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INFOLETTRE N°96

 La ruée vers l’or vert, en quête de biomasse/ 2de partie, la concurrence pour le foncier…

Avr 16, 2021

Pour finir la semaine, voici la seconde partie de ma série de cinq sur la biomasse.
Je vous en rappelle le contexte.
En novembre 2020, j’ai pu participer à 5 débats sur la biomasse organisés par Entreprises pour l’environnement (en encadré dans le texte les partenaires financiers de l’opération), dans le cadre de la rédaction d’un long texte sur la question. La biomasse, tout le monde en veut, c’est vertueux, plein d’avenir, et pourtant on la connaît mal. Elle révèle toutes nos contradictions : se chauffer au bois, c’est écolo, mais couper un arbre, c’est mal ; la méthanisation cela évite le gâchis, pourtant, cela pourrait encourager l’intensification ; tout cela est très naturel, mais on résume quand même la nature à un contenu en kWh ou en carbone. Quid de la biodiversité, d’ailleurs, et des sols ? Appelons cela le syndrome de l’éolienne : oui, éventuellement, mais pas chez moi, traînons les pieds car en fait, ça me gêne. La ruée n’est donc pas encore là, mais elle pourrait advenir car à force de lenteur, la transition énergétique pourrait un jour donner à tout ce qui est vert la valeur de l’or, celle de l’urgence à agir trop tard. J’ai eu la satisfaction de constater que tous les acteurs présents à ces débats y allaient doucement, bien conscients de marcher sur les œufs de l’acceptabilité sociale et des nombreuses incertitudes scientifiques. Les usages possibles, les conséquences sur les sols, l’agriculture comme gisement, l’exploitation des forêts, la bonne gouvernance d’une biomasse très territorialisée, voici les thèmes qui ont été abordés et qui, réunis, forment un joli texte de 64 pages. 

La ruée vers l’or vert

Quelle gouvernance de la biomasse ?

2de partie : Quelle place pour les hommes et leurs activités ?
 

© Frédéric Denhez pour EpE

La publication d’Epe se trouve .

Le webinaire de présentation du dossier, c’est par là, et tout en bas de ce papier. Vous verrez que j’ai eu une coupure d’Internet durant une demi-heure. 

Les débats qui m’ont permis de rédiger cette enquête sont ici.

La biomasse occupe de la place. Or, la place, tout le monde la veut. La concurrence est féroce entre villes et campagnes, entre cultures et nature. Sans retenue, le prix de l’immobilier pousse à transformer les sols agricoles en lotissements et en zones d’activités. Sans définition juridique véritable, les sols n’ont pas de valeur intrinsèque et n’existent finalement que lorsqu’ils sont transformés en quelque chose de rentable… et la biomasse n’est pas forcément l’option la plus attractive. Sans niveau de vie suffisant, les agriculteurs sont poussés à vendre au plus offrant. La biomasse, c’est aussi une question d’aménagement du territoire… et de fiscalité.

L’artificialisation, cette inconnue

L’État l’a dit, les Régions le répètent, l’artificialisation, c’est terminé ! Il faut que demain, c’est-à-dire en 2050, les collectivités se développent avec en tête le ZAN, le zéro artificialisation nette : demain, pas un mètre carré de terre agricole supplémentaire ne sera bétonné. Il faudra construire sur l’existant. « C’est un sujet qui ne concerne aujourd’hui que les urbanistes et l’immobilier. Or, ça nous concerne tous, à la fois en rapport avec le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité », rappelle Julien Fosse, chef de projet agriculture et biodiversité à France Stratégie. Le ZAN, c’est une façon, une obligation d’arbitrer des usages, et d’intégrer l’aménagement du territoire dans les politiques d’atténuation des désordres environnementaux.

Encore faut-il savoir de quoi on parle. En France, les zones imperméabilisées couvrent 5,5 % du territoire métropolitain, contre 4 % en Europe. Cela fait 47 km2 pour 100 000 habitants, un chiffre très élevé par rapport à l’Italie (41), au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à l’Espagne (moins de 30). La France est fort bétonnée.

Toutefois, le chiffre n’est qu’indicatif, Julien Fosse est clair : « il dépend de la méthode de mesure ! Selon que l’on prend le satellite avec Corine Land Cover, les enquêtes de terrain avec Teruti-Lucas ou les fichiers fonciers, l’artificialisation se situe entre 16 000 à 64 000 hectares par an. » Un écart immense, étonnant dans un pays tel que le nôtre qui mesure et surveille tout. Un écart auquel il faut ajouter la marge d’erreur, d’autant plus élevée que le territoire est peu dense, rural. France Stratégie a opté pour les fichiers fonciers, et retenu le chiffre de 20 000 ha d’espaces dits « naturels, agricoles et forestiers » qui disparaissent chaque année au profit de l’urbanisation.

