Réduire-Compenser (ERC), les différents schémas et documents d’urbanisme et de planification (SRCE, SDAGE, SDRIF, SRCEA, etc.) ; s’ils dépassent une certaine taille ou sont implantés dans certains sites, les projets doivent en plus se soumettre à une étude d’impact, ainsi qu’aux différentes procédures relatives à la loi sur l’eau, aux installations classées, aux espèces protégées, aux défrichements, aux travaux en sites protégés ou encore aux évaluations des incidences Natura 2 000, liées aux directives Habitats et Oiseaux.

« Cela fait beaucoup, et on n’a plus le droit de dire si l’on est favorable ou pas au projet. En fait, on est là non pour censurer un projet, mais pour conseiller le maître d’ouvrage de façon à ce qu’il reste bien dans les clous. » Conseiller en délivrant par exemple des éléments de référence pour conduire convenablement les études d’impact. Vérifier qu’il n’y a pas de localisations alternatives, afin de répondre à la séquence ERC (éviter, réduire, compenser) par le E et le R… qui n’existe en pratique que par le C. « Il faut ajouter que c’est l’ensemble de l’environnement du projet que l’on regarde. La biodiversité n’est donc qu’un élément de la prise en compte de l’évaluation environnementale, qui doit couvrir les paysages, l’eau, le bruit, le cadre de vie, les sols, etc. » Tout ceci à la charge de l’aménageur, qui doit tout assumer. « Quand c’est une petite commune, qui révise son PLU tous les cinq ans, cela peut être difficile, car tout ce dispositif est difficile à maîtriser. On les aide, en s’assurant que ces petites communes ne créeront pas trop de désordres, que les espaces naturels seront maintenus. » Quant aux grandes agglomérations, à l’ingénierie suffisante, la Driee les pousse à créer toujours plus d’espaces de nature. « C’est-à-dire qu’on ne peut pas se contenter d’avoir des parkings avec des arbres, promouvoir ça, c’est se tromper d’échelle, c’est vraiment le niveau zéro de l’écologie urbaine. C’est un métier l’écologie, » rappelle M. Bernard, qui constate chaque jour la médiocrité de la plupart des projets sur lesquels la Driee a à délivrer un avis.

Montrer aux élus qu’on peut faire autrement

« Quand on habite dans un quartier populaire, on a le droit au beau », défend Bélaïde Bedreddine, le vice-président du Département de la Seine-Saint-Denis chargé de l’écologie urbaine, de l’environnement et de l’assainissement. La biodiversité est un thermomètre, sa raréfaction est le symbole du fonctionnement d’une société qui n’a plus les pieds sur terre. Y penser très en amont des projets, c’est mieux protéger l’environnement, c’est donc se protéger soi-même. Et puis, mettre de la nature en ville, c’est ramener de la beauté et du bien-être dans les quartiers : « Il y a un vrai besoin d’espaces verts dans le 93. Quand on fait des sorties ornithologiques au parc du Sausset, il y a toujours du monde, des questions, et des comportements étonnants apparaissent, comme les enfants qui corrigent leurs mères qui veulent nourrir les oiseaux. »

Natif et habitant de Montreuil, M. Bedreddine considère Paris comme sa banlieue. Les années lui ont montré une chose : « On ne peut pas laisser des espaces moches dans la cité, ce n’est plus possible. Plus c’est beau, plus c’est utile et moins c’est dégradé, c’est aussi simple que cela. » On dégraderait ce qui ne nous valorise pas, ce qui ne nous apaise pas. Un jardin n’est jamais tagué. Il n’est pas pour autant toujours bien respecté. L’élu a un espoir : que les cours d’école soient un jour végétalisées, que les enfants y puissent tourner autour des arbres et cultiver des légumes. « C’est là que l’éducation se fait, or les enfants sont accueillis dans des bâtiments moches, avec des cours en macadam… »

