Avant le premier tour j’avais, avec Denis Cheissoux sur France Inter, analysé les programmes de tous les candidats dans tous les domaines connexes à l’environnement. Le bilan était simple : Mélenchon et Hamon étaient loin devant Macron, qui était plusieurs crans au-dessus de Fillon, lequel dominait un peu le Pen ; avec des petits candidats qui, par-ci par-là, développaient des idées originales (Dupont-Aignan, Lassalle). Aux deux candidats qui restent, je « soumets » ce texte, qui synthétise un débat qui a eu lieu en décembre dernier à Marseille, sous l’égide de FNE (France Nature Environnement) et de la Maison de l’Emploi, très révélateur de la situation de la société. L’écologie, sujet secondaire pour bobos ? Non, c’est en fait un sujet d’économie et de social. Car ne pas faire a minima attention conduit à un mur. À Marseille, les limites physiques du monde ont été atteintes, et cela se voit par le très petit bout de la lorgnette de la voiture, du tout-voiture, du (des)aménagement du territoire, un petit bout tenu à bout de bras par les plus pauvres d’entre-nous, par les horaires décalés, les abandonnés, les moins diplômés sans lesquels pourtant la société ne fonctionne plus. Et oui, il y a toujours des ouvriers et des employés, en France. La pollution de l’air ? Non : l’impossibilité à cause du laisser-faire de trouver en emploi dans une région saturée.
À Marseille, le tout-voiture est devenu l’ennemi des pauvres
Le monde est fini, dit-on. Les ressources naturelles s’épuisent, entend-on. Notre façon de vivre est arrivée au bout. Nous sommes désormais face au mur… À Marseille, on l’a tous vu, un jour de décembre 2016. Personne n’en est mort, il n’y a eu ni panique ni crise d’angoisse. Juste l’évidence d’avoir participé à ce genre de petit événement qui, l’air de rien, en dit long sur la société. Ce sont les détails qui font l’essentiel, c’est en regardant par le petit bout de la lorgnette qu’on voit bien l’ensemble. Preuve en est avec ce qui s’est dit ce jour-là à la Maison de l’emploi de Marseille, avec France Nature Environnement, à propos d’un sujet a priori anodin, les Plans de mobilité.
Au départ, un débat sur les « Plans de mobilité »
« Plans de mobilité, les clefs de la réussite », voilà quel était le thème de la fraîche et nuageuse journée du 16 décembre 2016, pas très loin du Vieux Port. D’emblée, allez-vous réclamer, qu’est-ce qu’un plan de mobilité ! ? Eh bien c’est ce qu’on appelait il y a peu un Plan de déplacement en entreprise, ou PDE. Voire, PDIE, le i pour interentreprises. Pour reprendre la définition de l’Ademe, un plan de mobilité, c’est « un ensemble de mesures visant à optimiser les déplacements liés aux activités professionnelles… qui favorise l’usage des modes de transport alternatifs à la voiture individuelle. » Pour être précis, l’article 51 de la Loi sur la Transition Énergétique pour la Croissance Verte (son nom officiel) indique que tel plan sera obligatoire à partir du 1er janvier 2018 pour toute entreprise de plus de 100 salariés, sur un même site, dans le cadre d’un Plan de déplacement urbain (PDU) – histoire que ce que met en place l’entreprise s’intègre à ce qui a été mis en place par la collectivité où elle se trouve. Les plans existants étaient donc facultatifs. À s’attacher à la définition de l’Ademe, on voyage un peu dans le temps, car cela ressemble un peu à ces bus qui, au temps où l’industrie brandissait ses cheminées, ramassaient les ouvriers et les employés à l’aller comme au retour. C’était un temps où la voiture ne s’était pas encore généralisée car, comme la viande, elle était le privilège des patrons. Tout a changé vite, et les bus ont disparu.
