La France aime les débats qui n’en sont pas, le manichéisme érigé en manière de penser. Elle réécrit sans cesse le loup et l’agneau, redessine le dualisme antédiluvien entre l’homme et la nature, la rupture entre le paradis où il suffisait de cueillir pour vivre et l’enfer de l’agriculture auquel le péché originel nous condamna. Et encore, le berger a bonne image, celle du pasteur qui se contente de marcher derrière ses bêtes. Mais aujourd’hui, il devrait disparaître, car le loup est revenu. Réunis en congrès à Limoges en septembre dernier, les éleveurs d’ovins membres de la Fédération nationale ovine (FNO) ont exprimé un désarroi qui cristallise assez bien les tourments de tout un pays. Invité à exprimer mon point de vue, le voici.
les bergers ne sont plus paisibles
Les bergers et bergères de France ont tenu congrès à Limoges et ils n’étaient pas tous paisibles. Après une soirée au Tapis rouge, fameux cabaret façon Moulin rouge, ils se sont retrouvés le 7 septembre au lycée agricole des Vaseix, à Verneuil-sur-Vienne, au nord-ouest de la capitale de la Haute-Vienne. Alors, ils ont offert au témoin que je fus une figure partagée : voilà en effet des gens souriants, spontanément amicaux, heureux de leur métier, émus par les prairies, quelque part amoureux de leurs brebis, et pourtant, rongés par la tristesse où les plonge l’absence de considération de la société. Les « gens » ne les comprendraient pas. Quoi qu’ils pensent, de quelque manière qu’ils s’expriment, ils auraient tort. Alors ils se défendent en s’enfermant dans la carapace commode de la victime, très en vogue dans la société, ou bien s’habillent-ils d’indifférence, se repliant, mais certains se figent dans les crispations de l’attaquant.
C’est évidemment le loup qui cristallise les émois. Sur la bête, chacun se projette. Elle est un symbole, un totem sur lequel les éleveurs tapent alors que les écolos tournent autour en chantant des louanges à mère nature. Tout est excessif dans le débat sur le canidé suprême comme dans cet autre qui lui est lié, l’élevage. Or, ce qui excessif est toujours un peu douteux. Quand on dit trop fort, c’est qu’on dit autre chose. Les psychanalystes sont toujours très attentifs à l’outrance. Cependant, toute notre société est excessive. Elle aurait besoin de s’allonger sur un divan. Les débats n’en sont jamais, car la nuance n’y a que rarement sa place au point que les gens nuancés sont considérés comme « clivants ». En France, sur tout sujet, il faut prendre parti dans un faux dialogue qui est une joute théâtralisée entre deux camps irréductibles. Cela permet de faire des bons mots et surtout, de réduire la complexité des choses à des slogans. Le simplisme est une outrance dans laquelle chacun se compromet, mais qui a le mérite de simplifier le travail des journalistes. Blanc, ou noir, pour ou contre, la dialectique bas du front masque utilement l’inculture et l’absence de curiosité. Ainsi le monde est-il facile à appréhender, cela donne de mauvais débats qui perdurent parce que leurs participants sont devenus des acteurs.
Comment rester éleveur ?
En réalité, le loup, qu’une minorité d’éleveurs fait encore semblant de considérer comme ayant été introduit volontairement – dans quel but ! ? – c’est Paris. Il est l’incarnation facile du « décideur » qui pense à la place de l’éleveur, du technocrate, du bobo des villes, très bien diplômé, écolo, qui ne connaît la campagne que par le fantasme qu’il en a, celui d’une sorte de paradis où l’Homme ne pêcherait jamais plus. Que dirait-on à Paris ? Que l’élevage pourfend le climat, que tuer des animaux pour les manger est un crime, que le fromage est le produit du viol ; que les troupeaux, ça pisse et ça chie jusque dans les nappes et les rivières ; en plus, ça fait du bruit et des odeurs derrière les résidences secondaires. L’éleveur a donc tort, il est responsable des maux de la nature. Responsable et coupable car il s’en moque, entendu qu’il ne travaille que pour l’argent. Alors, allez lui parler du loup…
Dans une société qui s’offusque de toute insulte, qui déniche l’oppression dans toute frustration et déploie chaque jour cellules d’aides psychologiques et marches blanches, qui pourtant chasse loin de ses yeux la mort et la souffrance dans les Ehpad et passe sans ralentir à côté du clochard allongé sur le trottoir, l’éleveur a le tort de n’être pas hypocrite. Il est ce qu’il est, il élève, et ensuite il fait tuer. Dans un pays qui accuse sans cesse un autre pour expliquer les raisons du changement climatique, de la pollution et de l’érosion de la biodiversité, l’éleveur est l’inculpé idéal : il agit sur la nature, avec le vivant, il en est assez fier et se défend mal. Dans une civilisation qui a perdu contact avec le sauvage et idéalise cet objet qu’elle ne connaît plus, le berger fait tache. Lui qui marche dans les estives dérange la routine de l’intellectuel qui tourne son fauteuil pour rester dans le sens du vent.