À chaque fois, ses collègues qui ne veulent pas faire autrement que d’habitude se retranchent derrière le coût. « Pourtant, c’est faux, faire de la biodiversité ne coûte pas forcément cher », affirme M. Bedreddine. « En fait, il faut inverser le raisonnement : ce sont les élus qui ne veulent pas payer, car même si je constate que les choses avancent, elles se font toujours aux mêmes budgets », lui répond Sylvain Fabiani, du groupe Ségex, allant dans le sens de Florent Yvert. « Par exemple, on nous dit que la gestion différenciée vaut plus cher, c’est faux, mais ça renvoie le client à la valeur qu’il veut donner à la nature. » Pas beaucoup, faut-il comprendre… Le groupe Ségex est un des principaux aménageurs de jardins publics en France. Il a réalisé celui du nouveau Forum des Halles. « Même pour un acteur gros comme nous sommes, les budgets sont toujours difficiles. Sur le budget entretien par exemple, qui est prévu dès le départ, les lignes budgétaires n’apparaissent qu’à la fin du chantier, ce qui fait qu’elles ne sont pas bien grosses. » L’argent manque, la culture, aussi. Aménageurs, élus mais aussi citoyens ont une vision très paysagère de la biodiversité. Il y a le riverain qui vient râler parce que les équipes Ségex ont laissé pousser des mauvaises herbes en pied d’arbre, mais ne remarque pas que le trottoir est maculé de crottes de chien. Une attitude récurrente. « Pour les marchés publics, il faut faire beaucoup de pédagogie. Notamment sur la notion de propreté, comme si la nature devait être propre. Non, la flore spontanée n’est pas sale ! Mais on progresse, on progresse… » Le fauchage est encore sujet à discussions. Faire comprendre que le gyrobroyage meurtrit les tiges, et qu’on peut garder les résidus sous forme de paillage, ce n’est pas simple. « Nous, on essaie de faire de l’écopaysage. On va jusqu’à proposer le pâturage des espaces verts par des brebis de race solognote, pour laquelle nous sommes, Ségex, naisseur, sélectionneur et éleveur. » Mais pas mangeur car une fois leur service terminé, les moutons finissent leur vie paisiblement dans un pré.

La compensation écologique par l’exemple

Chef de projets à la CDC Biodiversité, Caroline Girardière a montré à M. Fabiani qu’on peut parfois améliorer l’existant sans créer de décalage entre la préservation locale de la biodiversité et l’écologie au sens large. Certes, ce n’est pas en ville, mais sur des espaces très particuliers.

La CDC Biodiversité s’occupe en effet de la dernière lettre de la séquence ERC. Elle porte le foncier et gère des espaces dévolus à compenser la dégradation de milieux naturels occasionnée par un aménagement. Dégradation que le maître d’ouvrage était au préalable censé avoir tout fait pour éviter et réduire, bien entendu. Exemple à Châtenay-Malabry. « Les travaux de construction de la ligne de tram T10, qui ira d’Antony à Clamart, ont détruit un petit bois de trois ha. Le but était d’en recréer un autre à côté, » sur 9,5 ha en 4 parcelles de la forêt de Verrières, en plus de 12 ha d’espaces en friches qui seront reboisés en Île-de-France. « On a fait un repérage, on a identifié les secteurs les plus proches du lieu de l’impact, pour pouvoir être sur un secteur et un milieu identiques. Une fois qu’on a choisi le site, on a abattu des arbres, pour ouvrir les milieux, pour faire des prairies, on a créé des « îlots de sénescence » où on a laissé du bois mort, on a replanté des lisières et créé des mares. » Ce foncier – le Bois de la Béguinière et le Bois du Carreau – appartenait à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), il a été acheté pour le compte de l’aménageur, Île-de-France Mobilités (l’ex-Stif), par la CDC Biodiversité. « Le chantier a duré un an, deux ans en comptant les études. Il nous a fallu faire beaucoup de communication afin de rassurer les riverains qui pensaient qu’on allait détruire une partie de la forêt de Verrières. » Des riverains qui ne comprennent pas plus que d’autres ce qu’est la compensation, si ce n’est qu’elle serait un permis à aménager, comme le marché du carbone serait un permis à polluer.