Mais aujourd’hui, qu’est-ce qu’une alternative à la voiture dans le cas du déplacement domicile-travail ? L’idée n’est pas de remettre en route les bus et les autocars d’antan, ni de rasseoir tout le monde sur des vélos comme au temps du Front populaire. Il y a de cela, dans un bouquet de mesures où l’on trouve aussi la promotion et l’encouragement à l’usage des transports en commun, le développement de l’autopartage et du covoiturage ou encore l’aménagement des accès à l’entreprise comme celui des horaires de travail.
Or, précisément à Marseille, il devient urgent de planter ce bouquet un peu partout car il n’est tout simplement plus possible de continuer le tout-auto : la limite physique est aujourd’hui atteinte, et elle a un prix, plus frappant que celui de la pollution ou de l’enlaidissement des paysages, celui de ces emplois qui ne trouvent pas preneurs, le temps perdu dans les bouchons étant devenu financièrement insupportable pour ceux et celles auxquels ils sont destinés.
Comment circuler dans un espace saturé ?
« On a laissé tout s’implanter n’importe où », reconnaît Yannick Tondut, directeur général adjoint Mobilité à la Métropole Aix-Marseille-Provence. C’est le moins qu’on puisse dire, tant le mot urbanisme semble avoir été pour le moins interprété dans cet espace immense qui va de la Camargue à la Ciotat. « C’est tellement diffus », reprend M. Tondut, comme pour atténuer le constat. C’est aussi très contraint, aurait-il pu ajouter, entre mer et montagne. Accordons cela aux aménageurs, qui ont fait avec la topographie. Le tableau n’en reste pas moins accablant : une métropole très étendue, polycentrique, à l’urbanisation très diffuse, étalée comme si elle s’était laissée couler, visqueuse, depuis le port de Marseille ; parcourue par des réseaux de transports en commun pour le moins insuffisants, qui ne peuvent pas grand-chose pour soulager un réseau routier totalement saturé et des zones d’activités particulièrement mal connectées aux villes. Le monde est plein, les ressources naturelles (ici, la voirie, merci d’accepter l’image) sont en quantité finies, les limites sont atteintes, les voici faciles à visualiser autour de Marseille.
Commençons par un constat social.
« Ce n’est pas compliqué : 90 % de l’accès aux zones d’activité se fait en voiture, alors que 35 % de chômeurs et d’inactifs n’ont pas le permis et même, 24 % n’ont pas de voiture ». Anne-Laure Nardonne, chargée de mission Mobilité à la Maison de l’emploi de Marseille, regarde le marché de l’emploi comme le reflet du non-aménagement du territoire. Le résultat en est qu’aujourd’hui, quand on est chômeur ou salarié mal payé, il n’est plus possible à Marseille de trouver ou d’aller au travail. Plus physiquement possible car l’urbanisation est trop diffuse pour que les transports en commun soient efficaces, et la saturation a atteint un tel niveau que l’on passe sa journée en auto alors qu’on a des horaires éclatés, et que cela finit par coûter trop en essence. À quoi bon, quand on est au SMIC ? On renonce à l’auto quand on a en a une, on finit par ne plus y penser quand on n’en n’a pas, tout en se demandant comment aller au travail si loin, si tard, sans bus. Autant rester chez soi.
© ML Nardonne/ Maison de l’emploi de Marseille
Comment travailler sans pouvoir se déplacer ?
