C’était le grand débat de Marine Stewardship Council (MSC) dans le grand amphi de l’aquarium de la Porte Dorée. Au centre de cette splendeur de l’art déco bâtie pour l’exposition coloniale de 1931, les équipes du label le plus visible portant sur la pêche en mer ont tenu conférence le 19 février, lors de la Semaine de la Pêche Responsable. Devant un public un peu clairsemé, qui préférait poser ses questions par texto plutôt qu’en levant le bras, quatre spécialistes ont débattu de l’état de la pêche, des conditions de sa durabilité, des bonnes pratiques et de l’aquaculture. La pêche peut être pérenne, à condition qu’on ne fasse pas toujours les mêmes choses… et qu’on la sorte des clichés. Choses vues et entendues.
Le constat est désolant. Si l’on met bout à bout les accroches et les chapô des médias qui relaient en général les seuls communiqués de presse des ONG, dont Bloom qui occupe presque tout le terrain, la situation est catastrophique. La mer sera bientôt plus riche en plastique qu’en poisson, et si nos petits-enfants mangent des méduses, au milieu de ce siècle, ils auront encore de la chance. La faute aux pêcheurs qui n’en font qu’à leur tête, au consommateur occidental qui mange trop, et à celui des pays émergents qui se mettent à vouloir des protéines animales. Nous vidons la mer comme nous avons déréglé le climat, avec constance et irresponsabilité. C’est mal.
Le constat est juste, à l’échelle mondiale. Oui, les ressources halieutiques sont menacées à moyenne échéance dans beaucoup de mers du monde. Mais à l’échelle de l’Europe, les choses se sont améliorées. Première nouvelle ! Certes, il est plus vendeur en France de dire que les choses vont mal, c’est d’ailleurs le fonds de commerce de la plupart des ONG qui ont fondé leur combat sur la juste dénonciation des dérives. C’est du bout des lèvres qu’elles avouent des progrès, comme si ce serait se renier.
Les chiffres sont partout disponibles, ils sont les mêmes pour les ONG, les chercheurs, les états, les pêcheurs. Ils nous disent ceci : en France, la moitié des volumes capturés en mer est issue de stocks de poissons exploités conformément au rendement maximum durable (RMD, la quantité maximale que l’on peut pêcher d’un stock sans compromettre son renouvellement), et un quart – oserait-on dire seulement – est surexploité. La pression a diminué depuis le début du siècle alors que la biomasse a augmenté de 40 % Par façade maritime, les résultats sont un peu différents. Dans le golfe de Gascogne, la surpêche monte à 36 % des stocks, la bonne gestion concerne 47 %. Celle-ci monte à 65 % en Mer du Nord – Manche Est (surpêche à 20 %) et grimpe jusqu’à 95 % en Mer de Barents et Norvège (surpêche à… 1 %) ! Elle tombe à 39 % pour la zone Manche ouest – mer Celtique – ouest Écosse (28 % de surpêche). Pas si mal tout cela. Quant à la Méditerranée, c’est une vraie catastrophe, nous y reviendrons. Rappelons qu’un stock est la fraction exploitable d’une espèce dans une zone donnée, autrement dit la ressource disponible.
Qu’on se le dise : ça va un peu mieux (chez nous)
Comment se fait-il que les choses se soient à ce point améliorées ? « Il y a quinze ans, il y a eu un effondrement des stocks, les bateaux n’étaient plus rentables, les pêcheries se sont arrêtées, cela a été la première prise de conscience », avoue Hubert Carré, directeur général du Comité National des Pêches Maritimes et des Élevages Marins (CNPMEM). « Il y a aussi un effet générationnel. Le virage a été entrepris depuis une quinzaine d’années, et on a aujourd’hui une génération plus responsable qu’avant, celle justement qui paie la facture. Ces pêcheurs nouveaux ne remettent pas en cause les diagnostics des scientifiques. Avant, les pêcheurs disaient que c’était eux qui savaient, pas les scientifiques qui regardaient la mer dans leurs éprouvettes. » La coïncidence de la chute des prises et de l’âge du capitaine a fait que depuis 1983, la moitié des bateaux de pêche est partie en retraite en même temps que beaucoup de leurs patrons. L’Europe a bien aidé en finançant des « sorties de flotte », soit la destruction de navires afin que la pression totale exercée sur les stocks européens baissât mécaniquement. En 2019, il y a environ 7 300 bâtiments en France, dont 4 500 en Métropole. Les deux tiers font moins de douze mètres, mais ils ne fournissent qu’un petit 20 % des prises : en volume la pêche française reste le domaine des très grosses unités.