La biodiversité par le potager

La CDC Biodiversité suivra cet espace de compensation durant 30 ans. D’ici-là, parions que la biodiversité sera devenue un objet social comme le bruit et l’eau. Parce qu’elle aura été cultivée dans les potagers ? C’est ce que pense Ana Cristina Torres, post-doctorante au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (MNHN), qui a fait sa thèse sur les usagers des jardins partagés. « Ce qui est frappant, c’est que les gens font du jardin pas forcément pour la nature en tant qu’entité, mais pour répondre à un besoin social : la recherche d’une qualité de vie, de relations sociales au sein d’un quartier. » C’est ensuite que vient la nature, devant même l’alimentation, et alors que les personnes suivies durant sa thèse par Mme Torres font bien pousser des légumes : « Après le social, il y a l’envie d’être en lien avec la nature, d’apprendre les cycles de la nature, et d’apprendre aux enfants. » Tout le monde reconnaît le côté apaisant du travail au grand air, de l’effort et de ses fruits : les légumes qu’on a plantés, qui poussent, donnent, se donnent et sont donnés. De là, l’idée de nature fait son chemin dans les esprits, « par les sens, par tous les sens, il faut que cela implique les sens, la biodiversité, si on veut la développer. » Les mauvaises herbes ne le sont plus tant que cela, lorsqu’on les voit pousser près des légumes, dans les espaces entre les jardins, progressivement, on les accepte comme une flore spontanée, et l’on réécrit alors une relation différente avec la nature. Fondée aussi sur l’absence de produits chimiques, proscrits par la charte des jardins partagés de la Ville de Paris, la Charte Main Verte.

Ces nouveaux jardins ne sont qu’une présentation moderne de ce qui existait avant, les cités-jardins et les jardins ouvriers. D’individuels, ils sont devenus collectifs et participatifs. Est-ce de l’agriculture urbaine ? « Non, et d’ailleurs celle-ci est anecdotique, elle a néanmoins le mérite d’interroger le fonctionnement des systèmes urbains », estime Sabine Bognon, Maîtresse de Conférences au MNHN. L’agriculture urbaine ne prétend cela dit pas nourrir la population des villes mais, au moins recréer un lien entre elles et leurs campagnes. « Avant, ce lien se faisait par exemple par les déchets qui étaient déversés sur les champs, comme engrais », mais l’industrialisation du traitement d’une masse croissante de poubelles, de même que l’hygiénisation de la société, ont coupé ce lien. Lequel était aussi direct par la présence de poules, de cochons et de maraîchage un peu partout en ville.

Le résultat est que depuis Haussmann, pour faire court, le végétal et l’animal n’ont plus en ville qu’une « fonction ornementale et maîtrisée, au sein de parcs zoologiques, de jardins botaniques, d’espaces récréatifs. » Dont les jardins ouvriers avant tout conçus, y compris autour des usines installées à la campagne, pour distraire l’ouvrier de son envie d’oublier son labeur au bistro, en lui vantant les vertus de la terre pour lui et sa famille. Une forme de morale issue du catholicisme social qu’on retrouve dans les déclarations des pratiquants et même dans la charte des jardins ouvriers, familiaux et sociaux, établie par le Ministère de l’environnement en 1993 et qui affirme qu’ils sont « des équipements sociaux indispensables à l’harmonie de la ville et un outil de solidarité. »

