
Los Angeles est en feu et la France est toute rouge.
C’est un réflexe conditionné : lorsque les présidentielles arrivent aux États-Unis, c’est comme si nous Français allions bientôt voter, les élections envahissent les médias, les directs s’additionnent et on se demande un moment où sont les bureaux de vote. Là, c’est le feu, alors ça devrait nous brûler. Parce que c’est l’Amérique, à qui, depuis Omaha beach, nous devons une certaine soumission.
Une soumission à sa culture populaire née à et diffusée depuis Los Angeles. La capitale mondiale du cinéma est en feu, celle qui inonde le monde de films catastrophe où elle se met en scène, elle et tous les lieux des pouvoirs américains qui sont un peu devenus à longueur de films les lieux du pouvoir mondial. Ces incendies sont des mises en abîmes des blockbusters où Los Angeles, New York ou San Francisco sont ravagés par la Bombe, un volcan, un tsunami, un tremblement de terre, la glace et, en définitive, des incendies. Hollywood est entrée dans ses fictions.
Voilà qui nous fascine. Contrairement à l’eau qui envahit, le feu, c’est beau, car… c’est beau, et à un moment il s’arrête. Après avoir débarrassé, épuré, assaini : le feu est une rédemption et une punition. Il a un bon visage. Après avoir fait table rase, on pourra mieux construire et vivre différemment. Et la nature revient toujours, comme l’a montré l’Australie : six ans après ses grands incendies, la catastrophe écologique n’a pas eu lieu, car les espèces ont repris le terrain carbonisé. Dans notre culture judéo-chrétienne, qui plus est au pays des bondieuseries, les États-Unis, le feu a quelque chose du jugement divin. Mais puisqu’il fascine, puisqu’il est beau, nous l’oublierons aussitôt qu’il sera éteint.
Ce feu-là a eu en plus le mérite de consumer des maisons de riches. Ce qui nous plonge dans la détresse : que des riches brûlent, tant mieux pour eux, c’est une forme de justice, en même temps, ça nous embête car nous en parlons tout le temps, les riches nous excitent, nous donnent envie, ce faisant, nous oublions les milliers de maisons de pauvres et de pas assez riches qui sont parties en fumée, condamnant leurs occupants à trouver bientôt refuge dans des caravanes à Palm Springs.
Et voilà que nous nous effrayons un peu : si même les riches sont touchés, qui ne le sera pas ? Depuis la nuit des temps, les riches vivent dans l’apaisement de clôtures hautes et de murs épais, ils ont les moyens de se garantir des affres de la vie du commun et des aléas de la nature. Quand la Montagne Pelée avait donné des signes d’une éruption, en avril et mai 1902, les paysans martiniquais s’étaient réfugiés dans la ville des riches, la seule ville construire en dur, Saint-Pierre. Laquelle a pourtant été rasée en quatre-vingt-dix secondes par la nuée ardente crachée par le volcan le 8 mai 1902.
Même les riches brûlent, dans une ville où la vie est belle. Le soleil toute l’année, une lumière claire, à gauche, le Pacifique, à droite, la Sierre Nevada, la nature sauvage à portée de voiture, , des daims dans les parcs, des millionnaires en bermuda sur des planches, l’insouciance et la réussite en t-shirt. C’est embêtant, ça, car la Côte d’Azur ressemble à la Californie. Le changement climatique, via ses méga incendies, pourrait-il donc toucher le bord si plaisant de la Méditerranée ? Là où rien ne vient dire qu’il y a déjà des risques à vivre ? Là où les villas avec piscine sont presque la norme ? Oui.
La Californie en feu nous montre qu’elle sera peut-être un jour inhabitable. Comme la Côte d’Azur. Ou le Pays basque. Où en dépit des alertes de feu et d’eau, et de la hausse des franchises d’assurance le foncier continue d’augmenter parce que tout le monde veut encore y habiter.
Certes, la France n’est pas la Californie. Là-bas, le marché décide presque seul et les obligations réglementaires sont moindres. Là-bas, un, appartement familial bien placé, c’est-à-dire avec vue sur l’océan, se loue entre 5 000 et 7 000 dollars par mois. La demande est telle néanmoins qu’on a construit toujours plus loin, toujours plus haut, toujours pour avoir la meilleure vue. Dans les forêts, sans qu’il soit obligatoire de débroussailler. Dans un Comté de Los Angeles où la végétation a su profiter des inondations et des pluies récentes pour prospérer, avant de se dessécher sous l’effet de la chaleur de cet hiver. De l’étoupe, sur laquelle a soufflé le sèche-cheveux du vent venu de l’Utah, sec et chaud.
Les médias en parlent, et puis les médias n’en parleront plus. Jusqu’à la prochaine inondation. Les politiques en parlent-ils ? Non, ils ont mieux à faire dans leur fébrile travail de construction de la médiocrité parlementaire.
En 2027 se tiendront les prochaines présidentielles, hélas. Le réaménagement du territoire pour s’adapter au changement climatique sera-t-il un sujet de campagne ? Si on ne peut plus rigoler…