Les stocks vont mieux car ils sont pêchés par moins de bateaux, alors qu’« on n’a jamais mangé autant de poissons », constate Hubert Carré. « 34 kg par an et par personne en France alors que c’était 15 kg il y a quinze ans ! » On pêche plus, mais mieux ? Professeur d’écologie marine et côtière, et animateur de l’équipe Écologie halieutique à l’UMR Écologie et santé des écosystèmes d’Agrocampus ouest (Rennes), Olivier Le Pape voit le changement. « Il y a une très nette amélioration depuis dix ans, après 40 ans de n’importe quoi : on avait une politique de paix sociale extrêmement toxique qui consistait à gérer au bord du précipice [on n’osait pas s’opposer aux pêcheurs, en clair], puis il y a eu un changement politique voulu par l’Europe à la fin des années 2000, et le Grenelle de la Mer [en 2009], ce moment où l’on a commencé à intégrer les pêcheurs… dès lors qu’ils l’ont voulu et effectivement, il y a aussi ce changement de génération. » Et puis, les statistiques sont plus fiables qu’avant. M. Le Pape a une image intéressante : « en Atlantique du nord-est, on est dans la situation de quelqu’un qui a arrêté de fumer. Les premières semaines on est irritable et on prend du poids, il faut du temps pour que la dépendance s’arrête. Pour la pêche c’est pareil. On a réduit rapidement la pression exercée sur les ressources, mais ça s’est passé après vingt ans de surexploitation, ce qui fait qu’il faut trois à quatre générations de poissons pour voir les efforts. Ce qui fait qu’on voit les efforts sur certaines ressources, et pas sur d’autres. » D’après les chercheurs, si l’on regarde les tendances, un petit tiers des stocks surexploités vont s’améliorer, et les stocks non évalués ne sont pas forcément surexploités. On est comme au milieu du gué, sur le bon chemin, même si ça peut ne pas se voir selon les espèces ou les stocks que l’on regarde. « En Manche et en Atlantique on constate une amélioration opérationnelle sur les faits. Ce n’est pas parfait, il reste des préoccupations, mais quand même ! » se réjouit M. Le Pape.
La Méditerranée n’est pas une carte postale
Responsable du programme Vie des océans WWF France, Ludovic Frère-Escoffier ne partage pas tout fait cet optimisme. De mêmes statistiques, il délivre un autre constat. « Quand on écoute Hubert Carré, on peut croire que tout va bien. Je suis un peu étonné, car on sait qu’un poisson sur deux est pêché de façon durable en France. Qu’est-ce qu’on fait avec l’autre ? Et puis, quand même, un quart [de notre poisson] est surexploité, et tout le reste n’est pas évalué. » Voir le verre à moitié vide, quand les autres se contentent de ce qui est plein. « Les choses vont bien ? Il n’empêche que chaque année, lors du grand déballage des ministres de la pêche, nous, ONG, on est obligés de se battre pour dire qu’il serait bon de suivre les avis des scientifiques ! » La tendance du monde de la pêche serait donc à l’immobilisme, alors que le WWF, martèle son représentant, défend bien entendu l’intérêt général. « Et puis, les intérêts sectoriels font que dans les négociations [entre les ministres] on donne un petit plus de part à un pays, contre un petit peu de la part d’un autre, aux dépens du poisson » ce qui semble être la nature même d’une négociation où chacun défend ses intérêts, ceux de son économie, dans une Europe qui est un assemblage de nations souveraines.