C’est vrai, dans les prises de parole des pro-loups et des anti-élevage il y a du mépris. Pis, il y a souvent de la condescendance. C’est peut-être inconscient, c’est très infantilisant. Comprenez-vous, l’éleveur n’y peut rien, car il est assujetti au grand capitalisme destructeur, il ne sait pas, car il a été mal formé par des lycées et des conseillers à la solde de l’agroalimentaire, il ne comprend pas en quoi le loup est une chance car il n’a pas été éveillé à l’écologie. Heureusement, d’autres, en villes, qui ont la capacité de regarder loin vont le guider vers un avenir meilleur, où il n’aura pas sa place. Il en va des éleveurs comme les habitants des cités, ils ont été assignés à un rôle, ils ont été transformés en êtres folkloriques, indigènes exotiques qu’on utilise en poupée vaudoue ou en doudou, c’est selon. Terrible en la matière est l’enquête d’opinion conduite par Europe écologie les verts durant le premier semestre 2023 pour nourrir ses « États généraux de l’écologie » : elle a placé la ruralité en dernier des priorités par les 19 293 sympathisants et militants questionnés. Un Français sur trois, neuf communes sur dix, l’essentiel des paysages n’existent donc pas dans la tête des sympathisants du parti vert. Pour autant, les sujets « alimentation », « pollutions » et « biodiversité » sont parmi les grandes priorités d’EELV. Manger mieux, dans un air sain et une nature pleine, certes, mais sans les bergers.
Un léger renouvellement
Difficile en effet d’être serein, d’autant que les affaires ne vont pas très bien. Les Français achètent moins de viandes, les éleveurs ont du mal, ils sont nombreux à ne pas trouver de repreneur ou à passer du bétail aux céréales. Sans parler des paysans qui ne trouvent personne pour les aider en saison. Travailler, c’est dur. Alors, pourquoi s’emmerder à ne pas gagner grand-chose si ce n’est des insultes ? Cela dit, ça pourrait être pire, car il y a un renouveau. Des gens qui s’installent en brebis, des femmes, de plus en plus, et même des néoruraux, ces bobos ayant fui leurs villes ! C’est que l’élevage ovin demande moins d’argent que le bovin, il rapporte plus que la vache ; et puis la brebis, l’agneau et le roquefort jouissent d’une meilleure image que la côte de bœuf. Cela peut sembler paradoxal alors que la société s’inquiète du bien-être animal. Et elle a raison. Et ce n’est pas une tendance, car c’est un mouvement de fond : nous, Français, ne supportons plus les mauvais traitements. Certes, nous ne supportons plus grand-chose, ni l’insulte, ni la baffe, ni le haussement de ton, ni l’exercice de l’autorité, encore moins la mort. Certes, L214 a utilisé l’arme de la sidération affûtée des années durant par la pornographie et le jeu vidéo sanglant, pour arriver à sa fin, l’abolition de l’élevage. Tout de même, l’association a eu raison de promener ses caméras dans des abattoirs atroces. Ses vidéos n’auraient jamais eu autant de succès si la société n’était pas déjà aux aguets. Il y a des choses qu’on ne doit plus faire. En conséquence, il y a des choses qu’on mange moins.