« Ça devient un vrai souci, car les entreprises ont du mal à recruter… », déplore Vincent Tinet, référent mobilité de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération de Marseille (AGAM). De quelles entreprises parle-t-on ? Celles des services, employant une main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. La logistique, la propreté, le gardiennage et la sécurité, les services à la personne etc., des filières en tension, comme on dit à la CCI, celles où il y a du boulot, mais un public qui, compte tenu des horaires et des salaires n’a pas ou plus les moyens d’avoir une voiture, dans le contexte marseillais. Cette quadrature du cercle n’est pas nouvelle, car au niveau national, il est bien connu des statisticiens qu’une personne en insertion sur deux a déjà refusé un emploi pour des problèmes de mobilité. Certains avancent même que 2,5 points du taux de chômage sont liés à des problèmes de mobilité. Un bon quart. Pourtant, peu de politiques en parlent. Pour eux, l’emploi, c’est favoriser l’offre, ou la demande, jamais une question de mobilité. Et pourtant… « Le Medef a calculé qu’un déplacement de 10 km chaque jour pour un salarié payé au SMIC, ça fait un quart de revenus en moins. Pour le Medef, une façon d’augmenter les gens sans les augmenter est donc de les aider à se transporter pour moins cher », explique Elsa Alexandre, chargée de projets Management de la Mobilité au Cerema.
À Marseille, « il suffit de regarder une carte », montre Me Nardonne : « La part des emplois accessibles en transport en commun est ridicule, en gros, c’est le centre de Marseille, alors qu’en voiture, on accède à Aubagne, Vitrolles et Aix », tout ce qui se trouve à portée d’autoroutes, nombreuses dans la Métropole. Ne pas avoir d’auto est un handicap, ne pas pouvoir l’utiliser à cause des bouchons en est un second. « Le plus surprenant est que les gens qui ont le plus besoin de se déplacer, ceux et celles qui cherchent un emploi, sont les moins nombreux à posséder un permis ou une carte de transports ». Au centre de Marseille, 30 % des chômeurs n’ont ni l’un ni l’autre, deux fois plus que la population ayant un emploi. C’est 18 % contre 5 % dans les quartiers nord, et 29 % contre 3 % dans les quartiers sud-est. Le chômage est une trappe, mais pourquoi ?
© ML Nardonne/ Maison de l’emploi de Marseille
Penser la pensée du déplacement
Se déplacer est un besoin, or, quand ne pas pouvoir se déplacer empêche un territoire de fonctionner convenablement, alors que la société martèle sans cesse l’injonction de mobilité comme preuve de modernité, se déplacer devient un droit. Devrait devenir droit. Mais comment l’exercer, alors que se déplacer est devenu… un devoir légal ? Dans la loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi du 1er août 2008, il est dit en effet que « Lorsque le demandeur d’emploi est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi depuis plus de six mois, est considérée comme raisonnable une offre d’emploi entraînant, à l’aller comme au retour, un temps de trajet en transport en commun, entre le domicile et le lieu de travail, d’une durée maximale d’une heure ou une distance à parcourir d’au plus trente kilomètres. » Vous avez bien lu, une heure, et 30 km ! Alors que 10 km, c’est un quart de revenus en moins selon le Medef. Les rédacteurs de la loi n’habitent sans doute pas en grande banlieue parisienne.
Face à ce paradoxe, Cécile Féré, docteur en urbanisme et chargée d’études mobilité à l’Agence de l’urbanisme de la Métropole de Lyon (où 50 à 80 % des 20 % d’actifs en insertion ou en demande d’emploi, n’ont pas accès à une voiture), estime que les mécanismes habituels fonctionnent mal. Les enquêtes déplacements et les PDU sont orientés vers la réduction de la place de la voiture et l’amélioration de la qualité de l’air, pas du tout vers le coût social du tout-voiture, tandis que les dispositifs d’aide à la mobilité sont perçus comme coûteux par les élus. « Les transports collectifs, service public universel et de droit commun, ne sont pas une solution suffisante pour l’accès à l’emploi, y compris dans les grandes agglomérations. Quant aux nouveaux services à la mobilité et aux aides à la mobilité, ciblés voire conditionnels, ils concernent un très faible nombre de personnes. » En clair, les problèmes de mobilité ne peuvent que renforcer les inégalités sociales, ne serait-ce qu’en raison du fait que nombre de personnes susceptibles de bénéficier des tarifs sociaux des transports publics ne les réclament ou ne les utilisent pas, parce qu’ils n’y comprennent rien (la billettique a des efforts à faire), parce que les paperasses à remplir les dissuadent ou bien, plus simplement, parce que pour quelqu’un qui n’a pas le premier sou, acheter un ticket à l’unité restera toujours moins cher qu’un abonnement hebdomadaire ou mensuel sur lequel s’applique le tarif social, même si, à force, le budget finira par être insupportable. « La mobilité, c’est aussi dans la tête, alors parlons plutôt de motilité ».