Ludovic Frère recueille l’assentiment de ses collègues. Une situation incroyable : « 90 % des stocks y sont surexploités ! On le sait depuis de nombreuses années, rien ne change, pourtant, la pêche là-bas ne fait pas partie des règles communes de pêche. Il y a bien des prud’homies qu’on donne toujours en exemple, celles du Var, mais ça ne concerne pas tout le monde. » C’est le moins qu’on puisse dire. Les côtes de la Méditerranée savent parler d’elles-mêmes : la pêche y est le fait de petits artisans laborieux qui avec leurs pointus colorés animent de leurs bruits de moteur et de leurs coques colorées les aubes de la Côte d’azur ; comment voulez-vous que ces pêcheurs prennent trop ! ? Ils sont trop petits ! Trop peu nombreux ! Sauf que l’image est d’Épinal. On peut surexploiter une mer avec des bateaux qui ne sont pas des unités de 50 mètres de long. Olivier Le Pape confirme le constat : « vous savez, pour fabriquer un quota, il faut une évaluation des stocks, qui est basée sur les débarquements. Les pêcheurs doivent donner leurs statistiques de débarquements, c’est la loi. À cela, on ajoute des données scientifiques qui permettent d’avoir une vue distanciée, en tenant compte notamment des zones où les pêcheurs ne vont pas. On fait aussi des comptages complémentaires en association avec les professionnels, sur l’anchois du golfe de Gascogne par exemple. Mais le gros de l’évaluation de la pêche est basé sur les données d’exploitation. Or… la Méditerranée, c’est le parent pauvre sur la disponibilité des données : ce n’est pas spécialement traditionnel de donner ses captures en Méditerranée. » C’est joliment dit. On fraude et on s’en fout.
Cela pourrait toutefois changer l’an prochain, car la Politique commune de pêche (PCP) va, enfin, s’appliquer à la mer sans marées. Un « effort de pêche quantifiable » pour certains stocks dans la zone qui s’étend le long de la mer d’Alboran Nord, du golfe du Lion et de la mer Tyrrhénienne. Baléares, Corse et Sardaigne incluses. Cet effort est en train d’être rédigé dans le cadre d’un plan pluriannuel de gestion de la pêche en Méditerranée occidentale, qui a vocation à remplacer les programmes nationaux de la France, de l’Espagne et de l’Italie. Bel effort, car si cette partie de la Méditerranée ne représente que 31 % des débarquements (évalués à la louche, vous l’avez compris), ils représentent une grande valeur commerciale, dans la mesure où les populations riveraines ont quelque moyen financier. C’est là qu’on estime à 80 % la part de stocks surexploités.
Pêcher moins, plus souvent ?
Ce chiffre à l’esprit, peut-on envisager une pêche durable ? A priori, présentée comme elle est dans les médias, c’est impossible. Les pêcheurs sont des chasseurs qui prennent tout ce qu’ils peuvent sur une mer qui n’appartient à personne. Res nullius, res communis, la loi du premier arrivé et du plus fort. Les pêcheurs seraient, aux yeux de certains, d’incorrigibles prédateurs. Qu’est-ce qu’une pêche durable, d’ailleurs ? Est-ce, comme le développement durable, un mot-valise où l’on met ce dont on a envie ?
Selon Hubert Carré, c’est d’abord proscrire des méthodes de pêche… non durables. Un joli truisme. « Il y a des engins dans le collimateur de certaines ONG [comme le chalut de grand fond], pourtant, il n’y a pas de mauvais engin, mais de mauvaises utilisations. C’est quelque chose de fondamental. » Donc, apprendre à mieux faire avec ce qu’on a. C’est valable y compris pour les scientifiques, suggère Hubert Carré qui note, « qu’avec le thon rouge, on s’est tous bien plantés. Il y a eu une sacrée erreur d’évaluation ! On avait dit que l’espèce était en extinction en Méditerranée. Or 4-5 ans après le moratoire, on a vu revenir des thons de 500 kg ! Avec une biomasse supérieure à ce qu’elle était dans les années 1950… C’est impossible en si peu de temps… » Conclusion : il faut rester humble avec le vivant, d’autant qu’en l’espèce, on n’avait pas vu un stock de reproducteurs planqué en face du détroit de Gibraltar, qui a ensuite essaimé en Méditerranée. Olivier Le Pape est assez d’accord. Il confirme les plantages : « La variabilité naturelle n’est pas prédictible. Ce qu’on sait est que lorsqu’on a une situation de surexploitation comme il y a vingt ans, on a des ressources qui vivent sur des classes d’âge très limitées. À l’époque, on avait une sélectivité mauvaise et une exploitation trop forte, de ce fait on avait dans les filets les poissons de l’année dernière, ceux de l’année d’avant et un peu de l’année encore avant. Alors que si on laisse les poissons vivre longtemps on va moins se planter car la dépendance à l’année d’avant est moins forte, et on connaît mieux les effectifs de l’année encore avant. » En clair, la sélectivité et le moindre effort de pêche lissent les fluctuations naturelles des populations de poissons, qui font que l’abondance d’une classe d’âge peut varier de 1 à 20 d’une année à l’autre ! « Il faut quand même avoir cela en tête : quand on diminue l’effort de pêche, soit on a de la chance comme avec le merlu et le thon rouge qui se reconstitue rapidement avec de fortes classes d’âge, soit on n’a pas de chance et ça peut être long d’obtenir des effets positifs, » prévient Olivier Le Pape.