Une éthique de l’alimentation
Les enquêtes d’opinion se succèdent et disent la même chose que les statistiques de cette grande rançonneuse du monde paysan qu’est la grande distribution : nous voulons des produits qui nous font du bien et ne font de mal à aucun être, des aliments qui ne menacent pas notre santé, la planète, les travailleurs, profitent à l’économie locale et sont pratiques à utiliser ; des produits qui doivent dire qui les a fabriqués, où ils l’ont été. Lors de débats organisés par des parlementaires pour entendre la parole des gens à propos du projet de loi Egalim, ce qui revenait souvent était, « nous, les labels, le bio, on s’en fout, ce qui compte, c’est qu’on sache d’où ça vient. » La bouffe, c’est avant tout un lien social dont la crise de la vache folle avait montré la rupture et, quelques années après, celle des lasagnes au cheval le mensonge. Ces crises ont été surmontées grâce à la figure du boucher, de l’éleveur et de l’écolo. Il faut incarner pour rassurer, et cela, le berger et la bergère savent faire.
Ce qui change aujourd’hui, c’est la démultiplication des attentes. On est ce que l’on mange, on mange ce que l’on est. Ainsi, chacun de nous projette sur son assiette ses manques et ses besoins. Puisque nous souffrons, c’est que la bouffe ne correspond pas à nos attentes. Elle est trop sucrée, trop salée, trop transformée, elle a nécessité trop d’eau, d’engrais, elle a émis trop de carbone, elle contient trop de gluten, elle n’a pas profité au paysan, elle a fait souffrir, etc. Les as du marketing eux aussi en souffrent, car les consommateurs peuvent avoir plusieurs requêtes en même temps, parfois contradictoires. Difficile de créer des segments ! Le vegan ne veut pas qu’on touche à la planète mais il achète des substituts de viande ultra-transformés. Cela dit, s’il y a quelle chose de commun à tout cela, c’est le besoin de réassurance. Nous avons la trouille, dans notre pays où pourtant l’on ne meurt plus de manger un produit indigne, sauf d’un cancer ou d’un diabète gras fomenté par des ingrédients ou des pratiques invisibles. Nous avons d’autant plus peur que nous avons de moins en moins d’argent pour nous nourrir correctement. Mais nous tenons aux symboles : même pauvres, nous achetons encore un bout de viande car il est la démonstration que nous ne sommes pas tout à fait dans la gêne.
Il faut constater l’émergence, y compris chez les gens qui ont peu de moyens, d’une éthique de l’alimentation. Laquelle, chez les plus militants, dérive facilement vers la quête du plus propre, voire, de la pureté. On appelle cela l’orthorexie, la pathologie du contrôle de ce que l’on ingurgite, dans un but ou un autre.
Un monde en manque de rencontres
Or, il se trouve que les éleveurs de moutons ont une image sympathique. Ils ne peuvent pas être mauvais vu qu’ils élèvent des animaux tellement mignons dans des paysages tellement bucoliques. Le fromage de chèvres acheté sur le marché « à un petit producteur » est un des classiques des comptes rendus de vacances à la machine à café. Aller au-delà de ce cliché très Marie-Antoinette dans sa fermette implique de rencontrer les gens. Expliquer le métier, parler du loup, raconter le paysage qui est dans l’assiette quand on y met une souris d’agneau ou un brocciu. Pour contredire à la fois l’agribashing et son symétrique, la posture victimaire, il n’y a guère qu’un seul moyen, multiplier les rencontres avec les consommateurs. Des visites de bergeries, la vente directe, profiter de la moindre réunion publique pour raconter ce que l’on est, convaincre par la passion qui émane de soi. Certes, vous, éleveurs, avez autre chose à faire. Vous avez peu de temps, et vous n’avez pas appris à prendre la parole en public, ce qui ne sera jamais un exercice simple. Mais il n’y a que cela que vous puissiez faire. Être dans la société comme n’importe quel citoyen. Devenir visible, évident, comme un des grands linéaments de la vie sociale et du paysage où les gens naissent, vivent et meurent. Tiens, l’écopâturage, ce greenwahsing naïf, qui mine de rien introduit le mouton dans la ville. C’est comme le vélo. À force d’en voir on finit par ne plus l’oublier et même quand il n’est plus là, on se surprend à rouler moins vite.
