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INFOLETTRE N°108

Saint-Jean-Lachalm, un village qui a réussi ses éoliennes, sans s’étriper.

Sep 21, 2022

Encore une infolettre avant le changement de mouture (ça prend du temps, désolé). Deuxième de la nouvelle série qui a vocation à montrer que les choses avancent, en dépit de tout. Qui avancent grâce à ce que j’ai appelé des « écolos remarquables », éponymes de mon dernier livre et inspirateurs de la série que j’ai démarrée avec Éric Wastiaux et Stéphane Rossi sur UshuaiaTV, produite par Les Films en Vrac, « L’écologie près de chez nous. » Dans ce numéro, je vous parle de Saint-Jean-Lachalm, un village de la Haute-Loire qui a trouvé le moyen de ne pas s’étriper lorsque l’idée d’un champ d’éoliennes a soufflé dans la tête de son maire, Paul Braud. En faisant parler un droit coutumier ce qui, de fil en aiguille, a conduit… au chanvre. NB : je ne suis pas allé sur place, j’ai enquêté et interviewé le maire à deux reprises, une fois pour la préparation d’un colloque en 2019, une autre par téléphone en 2021. Les photos viennent du site de la mairie.

le vent dans le calme

© Mairie de Saint-Jean-Lachalm

Examinons le cas Paul Braud. Depuis 1995, il est maire de Saint-Jean-Lachalm et, depuis 2014, il est également président de la communauté de communes du Pays de Cayres-Pradelles. La toute petite commune compte quatre fois moins d’habitants qu’en 1793, masi la Terreur n’y est pour rien : on n’a pas guillotiné plus que cela dans le pays. Parmi les trois cents âmes dont M. le Maire administre l’existence, certaines escaladent les rochers de la Miramande qui empêchent le village de se répandre à l’ouest (la via ferrata est réputée), tandis que d’autres, à l’est, empruntent la voie romaine de Bollène pour traverser d’un coup, tout droit, comme on barrerait d’un trait la carte IGN pour faire une autoroute, la forêt du lac du Bouchet. Au-delà, encore plus à l’est, c’est le mont Devès et, loin derrière ce mamelon de basalte, Le Puy-en-Velay. Entre la voie de Bollène et Saint-Jean-Lachalm, la carte indique neuf éoliennes. « Clairement, aujourd’hui, je ne le referais pas. À côté, il y a plein de projets qui ont capoté. C’est hypercompliqué : sur les éoliennes, l’administratif est devenu extrêmement lent, très contraignant, car il y a beaucoup de commissions des sites, des espaces naturels, etc. Les associations font recours sur recours… » M. le maire se prend à souffrir en pratiquant la dystopie, qui est assez à la mode. Parce qu’il a réussi à faire ce que peu ont réalisé : faire émerger des éoliennes dans le paysage quotidien, sans que cela soit vécu comme un viol de l’imaginaire. « J’ai même obtenu un vote soviétique : 100 % de “oui”, ou presque ! », alors que l’érection de moulins à vent provoque en général des oppositions définitives et des recours infinis auprès des tribunaux. C’est souvent pire qu’un débat sur la vaccination. Nous voulons bien des énergies renouvelables, mais pas trop près de chez nous. Les écolos ont les deux pieds pris dans le tapis de leurs contradictions : les éoliennes, oui, mais ça hache menu rapaces et chauve-souris, ça bouffe du sol, ça réclame du béton et des métaux rares et, par-dessus le marché, ce n’est pas vraiment recyclable.

Lors des premières Rencontres de la transition énergétique dans le Puy-de-Dôme, le 8 octobre 2019 à Pérignat-lès-Sarliève, près de Clermont-Ferrand. Paul Braud est le deuxième à gauche. Journée consacrée au « faire », organisée par l’agence locale de l’énergie et du climat, l’Aduhme. © Aduhme.