On a compris, la pêche durable est sélective et humble, ou elle n’est pas. On ne connaît pas tout, tant s’en faut, si ce n’est l’impact déterminant du bon geste : « La fréquence de pêche ne change rien, la sélectivité est un facteur déterminant, c’est-à-dire les maillages des engins et les tailles limites des poisons » selon M. Le Pape. Par ailleurs, faire des coups de chalut moins longs, cela donne du poisson de meilleure qualité. Au cœur d’un chalut plein à ras bord, le poisson est écrasé, il ne se vendra pas. Dans l’idéal, les pêcheurs donnent des coups de chalut plus nombreux, mais remontent des filets dont le remplissage ne porte pas préjudice à la qualité du poisson. Moins de pertes, plus de bénéfices. « Travailler moins, en définitive, pour gagner plus ! » Après, c’est une question politique, poursuit Olivier Le Pape. « Du point de vue du poisson, que l’on ait cent bateaux qui vont en pêche deux jours par an, ou deux bateaux qui vont en pêche cent jours par an, c’est pareil, c’est une question de gouvernance. Comment on répartit le gâteau, ce n’est pas un problème d’écologie, mais de politique. »
De même, la réglementation des arts de pêche. L’Europe a interdit la pêche électrique, et il a été reproché aux pêcheurs français de ne pas l’avoir soutenue. Hubert Carré se défend : « les Hollandais ont eu, pour des raisons qu’on ignore, l’autorisation d’avoir un protocole expérimental pour quatorze navires. En fait ils étaient 82, et nous, on a dit à l’Europe, d’accord pour qu’ils restent dans le protocole scientifique, mais qu’ils pêchent chez eux, qu’ils ne viennent pas en France, et qu’ils apportent la preuve de l’innocuité de cette pêche. Si vous voulez, on se voyait mal, nous comité national demander à l’Europe d’interdire une pratique d’un seul pays. C’est comme si la Hollande demandait l’interdiction de la pêche pélagique sous prétexte de prises accessoires de dauphin [alors que les Pays-Bas n’ont pas de grands fonds où pêcher de la sorte]. On a dit qu’on n’était pas d’accord pour une pêche électrique dans les eaux françaises. » Et puis, l’autre aspect c’est que la pêche électrique n’est pas, quoi qu’on en dise, l’enjeu majeur de la pêche dans le monde.
Si l’on pêche deux fois moins, la biomasse triple, et on attrapera demain 20 % en plus, voilà le message envoyé lors de cette soirée MSC. Une approche prudente pour atteindre une durabilité d’autant plus urgente que le climat désormais s’en mêle. « Nos amis hollandais pêchaient du hareng et maintenant du rouget barbet, et dans le Golfe de Gascogne on capture une bonne partie de l’année du maigre qui fréquentait plus les côtes ouest-africaines. Tous les stocks ont actuellement tendance à migrer vers le nord (Norvège et en Islande), le changement climatique bouleverse les modèles mathématiques », constate Hubert Carré. Olivier Le Pape confirme : « on a des dérives d’espèces comme la morue en mer Celtique qui est en train de disparaître, mais pas en mer de Barents ou au Labrador. En fait, avec le réchauffement, les espèces en limite sud de leur répartition sont en train de disparaître. C’est l’inverse pour les espèces en limite nord, comme le maigre qui remonte » à mesure que son aire de répartition s’étend vers le nord.
L’angoisse de l’étal : que choisir ?
Autre façon de pérenniser la pêche, la consommation de poisson. Pour Ludovic Frère, c’est un élément essentiel, et efficace. « Aujourd’hui, la consommation de poissons, c’est beaucoup trop. Il faudrait que ce soit trois fois moins. On est en situation d’obésité. Et puis il faudrait changer les espèces que l’on mange : on prône une diversification des espèces, et la réduction des protéines animales au WWF. » En clair, se sortir des sempiternels saumons, cabillauds et bars pour acheter des mulets, ou bien des sardines et des maquereaux, des poissons pleins d’omega-3, aux effectifs riches pour certains stocks, et qui ont le bon goût de ne pas coûter cher. Tout en faisant attention à l’endroit où ces poissons sont attrapés… rendez-vous sur le site web du WWF pour avoir les bonnes recommandations, avec des pastilles colorées.