Ces Enaf, comme il faut dire en langage administratif, ne satisfont personne, car ils enferment les usages des sols en deux catégories simplistes, avec ou sans couverture étanche, présent ou pas en zone urbaine. Un parc urbain est ainsi qualifié d’artificiel tandis qu’un champ de pommes de terre immense est considéré au même titre qu’une prairie permanente. Depuis la publication d’un rapport commun Inrae/ Iffstar en décembre 2017 qui avait fait date en dévoilant la méconnaissance générale de l’usage des sols liée en grande partie à cette définition grossière, tout le monde travaille à une nouvelle typologie, et tout le monde y est encore, au point que le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat comporte un article (le numéro 46) mentionnant… le besoin d’une définition de l’artificialisation.

R et D

Il n’en reste pas moins que « la tendance est plus intéressante que le chiffre absolu, » assure Julien Fosse. Elle est forte : depuis 1981, les zones artificialisées ont crû de 70 %, la population de 19 % seulement. Et cela continue, de manière « hétérogène sur le territoire : l’artificialisation concerne surtout les métropoles et les zones côtières, pas la diagonale du vide. » Le stock d’Enaf est en fait très important, en dépit du taux d’artificialisation qui l’est tout autant. « Il y a aussi, en réalité, des dynamiques locales, et donc les politiques publiques qui doivent être adaptées aux contextes locaux. » La répartition des usages est par exemple différente d’un territoire à l’autre, même si la hiérarchie est à peu près la même : l’habitat est responsable de 42 % de la couverture des sols, les transports de 28 %, et le foncier économique, y compris bâtiments agricoles, de 14 %. Par contre, dans le département de la Manche, c’est bien l’agriculture qui est responsable de l’artificialisation de terres, devant les centres commerciaux ! Une certitude depuis que l’observatoire Vigisol, mis une place par la Safer de l’alors Basse-Normandie, a commencé à ausculter la Normandie en 2011 depuis le ciel, avec une résolution de l’ordre du mètre. Preuve qu’il est possible de savoir précisément l’usage des sols, sans attendre les résultats de l’Observatoire national de l’artificialisation des sols mis en place en 2019 par l’État.

Julien Fosse a travaillé sur l’identification des bons leviers afin que l’artificialisation recule au profit de la densification. « On s’est demandé comment on peut réaliser le ZAN. Si on ne fait rien, on sera toujours à 20 000 ha/ an de terres artificialisées en 2030, soit le Luxembourg disparu en dix ans. Si l’on augmente par contre un peu le taux de renouvellement urbain à 0,5 [il est de R = 0,43, c’est-à-dire que 43 % des constructions nouvelles se font sur des sols déjà artificialisés] et le taux de densité à 0,3 [il est de D = 0,16, sur une parcelle de 1 000 m2, on a 160 m2 de bâti, avec 0,3 on ajoute en gros un étage], on tombe à 9 200 ha. Avec un R à 0,6 et un D à 0,4, on passe même à 5 500 ha », soit une division par 4. Densifier, renouveler, voilà qui est souvent redouté par les élus locaux et leurs administrés qui y voient un risque de promiscuité.

Et la qualité des sols ! ?