Les éoliennes en bus

« Quand on a évoqué le projet, en 2001, on a eu beaucoup de questions sur l’impact des éoliennes sur la télévision, les radiations, les courants électriques, le lait qui tourne, et bien sûr les paysages, mais les gens n’étaient en fait pas contre. Les vrais opposés, c’était notamment les salariés des grosses entreprises comme EDF et la SNCF », qui ont à cœur la défense du service public, « ils avaient l’impression que les éoliennes, ça allait être du privé qui prendrait la place du service public de l’énergie, alors ils se sont opposés, par principe. Au début.  » Pour répondre aux interrogations, Monsieur le maire n’a pas d’abord multiplié les réunions d’information, il a préféré louer des bus. « On a emmené une soixantaine d’habitants visiter un champ d’éoliennes dans l’Aude. Il y avait un parc existant à Tuchan, avec une extension en train de se réaliser : on a vu des éoliennes construites, en place, d’autres encore en pièces détachées, et on a vu leurs impacts. » Ensuite, ils sont tous allés dans un autre parc, situé à Ally-Mercœur, beaucoup plus près du village.
Le préalable étant fait, le temps des réunions pouvait commencer. Aux habitants, il fut demandé leurs impressions et comment ils imaginaient les choses pour la commune. Où mettre les mâts ? Et combien en installer ? « Au nord, au sud, à l’est, on avait plusieurs possibilités, on a échangé avec eux pour qu’ils valident le projet, à partir de photomontages. Un paysagiste nous a aidés. En définitive, on a choisi l’implantation à l’est et on a perdu 13 % de la production potentielle, parce que les gens ont estimé qu’il y aurait une éolienne de trop. » C’est le cabinet Terrevive de Montpellier qui s’est occupé de la mise en images.

© Iphigénie/ IGN

Des éoliennes sectionnantes

« Ce qui nous a facilité les choses », mais qui aurait pu, à l’inverse, tout autant les interdire, « c’est qu’on a installé les neuf mâts sur les terrains sectionnants : 600 hectares en tout, qui appartiennent aux habitants depuis la Révolution. Des bois et des pâtures. » Il n’y avait donc pas de foncier à acheter, et un seul agriculteur avec lequel discuter. Les « sections de communes », comme les dénomme le Code général des collectivités territoriales, sont un héritage de l’Ancien Régime, elles sont des parties séparées en droit de la commune, dont la jouissance est accordée depuis des siècles aux locaux qui vivent sur le territoire qu’elles couvrent. Raison pour laquelle un vote à la majorité était obligatoire afin de pouvoir utiliser ces terrains qui sont une forme particulière de bien commun. À Saint-Jean-Lachalm, 121 des 130 personnes concernées ont voté « oui », alors que, dans le village voisin de Conil, tout autant impliqué dans le projet éolien, ce fut 30 sur 30.
Nous sommes là en l’an 2003. « On a loué les terrains à une société, et puis les éoliennes ont vu le jour en 2008. On a bien eu des associations qui sont venues, mais les gens ont arrêté de les écouter lorsqu’elles sont allées jusqu’à les solliciter à des obsèques ! » Pas pour ce projet-là, mais pour un autre, pour lequel des associations anti-éoliennes avaient fait une distribution de tracts le jour des funérailles d’un agriculteur mort brutalement. L’indécence n’a fait que renforcer chez les habitants la certitude qu’ils avaient bien voté. Et à en croire Paul Braud, ces éoliennes, qui pointent à l’est de la commune sont, pour ses administrés, la première chose qu’ils regardent quand ils se lèvent le matin : c’est la girouette du village. « Quelquefois, on m’appelle pour me signaler qu’elles ne tournent pas ! C’est la fierté de la modernité », se félicite Monsieur le maire, qui n’a pas fait que se battre pour des moulins à vent.