Les parcs naturels régionaux, les centres permanents d’initiative pour l’environnement, les conservatoires des espaces naturels, nombre d’associations et de coopératives œuvrant à la sauvegarde la nature sauvage sont des espaces de dialogue permanents, largement sous-utilisés. Les plans d’alimentation territoriale, les PAT, sont aussi faits pour cela : avant tout, pour rapprocher les agriculteurs du reste de la population. Dans beaucoup d’endroits, en zone rurale, ils ne se fréquentent jamais. D’où une défiance et une méfiance réciproques. Les idées reçues sont pratiques quand on ne veut pas sortir de chez soi. Mais le temps se prête au changement depuis un petit moment.
Le fantasme des paysages sans paysans
Le véganisme militant, agressif, commence à passer de mode, parce qu’il a trouvé sa population et a fini par lasser les journalistes, qui passent d’une tendance à une autre après l’avoir fait grossir puis dégonfler. La crise de l’eau de l’an 2022 a rendu plus audible la démonstration qu’un sol riche est une réserve en eau et qu’un des sols le plus riches est une prairie régulièrement pâturée, nonobstant les pets et les rots des animaux qui la ruminent. Les maladies liées à la malbouffe ont progressivement amené les gens à s’interroger sur leur régime alimentaire, en particulier leur surconsommation de produits transformés et de viandes de mauvaise qualité. La saturation de nos cerveaux par les vidéos répétitives d’élevages et d’abattages monstrueux nous a permis de faire la part des choses entre des animaux qui ont passé leur vie à manger de l’herbe et du foin, et d’autres qui ont été gavés de concentrés sous des stabulations. Cela tombe mal, les agneaux en mangent beaucoup, ce qui leur fait un mauvais bilan carbone et hydrique en plus d’être… des agneaux, qui auraient sans doute mérité de vivre plus vieux. Expliquer cela demande du temps, de la répétition, mais les gens se sentent élevés par la complexité et portés par l’espoir.
Il faut demander aux gens ceci : si nous n’étions plus là, nous, éleveurs, comment vous sentiriez-vous ? On vous répondra peut-être que sans vous, il y aurait toujours de l’agneau pas cher dans les hypers qui viendra du pays du Seigneur des Anneaux et des All Blacks, et que sans vous, eh bien, il y aurait plus d’arbres, à la place des pâtures.
Cela changerait quoi ? Si c’est un choix éclairé de la société, rien. Si ça ne l’est pas, tout : les paysages ouverts depuis 5 000 ans par l’ongle et la dent du mouton se refermeraient, ils finiraient par se ressembler, cela aurait des conséquences sur l’eau et la biodiversité, depuis le train on ne verrait plus que du vert assez monotone mais la France aurait ainsi acheté sa rédemption en laissant faire la nature. Sauf que la biodiversité aurait chuté parce qu’un écosystème n’est jamais aussi riche que lorsqu’il est morcelé de niches écologiques et perturbé par des événements. Une forêt, un chemin creux, une haie, un bosquet, une tourbière et de l’herbe, tout ce bocage aménagé par un ongulé domestiqué. Certes, sans lui, les ongulés sauvages feraient le même métier, mais pas aussi bien, car avant que la hache de bronze n’ait coupé les premiers arbres, la France était surtout couverte de forêts. Et puis, ce n’est pas parce qu’une prairie est laissée libre qu’elle va devenir une chênaie-charmaie comme dans les livres : elle va d’abord passer beaucoup de temps sous les épineux qui allumeront de grands incendies.