Au bien-être de groupes privés également, prévient Mme Bognon dans ses publications. Puisque l’agriculture urbaine est devenue un objet tendance dans la pensée urbanistique, rien d’étonnant à ce que des opérateurs financiers se penchent dessus. Le cas de Newark, près de New York, n’est pas anecdotique : sur un immense site industriel en friche (Ironbound), un consortium a installé une ferme verticale qui, en augmentant l’attractivité du quartier par une offre de maraîchage bio très connotée culturellement aux États-Unis, porte le risque d’une augmentation des prix de l’immobilier et donc, d’une sélection sociale de la population. Une gentifrication, la « boboïsation » par les légumes. « En fait, l’agriculture urbaine crée une nouvelle concurrence pour le foncier urbain », qui ne peut qu’accentuer la spéculation dans une ville, Paris, où le marché est laissé à faire ce qu’il veut, et qui s’est installé dans la course marketing entre capitales voulant être plus vertes que vertes. La responsabilité des politiques est donc immense, comme celle des urbanistes. Ces derniers « ne sont pas agronomes, or il y a contradiction entre la volonté de densifier et celle d’ouvrir des espaces de maraîchage, de jardin. Bref, cela demande une réflexion globale, territoriale, dans le cadre d’une gouvernance alimentaire », celle des Projets alimentaires territoriaux (PAT) et du Pacte de Milan par exemple. Penser la nature en ville, sous quelque forme qu’elle soit, exige de ne pas réfléchir chacun dans son coin.

Une demande démocratique nouvelle

À Besançon, il y a aussi des jardins ouvriers, comme partout. Il y a aussi une demande sociale qui change. Étienne Voiriot est paysagiste à l’Agence Territoires : « Cette nouvelle demande », notamment sur les fauches différenciées, le zéro pesticide, les herbes folles, « permet de reformuler celle des collectivités. Et surtout, de leur faire comprendre que ce n’est plus comme avant : on ne peut plus imposer un projet. Les citoyens veulent dire ce qu’ils pensent. Concrètement, aujourd’hui, il faut que la personne publique porteuse d’un projet ait suffisamment de souplesse et de confiance dans un processus d’élaboration moins linéaire. » Sans confondre, comme c’est souvent le cas, participation et communication. Demander au public, recueillir ses remarques, ce n’est pas faire semblant, pour lui servir un discours lénifiant qui, in fine, masque mal le fait que tout est déjà décidé. « Et puis il ne faut pas avoir de posture technique. Les gens ne sont pas savants ; il faut se mettre à leur niveau. » Même si, reconnaît M. Voiriot, ce sont un peu toujours les mêmes citoyens qui participent aux réunions publiques, et qu’ils posent toujours un peu les mêmes questions. « Chacun défend son pas-de-porte, et en définitive, on peut résumer les remarques par « surtout n’empêchez pas les voitures de rouler ! » À quelques kilomètres de Besançon, la Suisse a des années d’avance en la matière. « Il y a les votations citoyennes, qui font que tout le monde vote pour tout, il y a aussi une vision différente de la nature. Par exemple, les écoles : le week-end, elles sont ouvertes, afin d’en faire un lieu de vie auquel chacun fait attention, et leurs cours sont des espaces de vie, riches en plantes et en arbres. » M. Bedreddine devrait peut-être demander un permis de travail de l’autre côté des Alpes. L’acculturation en cours de la population dévoile en tout cas ce que le mouvement des Gilets jaunes lancé fin 2018 a rendu visible : le besoin viscéral d’être consulté, écouté et entendu, dans un système démocratique libéré des seules mains des experts.

Du bon sens et pas de verre

Après une matinée de débats, et un déjeuner remarquable fait maison par la cuisine du Lycée Fénelon, la centaine de participants s’est interrogée. Quatre ateliers, quatre thèmes, quatre réponses techniques. Quelles sont les choses c concrètes que l’on peut faire ? comment intégrer la biodiversité dans la maîtrise d’ouvrage publique ? comment l’intégrer dans la maîtrise d’ouvrage privée?, et la recherche qu’est-ce qu’elle pense de tout cela ?