© Mairie de Saint-Jean-Lachalm

Le vent contraire venu d’Italie

Avec cinq agriculteurs, la commune a aussi monté une société d’économie mixte (SEM) pour gérer un méthaniseur. « Le projet initial était de chauffer les bâtiments communaux et, au fur et à mesure que ça a avancé, on s’est rendu compte que ce n’était pas possible, car le réacteur n’aurait pas assez fourni de chaleur en hiver et beaucoup trop en été : du coup, on l’a transformé de façon que la chaleur puisse sécher des granulés de bois ! » à vendre en sacs pour alimenter poêles et chaudières. Malin, M. Braud avait également opté dès le départ pour une cogénération, beaucoup plus onéreuse, mais bien plus rentable et efficace sur le long terme : en plus de produire de la calorie, le méthaniseur ainsi équipé fabrique aussi de l’électricité, ce qui permet d’atteindre un rendement énergétique de 80 %, le double d’une installation classique. À condition toutefois de bien négocier le contrat de maintenance de la turbine, sinon les rendements risquent de chuter. « Eh bien, voilà ! Notre méthaniseur est à l’arrêt depuis octobre 2020, car on s’est fait piéger par une société italienne, avec qui on avait signé fin 2018 un entretien qui prévoyait une soixantaine d’heures par an, soit 1 000 euros par mois. On a compris que, dans les 60 heures, ils comptaient les déplacements ! » En voiture depuis l’Italie, on met du temps. De 12 000 euros annuellement, budgétisés et contractualisés, les dépenses de maintenance sont passées à plus de 30 000 euros. « Alors, on a refusé de payer, ils ont refusé de faire l’entretien, on a reçu la visite d’un huissier nous demandant de régler des pénalités, on a pris un avocat, on s’est retrouvés devant un médiateur à Lyon et, depuis octobre, ils nous ont bloqués la machine. » À distance, l’entreprise italienne a annulé le code d’accès informatique. Les énergies renouvelables sont très denses en technologie, un méthaniseur, ce n’est pas juste un tas de déchets qu’on met sous cloche. Même quand on est un maire convaincu et charismatique, on ne peut pas tout savoir des contraintes techniques et financières.

© Iphigénie/ IGN

On aurait peut-être dû les vendre nos électrons…

Paul Braud a eu plus de chances avec le soleil. La communauté de communes a aidé à la couverture photovoltaïque de 120 toitures agricoles. Au départ, il en était prévu 80, mais, chaque semaine, deux nouveaux exploitants réclament d’en être. « La com’com loue le toit à l’agriculteur et prend en charge la moitié de l’investissement, les bénéfices sont également partagés à moitié. » Le modèle économique, comme il faut dire aujourd’hui à tout propos, est plus favorable que celui des éoliennes pour lequel Paul Braud a quelques regrets. « Notre parc est divisé en deux, on en a 6 d’un côté, 3 de l’autre, car, administrativement, on ne pouvait pas avoir un parc de plus de 12 mégawatts. L’opérateur Valeco est propriétaire des 6, et on est copropriétaire avec lui des 3 autres. Pour ces 6, on ne touche que la location de terrain, ce qui nous rapporte quand même 48 000 euros par an, plus 30 000 euros récupérés sur la contribution fiscale des entreprises (la CFE, l’ex-taxe professionnelle) perçue par la com’com (30 % de 180 000 euros) et 20 000 de taxes foncières diverses. Mais, pour l’énergie, on ne se sert pas directement ce que nous produisons, on est client de Direct Énergie vert. » Avec le recul, M. Braud se dit qu’une structure de coopération aurait permis que les habitants récupèrent de l’argent sur le prix de vente de l’électricité qu’ils n’auraient pas consommée. « De toute façon, l’électricité, on ne sait jamais d’où elle vient, donc, même avec cela, on n’aurait jamais été sûrs d’utiliser la nôtre ! » Ce qui n’est pas tout à fait exact : l’électricité, guidée par la loi d’Ohm, emprunte toujours le chemin le plus court. Monsieur le maire se rassure et reste fier de ces neuf mâts qui enroulent le vent du côté du Puy, parce qu’il n’est pas du tout convaincu qu’aujourd’hui il aurait l’énergie suffisante pour les ériger : « Je le vois avec mes voisins : même quand on y arrive, les permis ne sont pas validés, à cause de l’image, du paysage, en réalité, de la jalousie entre propriétaires. Pourquoi le voisin a une éolienne, et pas moi ? Les gens ont l’impression que les éoliennes sont une source de revenus énormes pour les propriétaires des terrains, alors ils refusent, plutôt que de sentir floués. » Ne manquerait plus qu’il gagne plus que moi ! « Nous, on a réussi, car les éoliennes sont sur des terrains communaux. Ils appartiennent à un certain nombre d’habitants. On aurait dû aller jusqu’au bout de la logique : puisqu’on regroupe les propriétaires, on partage les bénéfices… » Voilà un conseil pour tout aspirant constructeur d’un champ d’éoliennes. En faire un bien commun.