« La question n’est pas qu’une histoire de foncier, l’urbanisation étalée a un impact carbone important : quand des milliers d’hectares partent chaque année, ce sont des distances domicile-travail qui s’allongent, ce qui augmente les émissions de carbone, et puis un stockage de carbone qui disparaît avec la perte de terres agricoles. » William Aucant nous ramène les pieds sur terre. Urbaniste, il fait partie des 150 personnes tirées au sort pour constituer la Convention citoyenne pour le climat (CCC). « Cent cinquante portraits d’une France en miniature, » comme il le dit joliment, des portraits répartis en cinq groupes. Le tirage au sort l’a judicieusement placé dans le groupe « se loger » qui traite de l’artificialisation. « La question sur la définition de ce qu’est l’artificialisation est moins importante que les externalités négatives qu’elle masque, il ne faut pas se tromper de débat ! » La question serait même stérile, sans fin, selon Sandra Moatti qui trouve la notion trop complexe, très ambiguë, ce qui fait du ZAN un objet lui aussi ambigu. Pour la directrice de l’Institut des hautes études d’aménagement des territoires (Ihedate), « on parle de sanctuarisation des ENAF pour atteindre le ZAN, mais ça ne va pas forcément de pair avec la gestion des eaux pluviales et la biodiversité, car l’agriculture, quand elle est intensive, n’assure pas ces services, alors que des sols dits artificialisés peuvent avoir des qualités si les maisons ont des jardins, » avance-t-elle. La définition a quand même une certaine importance. « Tous les sols artificialisés ne sont pas imperméabilisés, ce qui importe, c’est la nature des perturbations, et leur positionnement. » Selon qu’ils interrompent ou non des corridors écologiques, les sols artificialisés n’ont pas le même impact. Il faudrait tenir compte de cela, ainsi que de la qualité des sols « qui pourrait déterminer ce qu’on va faire d’un sol de manière plus pertinente. L’idée serait d’avoir plus qu’aujourd’hui des indices de qualité des sols… » ne serait-ce que pour repérer les sols de haute valeur agronomique. Voilà longtemps qu’on en parle, de cette idée d’intégrer un indicateur de qualité des sols dans les documents d’urbanisme et de planification. Il y a bien l’agglomération de Tours qui l’a fait, la ville de Gardanne aussi, et beaucoup de collectivités normandes qui ont intégré la qualité agronomique dans leurs Plu, PLUi ou Scot. Ces collectivités restent toutefois très minoritaires.

Injonctions contradictoires

Le Puca (Plan, urbanisme, construction, architecture) analyse ce que les collectivités font ou ne font pas en matière d’usage des sols. « On observe, on teste, on regarde leurs stratégies. On teste les applications concrètes sur le terrain », explique Hélène Peskine, la secrétaire permanente de cet organisme de recherches interministériel. Se plaçant à l’interface entre les usagers du sol, l’administration centrale et les collectivités, le Puca a identifié des « démonstrateurs : on a une dizaine de villes moyennes qu’on accompagne dans leur stratégie ZAN. » À Rouen, il y a par exemple l’écoquartier Flaubert, modèle par excellence de ZAN selon Madame Peskine. « C’est une requalification de friches, un projet implanté sur la rive gauche industrielle de la Seine, il y a eu dépollution en lien avec l’aménagement paysager, l’équipement des berges et le quartier populaire de la ville-centre… Et ça se trouve à quelques centaines de mètres de l’usine Lubrizol et de l’entrepôt qui a brûlé. » Pas de chances. Tout s’est arrêté depuis l’accident. « C’est l’exemple typique des injonctions contradictoires, dont on prend conscience sur le terrain. On veut maintenir ou réimplanter l’industrie en ville, afin d’éviter l’étalement, mais ce sont des activités qui peuvent être dangereuses et sont très réglementées… » C’est surtout la peur que nous avons tous de la réhabilitation des friches, une façon de faire pourtant courante en Allemagne et en Angleterre. Comme un tabou, qui peine à être levé, sauf là où le foncier est si cher et rare qu’il n’y a pas d’autres solutions :  la proche banlieue de Paris est construite pour l’essentiel sur d’anciennes industries lourdes et très polluantes. À Rouen, c’est 92 hectares coincés entre les ponts Flaubert et Guillaume-le-Conquérant qui sont promis à devenir une zone multiactivités, industrielle, commerciale et résidentielle, avec de quoi loger 20000 personnes.

Autre démonstrateur, Cognac. La coopérative des vins veut agrandir ses chais. Or, ces derniers avaient été chassés de leur implantation historique en centre-ville pour des raisons de sécurité. Comment en rajouter, les étendre, les rapatrier alors que les normes de sécurité qui s’appliquent, celles des installations classées, interdisent précisément une telle « densification » ? Une sorte de patate chaude en vérité car à Cognac comme à Rouen et en banlieue parisienne, l’exclusion des industries polluantes des villes-centres a été annulée par l’étalement urbain jusqu’au abord des usines. « Et pourtant les entreprises veulent participer, pour leur image de marque, à un projet responsable du point de vue environnemental. C’est la quadrature du cercle… C’est pour cela justement qu’on fait des expérimentations. Tester sur le terrain des solutions spatiales concrètes avec les acteurs locaux. Mesurer les risques et les objectifs pour trouver les arbitrages les plus satisfaisants. » Économiser le foncier est une tâche qui se heurte à des impossibilités concrètes liées à la contradiction entre les textes réglementaires, la lourdeur des frais à engager (dépolluer un sol est hors de prix) et la cruelle inertie des habitudes. Qui plus est, chez les élus locaux « l’injonction nationale du ZAN peut être mal ressentie et elle est assez peu outillée. L’élu est donc dans le flou ! » Il y a un besoin pressant de les former, pour les rassurer. Afin d’espérer pouvoir inverser les modèles de pensée de façon qu’on puisse réinvestir les centres-villes.