Sur le terrain, les réponses trouvées par les lycéens et étudiants du lycée sont d’une simplicité irréelle. Mais après tout, c’est cela, l’écologie, l’art de redécouvrir en permanence la recette de l’eau tiède. Pour accueillir la faune, et ne pas la gêner dans sa vie de tous les jours, évitez les clôtures hermétiques et mettez des plantes grimpantes. « Il faut privilégier le low tech », s’amuse Marc Barra, qui s’est occupé de ce premier atelier (que peut-on faire, tout de suite ?), en compagnie de Magali Contrasty, coordinatrice du service éducation, formation et nature de proximité à la Délégation Aquitaine de la LPO. « Des plantes grimpantes, c’est moins coûteux et ça nécessite moins d’entretien que les murs végétalisés », très à la mode, mais qui tombent vite en ruine faute d’entretien. Ils consomment en effet une quantité invraisemblable d’eau et exigent des soins de tous les jours pour qu’ils continuent de ressembler à quelque chose. Marc Barra continue de s’amuser : « Quant aux clôtures, mine de rien ça remet en cause notre rapport à la propriété, dès lors qu’on ne les ferme pas tout à fait. » Il met en avant les toitures végétalisées, la perméabilisation des parkings et de la voirie pour qu’enfin, comme il l’avait défendu au cours de la matinée, les villes redeviennent les éponges qu’elles étaient ; il conseille aussi de réaménager l’existant en gardant les vieux arbres, aussi importants pour le patrimoine que pour l’ombre en été.

Sans oublier les arbustes, ajoute Magali Contrasty : « Souvent, en ville, il manque une strate intermédiaire, buissonnante où nidifient les oiseaux. » Et puis l’on met des nichoirs comme ça, sans y penser, alors « qu’il faut les orienter à l’Est, sans oublier de laisser des habitats sur les bâtiments », anciens et rénovés. Il faut des excroissances, des décrochements, des cavités, des tuiles canal, boucher les trous des poteaux électriques (au pied desquels on plante des grimpantes, vous avez bien compris) et proscrire les façades en verre qui perturbent les oiseaux jusqu’à provoquer leur collision. La tendance architecturale et urbanistique est pourtant toujours aux immeubles lisses comme des miroirs. Enfin, n’oublions pas les abeilles : les ruches, c’est bien, mais pas trop, afin de ne pas concurrencer les pollinisateurs sauvages, et quand on a des serres comme au Lycée Fénelon, s’il vous plaît, ménagez-y des ouvertures afin que ces insectes puissent… sortir après avoir butiné !

La nature dans les cours et les crèches

L’atelier n° 2 était consacré à la maîtrise d’ouvrage publique. Comment les institutions peuvent-elles être exemplaires en matière de biodiversité, alors que la pression foncière croît en raison inverse des budgets publics ? Les bailleurs sociaux parisiens commencent à relayer la politique municipale de biodiversité positive, dans les cours d’immeubles. Le Département de la Seine-Saint-Denis commence à prendre en compte les arbres dans les projets de rénovation de crèches : innovant car en général, lorsqu’on refait une crèche, on élimine toute source potentielle d’accidents, ne serait-ce que les sources de feuilles mortes. Animé par Philippe Jacob de l’Observatoire parisien de la biodiversité, avec les interventions de Christophe Davallo, chef du service espaces verts de Paris Habitat, Cédissia About et Nicolas Pasquale de la direction des constructions publiques de la ville de Paris, et d’Estelle Beauchemin, cheffe du service des espaces extérieurs et continuités vertes de la direction de la Nature, des paysages et de la biodiversité du Département de la Seine-Saint-Denis, l’atelier a pointé une grande différence d’appréciation du sujet entre Paris et son voisin séquano-dyonisien. Notamment en ce qui concerne la désimperméabilisation et l’intégration de la nature dans les espaces extérieurs de bâtiments accueillant bébés et enfants. Autant à Paris les parents n’y voient, semble-t-il, rien à redire, autant c’est plus difficile dans le Département, sans qu’il soit encore vraiment possible de comprendre pourquoi. Il y a pourtant un patrimoine arboré étonnamment riche en Seine-Saint-Denis, avec 74 espèces différentes dans les cours des crèches, presque un arboretum…