Le consommateur doit aujourd’hui détenir un solide capital culturel pour faire correctement ses courses. A-t-il cependant le temps de consulter le web sur son smartphone quand il passe devant le rayon poissonnerie du supermarché ? A-t-il même les bonnes informations sur place ? Les poissonniers n’affichent pas toujours les provenances ni les arts de pêche utilisés, en dépit de la réglementation. « C’est compliqué de tout demander au consommateur », reconnaît Édouard le Bart, directeur Adjoint Europe du Sud et « AMESA » (Africa Middle East South Asia) de MSC. « Sa connaissance du sujet augmente. Les enquêtes montrent que 80 % d’entre nous disent qu’ils sont conscients que leur façon de consommer a un impact. Ils ont par contre du mal à savoir ce qu’est un poisson durable. » Le label est là pour cela, on s’en doute. « Je ne vais pas dire le contraire ! Le label c’est une bonne idée, car le consommateur a 5 secondes pour choisir un poisson, et 80 % des poissons sont achetés en grandes et moyennes surfaces (GMS). Moi, personnellement, je ne fais pas mes courses en ouvrant un smartphone. Il faut donc donner une information simple, facile à intégrer. Le label MSC, par exemple. Rigoureux, indépendant, transparent. C’est une des solutions. »
Pas parfait, avoue sans peine M. Bart, mais c’est le label le plus reconnu, depuis sa naissance il y a vingt ans. Le plus décrié, donc. On lui reproche, classiquement, d’être vendu au grand capital. Quelles sont vos sources de financement ? « On en a deux. D’abord, les trois quarts sont les 0,5 % de redevances versées par les marques, ensuite des Fondations, et puis des fonds publics. Ce budget est utilisé pour payer les scientifiques, pour améliorer les choses. Les pêcheries ne paient pas pour l’utilisation du label, » elles paient par contre les agents qui viennent les contrôler, pour obtenir leur certification – même principe que pour les agriculteurs en bio. Mathématiquement, MSC perd des sous s’il retire sa certification à une marque, on peut se douter que cela peut-être embarrassant. Cela crée de la suspicion chez les ONG. Bloom par exemple qui en décembre 2017, dénonçait la certification par MSC de la pêche au chalut de grand fond du Hoki, en Nouvelle-Zélande. L’organisation de Claire Nouvian y allait au harpon : « MSC vient de prendre une décision fatale à sa crédibilité… MSC est officiellement devenu une imposture… ils pourraient labelliser la chasse à la baleine, cela ne nous étonnerait plus. Tout est désormais possible avec eux… ». Édouard le Bart, en habitué, répond sans peine : « on a le même référentiel pour tout le monde, qui est basé sur l’état des stocks. Ce n’est pas un système basique conforme/ non conforme, car il est fondé sur une trentaine de critères notés, chacun de zéro à cent. On n’est pas non plus manichéen, on regarde les choses sur du cas par cas. Sur le hoki, justement, on l’a certifié avec des chaluts de fond, sur des stocks certifiés dès 2001, qui depuis ont plus que doublé, et se trouvent aujourd’hui au-dessus du RMD, qui plus est sur une zone de chalutage ultra-limitée. »
Le consommateur doit faire attention, aux espèces, aux provenances, aux méthodes utilisées, à la taille, aussi (un poisson manifestement trop petit n’a pas eu le temps de se reproduire…), et si possible au label MSC, le Label rouge n’est pas mal non plus. Une fois encore, dans notre société individualiste et accusatoire, seul le consommateur a la main. La solution, c’est lui et uniquement lui. Donc, si les choses empirent, c’est qu’il n’a pas bien écouté, ne comprend rien, s’en fout, a mal agit.
Et le distributeur, alors ? Et le poissonnier ? C’est en cours, nous dit Édouard Le Bart. Un peu tard pour le second, alors que cela fait une dizaine d’années que MSC travaille avec le premier. « Toute la difficulté c’est d’avoir une chaîne qui permet d’avoir la traçabilité et l’explication, du poissonnier au consommateur, » avance Hubert Carré. Qui ajoute un point de bon sens : « de toute façon c’est le prix qui détermine l’achat. L’évolution nette c’est que le poisson est consommé par des gens de plus 50 ans, et que ça monte chez les 25-35 ans, mais sur des achats plaisir et raisonné, le week-end. » Attention donc à bien convaincre, sans passer par la culpabilisation, usée jusqu’à la corde et qui porte peu de fruits ; tout en maintenant les prix. Il ne s’agirait pas comme s’en sont inquiétés les intervenants, que le poisson issu de pêches durables devienne un marché de niche pour les plus riches. Le poisson de qualité doit aussi pouvoir se manger à la cantine et se trouver à la poissonnerie de l’hypermarché, « toute l’année et pas qu’en vacances », pour reprendre le mot d’Édouard Le Bart.