© Cécile Féré/ Agence d’Urbanisme aire métropolitaine Lyonnaise
Du cas pas cas, avec le transport à la demande
Motilité. La faculté de se mouvoir. La psychologie de la mobilité. « De toute façon, la mobilité du quotidien, pour aller travailler, c’est du cas par cas », résume Vincent Tinet. « Les nouveaux outils du genre Uber (que l’on ne présente plus) et Drivy (locations de voitures entre particuliers) sont très bien sur la longue distance, mais sur les trajets domicile-travail, ça ne prend pas, car on ne peut se permettre la moindre incertitude sur les horaires, surtout en décalé. En outre, tout ce qui est covoiturage, autopartage, cela ne fonctionne que de façon ponctuelle… Pour les gens qui ne peuvent pas prendre l’auto, à cause de leurs moyens ou des bouchons, ce qui revient in fine au même, il faut en réalité une multitude de possibilités. » Qui répondent à la réalité locale du travail. Il faut faire de la dentelle. C’est Chronopro par exemple, bus dédié à la desserte des ZAC de Vitrolles et Marignane depuis la gare routière de la première et la gare SNCF de la seconde. Un bus à la demande, depuis le smartphone. Commandez votre trajet une heure à̀ l’avance et vous recevrez ensuite un code de réservation à annoncer au conducteur. Recevez l’horaire disponible en fonction de votre demande. Trente minutes avant, l’heure de prise en charge est affinée. Et quand le bus est là, pré́sentez le code de ́réservation, validez votre titre de transport habituel, et faîtes la même chose pour le retour.
© ML Nardonne/ Maison de l’emploi de Marseille
Militantisme et diplomatie
À Aubagne, un plan de mobilité, interentreprises, a été créé en 2011 autour des zones d’activités Paluds, Aubagne et Gémenos. « Tout est ici parti du fait que le pays d’Aubagne devait mettre en place son plan climat, et dans ce cadre il était encouragé à développer des PDE, et comme plusieurs entreprises sur le même site étaient concernées, elles se sont regroupées pour faire directement un PDIE », baptisé Mobilidées, raconte Anne-Laure Baudoin, la chargée de mission occupée à son animation. Le diagnostic préalable a montré, ce qui n’étonnera personne, la prédominance de la voiture pour conduire des salariés habitant loin, en moyenne à vingt kilomètres. Par contre, quelques horaires atypiques seulement, l’essentiel se faisant entre 9 heures et 18 heures Plus facile à envisager. « Une des premières actions a été de faire un site de covoiturage, puis de mieux desservir le parc de Gémenos par les lignes de bus de l’agglo. La suite serait d’améliorer le cheminement piéton, puis de créer un BHNS depuis la gare d’Aubagne. » Car pour l’instant, les résultats ne sont pas encore là. Les bouchons n’ont pas baissé, les transports en commun ont certes augmenté en fréquentation de 14 % en 2015, ils ne représentent toujours que 6 % des déplacements, soit tout de même six fois plus que le vélo, qui souffre d’un manque d’accès sécurisés depuis les départementales. Par contre, le covoiturage mis en place dans le cadre de Mobilidées occupe désormais 10 % de la part modale des déplacements domicile-travail. Sur la bonne voie, mais peut mieux faire, car les habitudes ont la vie dure.