Par contre, la nature dans les cours d’immeubles HLM à Paris, tout le monde semble très heureux de la voir s’épanouir tranquillement, sans gestion excessive. Les bailleurs constatent moins d’incivilités à mesure que ces jardins deviennent un peu plus fouillis, au prix d’un accompagnement constant et de propositions d’activités : l’appropriation est au bout de la route, mais celle-ci est longue. Pour le reste, on s’interroge au sein des organismes publics sur la perception par les administrés des feuilles qui tombent et qu’on ne ramasse plus si souvent, des herbes folles au pied des arbres, des racines qui soulèvent les trottoirs, des résidus de fauchage qu’on laisse un peu sur place… Jusqu’à quand les citoyens de Paris et de la Seine-Saint-Denis vont-ils accepter que leurs rues ne soient plus » propres » ?

Le cas emblématique des aéroports

Dans le privé, les maîtres d’ouvrage sont tenus de faire attention par une multitude de textes. D’autant que les plus grandes entreprises ont signé publiquement le 10 juillet 2018, en présence de l’ex-ministre Hulot et des directeurs et directrices des principales associations de protection de la nature françaises, la charte Act4Nature, sorte de Plan National de la Biodiversité privé. Les engagements présentés par ces entreprises n’engagent que celles et ceux qui y croient, certes, ils ont tout de même été pris devant les personnes les plus susceptibles de les leur rappeler publiquement en cas de manquement… Cet acte marque en réalité que la biodiversité ne fait plus sourire dans les entreprises privées, qu’elle commence à faire partie de la bonne gouvernance. Alors, les professionnels n’ignorent plus à quel point le végétal est devenu aussi important que les aménagements à réaliser.

Animé par Juliette Allenet de l’Unep, en présence de Tolga Coskun, responsable écologie chez le conseiller en immobilier et développement durable Arp-Astrance, Pierre Darmet, secrétaire du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI), et Julia et Roland Seitre, cofondateurs de l’association Hop ! Biodiversité, l’atelier n° 3 a montré qu’effectivement, l’on pouvait aménager et faire de la biodiversité. Fleury-Michon par exemple, entreprise familiale viscéralement attachée à la Vendée, qui a totalement repensé l’accueil de son siège social en en faisant un jardin pédagogique et des potagers pour ses employés. Les salariés ont été informés au fur et à mesure, ils ont adopté le projet, ce qui semble être une condition nécessaire pour que la biodiversité entre dans l’entreprise. Il est vrai que c’était assez facile avec Fleury-Michon, dans son contexte très rural et bocager. Cette réalisation n’a pas obtenu le label BiodiverCity®  du CIBI, qu’elle n’avait cela dit pas demandé. Promouvant « les meilleures pratiques en matière de biodiversité urbaine pendant les phases de planification, conception, d’entretien, d’occupation et de valorisation de l’environnement bâti », le CIBI, juge et partie, labellise des projets grâce à « un outil inédit d’évaluation et de valorisation de la prise en compte de la biodiversité pour tous les projets immobiliers. » À l’heure actuelle six aménagements ont été labellisés. Parmi eux, citons le gigantesque centre commercial Cap 3 000 en bord de mer à Nice et à l’embouchure du Var (et d’une zone Natura 2 000) – 17 760 m² de jardin créés, 4 282 m² désimperméabilisés et 4 450 m² de toitures végétalisées ; l’écoquartier Eikenott à Gland, en Suisse (2,1 ha de prairies fleuries, 450 logements, 800 vélos, 0 voiture) ; la Seine musicale sur l’île Séguin, à Boulogne-Billancourt, où tout en principe a été fait pour que faune et flore locales s’implantent comme elles veulent, notamment sur la colline plantée qui marque l’entrée du bâtiment (6 755 m²) ; ou encore la rénovation de Challenger, le siège social de Bouygues à Guyancourt dans les Yvelines (36 ha ! dont 24 ha de parc paysager, avec recréation de prairies et de zones humides).