Une bête querelle de légitimités
Mais au moins, il y aura du loup. Et l’ours. Bergères et bergers, il faut vous y faire, il est là, et contrairement à ce que disent certains qui prétendent vous défendre, nul en France et en Europe n’a l’intention pas plus que le pouvoir de les éradiquer. Dire que c’est néanmoins indispensable est à peu près aussi bête que promettre un continent sans immigration et un marché sans importations. Aussi con que la défense absolue du loup et de l’ours par des écolos qui considéreront toujours que l’homme est de trop dans la nature. Enfin, l’homme… l’autre, vous, pas eux. En réalité, la France est bouffée par les conflits de légitimité. Chacun se sent meilleur que l’autre pour utiliser la nature. La nature est à moi, pas à vous. L’écolo misanthrope considère que le loup et l’ours ont priorité sur le mouton car il y en a assez des malheurs que l’homme fait subir à la nature sauvage. Le berger aveugle considère que les paysages sont à lui, qu’en conséquence tout ce qui le perturbe doit être éliminé. Un éleveur de moutons n’a pas plus de légitimité qu’un écolo à dessiner le paysage des gens. La nature n’appartient à personne, car elle est le bien commun de tout le monde. Certes, vous, paysans, l’avez façonnée avec le temps. Vous en êtes en grande partie l’auteur et vous réclamez d’en toucher les droits. Pourtant, vous n’êtes plus seuls. La société manifeste un immense besoin de nature qui pour l’instant s’exprime mal. Le balancier de l’horloge était d’un côté, il est parti de l’autre, il est en train de trouver sa position. Le Plan loup récemment annoncé a fait l’unanimité contre lui, mais il n’a pas été rejeté dans les hurlements. Le seul fait qu’on y a trouvé la proposition d’un déclassement partiel du statut de protection du loup montre que les esprits avancent vers, peut-être, un compromis.
Les temps changent, la preuve ? la haie
Un jour, on y arrivera, mais cela aura des conséquences. Un jour nous parviendrons à dialoguer, dans ce pays coincé. Partout où je participe à des débats, ou j’en anime, j’entends la même chose : « on ne nous entend pas » parce qu’on « ne se parle pas. » Notamment parce que la parole est facilement confisquée par les professionnels du micro qui s’en saisissent vite pour défendre le point de vue de leurs corporations. Dans une réunion, identifier les extrêmes pour les éliminer est un préalable. Et puis, demander aux participants pourquoi ils font cela, pourquoi ils pensent de cette manière. Le débat sur le glyphosate est à ce titre révélateur : personne n’interroge jamais le cultivateur sur les raisons qu’il a d’utiliser l’herbicide, en dépit de la dangerosité qu’il connaît. Peut-être qu’avec un lieu où tout le monde serait régulièrement représenté, sur le modèle des commissions locales de l’eau, on arriverait à de justes compromis.
Le temps s’y prête, car, par exemple, la question des haies est en train de dépasser, cela ne fait pas longtemps, les clivages syndicaux et politiques. Un nombre croissant d’agriculteurs contacte les associations de protection de la nature, les CPIE, les PNR, les chambres d’agriculture ou les DDT pour savoir comment « planter des haies, parce que c’est bien. » Les chasseurs ne sont pas contre. La haie, comme d’ailleurs le sol, est en train de devenir un objet social majeur. Or la haie, c’est l’élevage. C’est donc le mouton. Vous, bergers et bergères en êtes les gardiens comme vous l’êtes des alpages, des causses et des landes. La société est en train de vous regarder différemment, votre place face au loup et l’ours vous est moins comptée qu’avant.
Le loup devrait lui aussi faire avec
Vous pourrez mieux discuter. Peut-être qu’en certains endroits il ne faudra plus faire de mouton, tant la menace sera devenue incontrôlable et le coût de la protection insupportable. Le coût humain, celui de la dépression des éleveurs qui ont craqué après avoir été tant d’années durant « dans la situation de l’habitant qui doit rester dans sa maison chaque heure qui passe pour dissuader les voleurs, qui de toute façon viennent et font ce qu’ils veulent. » Peut-être qu’ailleurs par contre il faudra foutre la frousse au loup car il en ira du maintien des prairies dans l’inconscient collectif et l’infrastructure écologique, comme disent les technos. Partout il faudra bien que le loup, avec lequel nous partageons une histoire d’influences communes, celle de l’acquisition de la chasse en groupe, accepte lui aussi de devoir partager l’espace. Partout il faudra expliquer aux gens ce que cela implique pour la société : tolérer un danger, traduire en actes de grandes ambitions, car vouloir des paysages riches avec une agriculture de proximité tout en magnifiant un super-prédateur nécessitera parfois de choisir entre l’homme et l’animal. À tout le moins d’en discuter sans émotion. Moi-même j’ai du mal. Entre un loup vivant et un éleveur en dépression, je préfère aider le second. Pourtant, le loup me réjouit car il est la démonstration que l’Homme ne peut pas tout, sur Terre. En plus, il bouffe du chevreuil et du sanglier qui font du mal aux arbres et aux pâtures.
Enfin, il bouffe surtout du mouton, et là, il m’emmerde.