La Maison du Vent, celle des ENR © Mairie de Saint-Jean-Lachalm

Tirer le fil jusqu’au chanvre

Le maire de Saint-Jean-Lachalm aurait dû tirer le fil jusqu’au bout. Il l’a fait, depuis d’autres pelotes. Rénovés, une dizaine d’appartements sont chauffés par géothermie. L’école l’est par une pompe à chaleur qui utilise le différentiel de température entre l’eau de sources souterraines et l’air extérieur. « En hiver, il n’y a souvent que 2 degrés d’écart mais, compte tenu des volumes qui passent dans la pompe, ça chauffe l’école ! » Trois cent vingt lampes de 250 watts éclairaient les rues, elles sont aujourd’hui 210, descendues chacune à 18 watts. « On peut les programmer, on pourrait ne pas les allumer du tout, ou par endroits, mais c’est difficile pour les habitants. » L’énergie, c’est avant tout une question d’économies. Apprendre à moins consommer, utiliser des appareils qui consomment peu, vivre dans des maisons économes. Des logements fortement isolés, dans l’idéal par des matériaux peu toxiques qui poussent tout seuls et assez faciles à mettre en œuvre, tels que le chanvre. On en faisait des vêtements, certains en fument, les artisans l’aiment pour ses vertus isolantes sous forme de panneaux ou d’enduit à la chaux. Tirant ce fil de la transition énergétique, Paul Braud a donc relancé la culture du chanvre qui, comme partout, existait avant sur le territoire…
« On a une dizaine de producteurs, qu’on a aidés en finançant les semences la première année et aussi, avec les techniciens de la chambre d’agriculture, en les accompagnant sur le process cultural. » Poussant tout seul sans produits chimiques, le chanvre a dévoilé un autre charme très attirant pour les agriculteurs : « Il nettoie les parcelles. L’année après sa récolte, il n’y a plus d’adventices [mauvaises herbes] ! Même si, après, on plante des lentilles, les agriculteurs nous disent qu’ils n’ont plus besoin de les pulvériser. » De 7 hectares, on est passés à 30, néanmoins il en faudrait 50 pour que la filière du chanvre soit rentable. « En fait, on n’a toujours pas de débouchés. Du coup, les agriculteurs ne vendent que la graine, pour les oiselleries ou pour faire de l’huile. C’est malheureux, car la paille de chanvre, qui sert d’isolant, est importée du Maghreb. Elle est moins chère, mais elle attend des semaines en fond de cale et arrive donc de mauvaise qualité. » Devenu maire un peu au hasard, Paul Braud se souvient de son enfance qui lui a appris une chose simple : la nécessité de trouver des ressources par soi-même. Il y est presque parvenu avec son village en puisant d’abord à sa principale ressource, l’intelligence des gens.

ITV de Paul Braud en 2017, ©Ligue EnR sur YouTube.

Couverture Rencontres avec des écolos remarquables Delachaux & Niestlé
© Delachaux & Niestlé