Bercy contredit l’État qui contredit le terrain

Le levier est peut-être fiscal. À écouter Guillaume Sainteny, professeur à l’Ecole polytechnique, on se dit que le temps est long d’ici qu’il apparaisse un intérêt à utiliser les sols de façon mesurée. Premier exemple, la location. « La taxation de la location en France est la plus élevée d’Europe. En plus on favorise fiscalement le neuf ! Comment voulez-vous faire du renouvellement urbain ? » D’autant qu’un propriétaire bailleur, qui possède un ou deux appartements, a peu de moyens légaux pour répercuter le coût de la rénovation, énergétique ou autre, de ses biens sur le montant du loyer. Ceci explique en partie la dégradation des logements de centre-ville, ainsi que le taux de vacances énorme : à 8 %, il est très élevé, alors qu’en Allemagne il est de 5%. Il y a plus de 3 millions de logements vacants, 90 000 de plus chaque année. « Cela veut dire que plus d’un quart des constructions neuves sert à vider les logements anciens ! Les raisons sont multiples : il y a la préférence pour le neuf, pour la maison, entretenue par les promoteurs, il y a le besoin des agriculteurs en retraite de compléter ces retraites par la vente de parcelles très valorisées quand elles deviennent constructibles, il y a surtout une fiscalité croissante, avec un rendement locatif décroissant. Du coup de moins en moins de logements sont mis sur le marché de la location. » Y compris par les bailleurs sociaux : dans un rapport récent, la Cour des comptes calcule qu’une diminution du taux de vacances dans le logement social apporterait une année entière de construction. Il existe donc un grand gisement de non-artificialisation.

Second exemple, le projet de loi de finances 2021 (PLF21) : « Il y a un outil très opérationnel qui est le versement pour sous-densité, le VSD. Il donne la possibilité aux collectivités de majorer la taxe d’aménagement jusqu’à 20 %, là où elles veulent plus de densité. Eh bien, dans le PLF21, le VSD a été supprimé. On a aussi dans le PLF l’exonération de la Cotisation foncière des entreprises (CFE) pendant trois ans sur les nouvelles implantations et les extensions. C’est bien, car cela diminue les charges fiscales de production mais le législateur a choisi d’alléger le seul impôt de production qui incite à économiser le foncier ! » Cette exonération est une incitation à faire pousser entrepôts, data centers et drives : ce que dit le ministère de la transition écologique, Bercy le contredit. « Sur la CFE pour les grands entrepôts, je peux vous dire qu’il y a eu un bras de fer entre les membres de la CCC et les ministères, » témoigne William Aucant, « le gouvernement danse sur deux pieds. On sera très vigilant. »

C’est paradoxal, le message de l’État en matière de désartificialisation est très net, se traduisant par des instructions claires données aux préfets ; il est pourtant contredit par la réalité des choses, de la fiscalité et d’autres règles. : à l’échelle régionale, il y a le Sraddet, « conçu pour mettre en cohérence les documents de planification, les exigences et ambitions portées par les Scot, les PLU et PLUi, » rappelle Julien Fosse. Mais, lui répond Guillaume Sainteny, « il n’est qu’indicatif, le Sraddet est assez décevant car ses objectifs ne sont pas contraignants ; rien n’oblige les autres documents d’urbanisme à être cohérents avec lui. On a aussi des directives territoriales d’aménagement préparées par l’Etat, mais elles sont en train d’être supprimées. » Les préfets sont toutefois devenus vigilants à ce que l’objectif de réduction de l’artificialisation, le ZAN, soit au moins inscrit dans les documents. « C’est vrai, mais lorsque le Préfet doit développer l’économie locale, il est lui aussi soumis à des injonctions contradictoires ! », analyse Hélène Peskine. « Eh puis… les préfets ne sont pas dotés en ingénierie territoriale, à cause de la réduction des effectifs… » ce qui ne rassure personne. Si même les préfectures sont mal équipées, on imagine ce qu’il en est dans les petites communes. « On ne peut pas avoir d’affichage politique et ne rien faire », conclut, lapidaire, Julien Fosse.