De l’élevage hors-sol
L’autre solution, c’est l’aquaculture, qui elle aussi a son petit label, délivré par le petit frère de MSC, ASC, Aquaculture Stewardship Council. Aquaculteur pas encore certifié, Pascal Goumain représentait également le Syndicat Français de l’Aquaculture Marine (SFAM) lors de la conférence du 19 février. Le label ASC ? « Il est basé sur la densité de l’élevage, les aliments doivent être issus de la pêche durable, il faut aussi limiter les médicaments, pas de pesticides, en résumé, ne pas dépasser la limite qui conduirait à l’intensification. » Laquelle est un risque, car comme le remarque Olivier le Pape, « les volumes de poissons issus d’élevages ont depuis 1960 été multipliés par 60, avec 8 à 9 % de croissance par an. Aucun autre marché alimentaire n’est à ce niveau de croissance ! » À part le bio depuis quelques années. « Ce n’est pas compliqué : l’aquaculture est la seule solution pour répondre à l’offre : on produit plus qu’il y a quinze ans, en utilisant moins de ressources. Il faut 5 kg d’aliments pour faire un saumon alors qu’il en fallait 7 auparavant. » Pourquoi s’inquiéter, alors ?
C’est que l’aquaculture utilise justement d’autres poissons, pêchés en mer, pas toujours de façon durable. Le fameux anchois du Pérou par exemple, longtemps source majeure de protéines pour les saumons que nous mangions avant à Noël, et que nous avons sur nos tables désormais en toute saison. « C’est vrai, il y a cela dit de plus en plus d’huiles, de coproduits de la pêche [des déchets], de végétaux, et même d’insectes », se défend M. Goumain. Qui pointe un autre problème : celui de la faible acceptabilité sociale de l’aquaculture en France : « notre pays a été pionnier avec l’Ifremer, sur l’élevage de poissons, mais voilà, le problème est que personne ne veut de fermes aquacoles sur les côtes, on ne veut que du tourisme ! » C’est une plainte que déposent volontiers les conchyliculteurs, qui ne trouvent non plus de place pour s’étendre : dans la carte postale, ils font tache. « Il y a autre chose. On ne veut pas de nous, et en plus la réglementation nous entrave. En France, nos établissements sont classés à partir d’un seuil de 20 tonnes, alors que le seuil dans les autres pays européens est en général de 800 tonnes », du coup, une exploitation moyenne ne peut selon M. Goumain faire plus de 15 ha alors qu’à Madagascar, pays de forte production de crevette, on est facilement à 100 hectares.
Allez au large faire vos affaires, c’est le message que la société envoie aux aquaculteurs. « L’avenir serait l’off-shore, l’aquaculture loin des côtes, on nous dit. Avec de l’aquaculture multitrophique intégrée, qui au même endroit produit coquillages, algues et poissons [chacun profitant des déchets de l’autre]. Mais encore faut-il qu’on ait des concessions ! Et puis le large, c’est très cher, c’est 100 millions d’euros, ce n’est pas à la portée des pisciculteurs. » Le développement de l’aquaculture, en réponse à l’appétit insatiable des consommateurs pour les produits de la mer, pourrait demain passer par son industrialisation. À moins « que le in-shore se développe ! C’est ce que je fais, des fermes aquacoles en pleine terre, en circuits fermés. » Du hors-mer comme du hors-sol, mais avec quand même de l’eau, où l’on pourrait élever autre chose que du saumon et du bar, des prédateurs qui nécessitent beaucoup de protéines. Après tout, en Asie du sud-est, on mange des poissons herbivores et des algues, élevés et récoltés de façon extensive, et on ne peut pas dire que les populations manquent de protéines ni que les milieux aient été plus abîmés que chez nous. Reste à convaincre le consommateur de manger du brouteur plutôt que du prédateur.
La symbolique n’est pas la même. Mais après tout, nous mangeons des vaches, pas des loups.