À Plan-de-Campagne, ce symbole de l’étalement urbain, un PDIE existe aussi. Mis en place à partir de celui de l’hypermarché Casino, le diagnostic préalable a permis d’avoir enfin une vision globale du site, des horaires et des salariés. Tony Sessine, président de Terre de Commerces, 1re fédération des commerces et services de proximité des Bouches-du-Rhône (plus de 5000 adhérents sur le département) a chapeauté l’ensemble : « C’est une zone qui vit le jour et la nuit. Le dernier transport était à 21 heures On a obtenu 22 heures L’ensemble des horaires a été réaménagé, des arrêts supplémentaires ont été ajoutés, une ligne a même été créée le dimanche, mais, évidemment, on n’a pas pu couvrir toutes les plages horaires. Pour le reste, c’est donc le covoiturage, avec un site dédié, qui est proposé aux salariés ». Une navette interne a également été mise en place, mais manifestement, les employés du site géant préfèrent toujours se garer devant leur entreprise. « C’est un travail de diplomate, de militantisme. C’est long. Mais les choses changent : les gens commencent à comprendre qu’ils passent quarante jours par an dans leur voiture ! » Et les entreprises, espère M. Sessine, ont montré qu’elles peuvent réussir à inventer des solutions. Les pouvoirs publics ne peuvent pas décider de tout, tout seuls. D’ailleurs, parfois, ils ne décident pas. « Pourquoi Aix et Marseille continuent d’avoir des Pass navigation différents, vous pouvez m’expliquer ? » L’hypothèse de la vieille rivalité entre la grande bourgeoise et la métropole prolétaire et cosmopolite n’ayant pas recueilli beaucoup de ferveurs parmi l’assistance de cette journée consacrée aux plans de mobilité, la question reste ouverte.
Une façon de radiographier les entreprises
Elsa Alexandre, du Cerema, relativise la position de M. Sessine. « La vraie clé du succès d’un plan de mobilité, c’est d’avoir une contrainte réelle. Si c’est pour seulement améliorer un bilan carbone, cocher une case, ça ne sert à rien. » Voilà le rôle des pouvoirs publics, imposer, aider, accompagner, car si le militantisme, la conviction, l’incarnation, la volonté de quelques chefs d’entreprise savent faire des miracles, il est impossible d’en attendre de la majorité qui mesure les changements peut-être nécessaires à ce qu’ils vont sans doute coûter. Or, les gains économiques d’un PDE ou d’un PDIE ne sont pas faciles à mesurer. Par contre, on sait très bien ce que permettent de faire immédiatement les diagnostics préalables aux plans de mobilité : « On est à l’origine des premières méthodologies, en l’an 2000. Alors, on dispose d’un certain recul. Et ce que l’on voit, c’est que quand ça marche, c’est quand la mobilité a été comprise comme inhérente à l’activité. »
Faire un plan de mobilité, c’est, comme un bilan carbone, radiographier l’activité d’une entreprise, d’une ZAC. C’est voir les flux, ce qui rentre, ce qui sort, quand, qui et pourquoi. C’est une façon d’observer la vie de l’entreprise, d’un site, au travers des relations avec tout ce qu’il y a autour. De constater qu’ici, par exemple, décaler légèrement le trois-huit permettrait aux ouvriers de nuit de prendre le dernier bus pour embaucher et le premier pour rentrer chez eux. Ou encore que là, faire glisser les horaires des étudiants de licence d’une petite demi-heure a évité aux gestionnaires du métro d’élargir les quais qui n’en pouvaient plus de la masse de jeunes adultes piétinant aux mêmes horaires. « C’est du cas par cas. Il n’y a pas de méthode labellisée, nationale, qui s’impose à tous, c’est plutôt des procédés, des canevas qui doivent être adaptés. » Et qui fonctionnent… en Belgique où l’obligation des plans de mobilité existe depuis la fin des années 1980.