En termes de surface, il y a beaucoup plus ambitieux avec les aéroports. 70 % de leurs surfaces sont occupées par des prairies. Du coup, celles-ci occupent la moitié de la surface prairiale du Grand Paris… Par une action pédagogique intelligente, relayée par la DGAC puis le Ministère de l’écologie, l’association Hop ! Biodiversité, cofondée avec la compagnie low cost Hop ! est en train de fédérer l’ensemble des aéroports français dans la prise en compte de ces prairies comme un élément à la fois de patrimoine écologique et de sécurité aérienne. En jouant sur la hauteur des graminées qui poussent, on diminue en effet le risque de percuter un rapace, tout en favorisant la nichée d’oiseaux parfois emblématiques comme l’Outarde canetière (qu’on trouve pas en Ile-de-France mais sur des aéroports du sud de la France). Semblables aux steppes pré-agricoles, peuplées d’orchidées, les prairies aéroportuaires sont, en soi, des espaces naturels… protégés par une industrie très polluante, le transport aérien. Un paradoxe, et une réussite, fruit d’un long travail de conviction qui n’a pas coûté grand-chose, si ce n’est de faire comprendre aux gestionnaires qu’on peut faucher différemment.

La recherche aime les toits et les mosaïques

Philippe Clergeau, Professeur au MNHN, Gilles Lecuir, chargé d’études à l’ARB Île-de-France, Nicolas Buttazzoni, technicien au parc départemental du Sausset (en Seine-Saint-Denis) et Stéphane Berdoulet, directeur de l’association Halage ont fait le point avec les animateurs de l’Observatoire départemental de la biodiversité urbaine de la Seine-Saint-Denis, Mehdi Azdoud et Cyril Roussel, et les participants de l’atelier.

La recherche travaille déjà sur le fonctionnement de la biodiversité en ville, qui n’est pas le même que dans ses milieux d’origine. Le constat est clair : même si les villes accueillent beaucoup de nature, celle-ci ne fonctionne pas comme là d’où elle vient. Les écosystèmes urbains sont pauvres. Pour un écologue, qui étudie les relations entre les espèces et le fonctionnement des chaînes trophiques, la ville est un pis-aller, une sorte de village Potemkine de la nature. Ceci posé, la recherche sur la biodiversité en ville est balbutiante. Elle commence à s’interroger sur les formes urbaines, des rues, des quartiers, des bâtiments, qui seraient, dans l’espace et le volume, les plus susceptibles d’accueillir une « belle » biodiversité. On n’en sait pas non plus encore assez sur les matériaux et les bonnes techniques qui aideraient à faire des façades véritablement « vertes ».

Quant aux toits végétalisés, qui commencent à être bien connus, ils ont un intérêt réel, mais on ne sait toujours pas les faire durer dans le temps. L’étude Grooves de l’ARB a été menée durant trois ans sur 37 toitures. Elle a montré que la richesse en pollinisateurs était du même ordre que celle au sol. Qu’en nombre de plantes venues spontanément s’installer, le toit végétalisé tenait la comparaison avec une prairie et un parc urbain, en particulier sur un sol épais (l’optimum serait de 27 cm) et d’origine végétale. La hauteur du toit aurait aussi un impact, car plus on est haut, plus il y a de vent, plus l’air est sec, ce qui sélectionne les espèces. Enfin, bien fait, un toit vert serait capable d’absorber un abat d’eau digne d’une pluie décennale. Conclusion : oubliez les classiques toitures couvertes de sedum, qui ne servent à rien. Et les murs végétaux ? Il semblerait que la science n’en pense pas le plus grand bien. Il faut beaucoup d’eau, d’intrants, de substrats, et beaucoup d’énergie pour amener tout cela quand la hauteur est importante. La hauteur idéale serait de l’ordre de celle des immeubles… haussmanniens. Le Baron a décidément créé des formes urbaines dont urbanistes, thermiciens, sociologues et écologues redécouvrent chaque année les mérites.