Terre agricole bon marché, taxes élevées

L’autre problème des sols est qu’ils ne coûtent pas grand-chose quand ils ne sont pas bâtis, alors on se préoccupe peu de les gaspiller, beaucoup de les rendre constructibles. Guillaume Sainteny met à nouveau le doigt là où ça fait mal, dans le prix du foncier agricole. La terre française est deux à trois fois moins chère que dans la plupart des pays européens. Elle l’est même… moins qu’avant :  « La réglementation fiscale pousse les agriculteurs propriétaires à vendre, car le contrôle des prix par l’État, via les Safer, fait que le prix de leur terre est en réalité inférieur à ce qu’il était dans les années 1970 et 1980. Un sol nu et naturel est vendu moins cher qu’acheté. Ensuite, la fiscalité fait que ce foncier non bâti a un rendement nul ou négatif après impôts. » En location, c’est-à-dire en fermage, ce n’est pas mieux. « On est en France à 130 euros l’hectare, c’est deux fois moins que chez nos voisins ».  C’est aussi deux fois moins que dans une situation où le droit de fermage serait négocié sur un marché libre. « Or, la fiscalité est calculée justement sur le loyer tel qu’il devrait être ! » Une absurdité, qui pèse elle aussi sur la valeur foncière. « C’est le cumul loyer bas et taxation haute qui pose problème. En définitive, on paye deux fois plus de taxes en possédant des prairies qu’un portefeuille plein d’actions d’entreprises polluantes. » Pour Bercy, la terre, la nature, qui rend maints services, dont celui d’absorber du carbone a moins de valeurs que des entreprises qui font tout le contraire. « Et je ne vous parle pas des retraites agricoles : une grande partie des terres, des prairies, sont possédées par des retraités, qu’ils gardent pour avoir un revenu foncier en complément. Pourtant, dès qu’ils sont retraités, les agriculteurs n’ont plus le statut agricole et perdent des avantages fiscaux, du coup, ils gagnent beaucoup moins que prévu. » Comment ne pas avoir envie de vendre, si possible après avoir obtenu la constructibilité ? « Il faudrait une rémunération faible mais correcte pour les porteurs d’espaces naturels, non bâtis. Mais le job de Bercy est de faire entrer des sous dans les caisses ». Julien Fosse a analysé l’impact d’une hausse du prix du foncier agricole sur l’artificialisation : à lire ses tableaux, l’impact serait réduit, bien plus faible que celui du couple renouvellement urbain et densification.

Tout de même, tente de nous rassurer Sandra Moatti, « l’aspiration collective, l’objectif du ZAN se traduit de mieux en mieux, dans les outils réglementaires, et dans tout ce qui vient encadrer le pouvoir d’urbanisme du maire. Et puis il y a les PAT qui sont de nature à remettre de la cohésion entre les territoires. » Par ces Plans d’alimentation territoriale, les collectivités ont l’occasion de retrouver une certaine maîtrise foncière : afin d’alimenter leurs diverses cantines, elles signent des contrats pluriannuels avec les agriculteurs, en échange de conduites d’élevage et de culture plus douces pour les sols, la biodiversité, l’eau et les animaux. Des collectivités en profitent pour préempter des sols situés sur des aires de captage d’eau ou à proximité de rivières, voire pour requalifier des zones classées « à urbaniser » en « agricole. » Les PAT sont un levier pour dire l’usage des sols au prétexte de notre estomac. « Cela permet mine de rien de faire entrer la qualité des sols dans les stratégies des agglos, comme à Bordeaux, Nantes ou Paris », complète Hélène Peskine.

Réduire significativement l’artificialisation ne se fera pas sans une modification importante de notre façon d’aménager nos territoires – de ménager nos territoires. « Il va falloir montrer qu’on peut habiter sur d’autres modèles, avec des modes de vie adaptés à des économies de foncier, » pense William Aucant. Des villes plus resserrées, entourées de moins de zones commerciales, avec des zones pavillonnaires plus denses, pas plus de rocades et d’échangeurs qu’aujourd’hui. Dessinés selon le principe que les sols sont en quantité limitée et qu’ils seront alloués en priorité à l’agriculture, les paysages de demain ne seront peut-être pas du tout les mêmes que ceux d’aujourd’hui. Les gens devront discuter des projets bien avant le premier coup de pioche, et le préfet devra, nous dit Guillaume Sainteny, jouer mieux son rôle. Ça ne suffira sans doute pas. Pour Julien Fosse « il s’agit de créer un récit qui rend désirable » cette nouvelle façon de voir l’aménagement du territoire. On ne pensait pas la prévisible ruée vers la biomasse porteuse de changements aussi profonds.

Présentation de la publication « La ruée vers l'or vert : quelle gouvernance de la biomasse ? »

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