Des solutions pour chaque travailleur
Les PDE et PDIE, c’est du point de croix dans le tissu à maille large de la mobilité d’un territoire. Les mettre en place demande d’observer finement les us et coutumes des travailleurs afin d’évaluer leurs besoins. Souvent, le constat est que ce sont des petites adaptations qui permettent de répondre aux besoins, plus que de grands investissements en infrastructures. Se cacher derrière le manque d’argent pour ne rien faire (« ah, on ne peut pas prolonger le bus, ça coûterait trop cher ») est rarement justifié. « Quand on a à faire à des horaires décalés, par exemple, on peut dire aux agences d’intérim ou aux boîtes de propreté de mettre à disposition des véhicules pour leurs salariés. Et puisque ces véhicules se substitueront de fait aux transports publics, pourquoi ne pas récupérer une part des financements, ou récupérer une part du versement transport (VT) des entreprises concernées ? » propose Nicolas Picheral, consultant transports et mobilité, au sein de la société qu’il préside Mouv’innov. Stéphane Coppey, un autre consultant, ancien président de l’Autorité organisatrice des transports publics (AOT) de Toulouse, va dans le même sens : « Comment par exemple adapter des systèmes de covoiturage aux courtes distances ? Avec des horaires, des zones excentrées ? Et bien entre 00 h 30 et 05 h 30 mettez à disposition des petits véhicules avec chauffeur qui attendent les gens à des arrêts déterminés à l’avance, aux itinéraires adaptatifs, sur réservation. Et bien à Toulouse un transporteur local a investi dans des petits véhicules (8, 15 puis 22 places) pour proposer cette offre, qui fonctionne très bien ». Et c’est le VT qui couvre. Cela dit, les solutions simples ne sont pas efficaces en raison même de leur simplicité. Anne-Laure Nardonne se souvient ainsi de cette société qui avait mis en place « un service de scooter, alors que personne ne pouvait monter dessus, car personne ne savait faire du vélo », et donc, monter sur une selle. On en revient à la motilité, à la psychologie du déplacement. « Aujourd’hui la problématique des plans de mobilité est liée au fait de mettre tous les acteurs autour de la table. Il faut travailler les solutions sur des territoires circonscrits avec l’ensemble des acteurs. Il faut aussi que les plateformes de mobilité, comme la nôtre, à la maison de l’emploi, fassent toutes des diagnostics, très simples, pour chaque travailleur. » Pour chaque travailleur…
Derrière la pollution de l’air dont on ne parle qu’à l’occasion des pics, il y a une pollution permanente émise par des espaces assez saturés de voitures pour que les plus mal lotis d’entre nous finissent par renoncer à chercher du travail. Voilà la réalité concrète, tangible, socialement compréhensible du laisser-aller urbanistique. À Marseille, cette réalité est lourde : l’espace est totalement saturé, l’agglomération a trouvé ses limites, elle ne peut plus créer de routes, ajouter des voitures aux voitures, continuer à éparpiller les zones d’activités. Après avoir abîmé les paysages puis les bronches, le laisser-faire a fini par abîmer l’emploi, creusant toujours plus les inégalités sociales. Voilà à quoi servent les plans de mobilité : montrer la réalité des déplacements. Et tenter de l’embellir à petites touches, plus efficaces, à force, que le réflexe très français, très ingénieur, très valorisant pour les élus, de dépenser beaucoup pour des infrastructures. C’est cela, en définitive, l’écologie, que placer le bien-être de l’homme au centre d’une vision naturaliste de la société.
© Cécile Féré/ Agence d’Urbanisme aire métropolitaine Lyonnaise
Épilogue maritime…
Cette année encore j’ai animé les débats de la Journée du transport maritime. Même constat que l’an dernier : le coût ridiculement faible du transport, le gigantisme des bateaux, le regroupement des alliances d’armateurs en un nombre toujours plus faible sont la preuve que la fuite en avant vers toujours plus de gros bateaux pour faire baisser les coûts a trouvé sa fin. Là encore, sur les océans, le monde a trouvé ses limites. Qui, avant d’être écologiques, sont celles de la raison économique. Voire de l’intérêt général. J’y reviendrai…