En fait, murs végétaux, toits végétalisés et autres originalités, peu importe, nous disent les chercheurs : l’important, c’est, comme dans la nature, la diversité des formes, la mosaïque des milieux. De la nature partout, sur plein de supports, les premiers étant, il ne faut pas les oublier, les vénérables et intemporels parcs urbains, dont la superficie minimale tournerait autour de 50 ha afin de constater la mise en place d’écosystèmes urbains vraiment fonctionnels. Cette nécessité de diversifier ne doit pas être oubliée quand on pense à implanter un système de production agricole en ville, au parc départemental du Sausset par exemple. C’est un projet du Département, à la fois alimentaire, écologique et socio-éducatif. La collectivité est en train d’en conduire un autre sur l’Île-Saint-Denis, dans le cadre de l’extension du parc du même nom et de la réhabilitation d’un site de friche industrielle. Cette zone de 3,6 ha, à la terre bien polluée, sera un « démonstrateur de la reconquête de biodiversité », par un laboratoire d’analyse des sols urbains, la rénovation de ceux-ci par des solutions « naturelles » (phytoréhabilitation, agroforesterie, permaculture), la restauration des berges, l’implantation d’activités agricoles et de compostage ainsi que d’espaces de découvertes et de formation pour la population. Un beau projet à la fois scientifique, écologique, agricole et socio-éducatif mené par l’association Halage. Comme le dit Florent Yvert qui a conclu cette journée, « c’est de l’expérimentation, et c’est ce dont on a le plus besoin : on ne sait pas faire, encore, la biodiversité en ville. On est en train de s’affranchir de l’idéal de nature, enfin, on découvre qu’il faut des interactions entre la ville et la nature. Très bien. Mais on tâtonne, on essaie, et c’est souvent le fait de non-professionnels. En fait, dans les projets, tout dépend un peu de qui les porte. »

La biodiversité en ville est un choix très politique. La favoriser, vraiment, c’est remettre en cause le schéma actuel, très complexe, de la prise de décision. Car cela oblige à avoir une vision transversale, dans l’espace et le temps, afin de ne pas considérer uniquement l’aménagement, mais l’aménagement dans son quartier, dans sa ville, dans son territoire de biodiversité. Repenser le territoire en faisant le constat de l’état de sa nature. Une vision fondée sur les relations entre espèces locales plus que sur les espèces elles-mêmes, sur les relations entre les populations de ces espèces en ville et autour de la ville. Un projet d’aménagement devrait être pensé dans l’optique d’augmenter la diversité des milieux, de multiplier la mosaïque de formes accueillantes pour la nature, autour des parcs urbains qui restent les pivots de la biodiversité en ville. Amener de la beauté, finalement. Par l’expérimentation. Par les potagers, les cours d’école, les arbres devant les crèches. En expliquant qu’elle ne rime pas avec propreté. Les herbes folles au pied des platanes et au bord des tombes, dans le cimetière, c’est la vie qui va, avec ses aléas que la démocratie locale doit apprendre à considérer. Le besoin de nature exprimé dans les enquêtes d’opinion est un des signaux que la population envoie pour retrouver du sens à l’existence dans une société, dans des agglomérations, de plus en plus désincarnées. On a besoin aujourd’hui de se raccrocher aux branches. On manifeste sur des ronds-points aussi pour dire que ces ronds-points on n’en veut plus, tant ils ont enlaidi nos villes au bénéfice de zones d’activités sans identité. Favoriser la nature en ville c’est une façon de refaire de la politique avec un grand p, de réhabiliter les élus en leur demandant de ne plus laisser que des traces subtiles de leur passage, qui formeront bien après eux les paysages dont on leur saura gré.