Entre-deux-tours, partie III. La campagne s’achève. On respire. Elle n’aura pas été bien verte, car les journalistes ne l’ont pas été, alors qu’en y regardant de près, les programmes l’étaient plus qu’à aucune autre campagne présidentielle. Pour les avoir auscultés, ceux et celles des primaires et ceux et celles des deux tours, je peux vous affirmer que c’est le jour et la nuit. Les choses ont changé. Mais voilà, le vert et tout ce qu’il implique de réflexions, de perspectives et de regard, n’intéresse pas les journalistes politiques. Il en dit pourtant long sur la vision de la société développée par les deux candidats restants, qu’on a pu déceler, néanmoins, dans la vulgarité du débat de mercredi dernier, devant les yeux secs de deux journalistes réduits à l’état de Ficus.
(ce texte a été publié sous une version réduite sur le site des JNE)
Une campagne bien pâle malgré des programmes bien verts
Ça y est, ça y est, le débat a eu lieu.
On ne s’attendait pas à des hauteurs Giscardo-mitterrandiennes, ni Chiraco-jospiniennes, on n’a donc pas été déçus. Cela dit, d’avoir vu se noyer Marine Le Pen dans sa propre caricature ne laissera pas de surprendre des générations de psychanalystes : quelle est l’origine de pareil acte manqué ? Aboyant, désordonnée, confuse, les yeux grands ouverts, les gestes trop amples, les bras souvent croisés, le sourire névralgique, le rire moqueur, le tas de fiches sur le bureau, la candidate du Front National a par son pathos tout fait pour manquer son but. C’est donc qu’elle ne voulait pas l’atteindre. Comme son père quinze ans plus tôt. Mais quel est son bénéfice ? Ne pouvait-elle tuer Jean-Marie en se hissant au-dessus de lui, et ainsi, demeurer à jamais sa fille ? Préférerait-elle comme lui en son temps le rôle de roquet, de cheffe de l’opposition pour embêter Jean-Luc Mélenchon qui s’était déjà placé dans ce rôle ? La Fille ne s’est adressée qu’à son Père, pas à la France. Il faudrait qu’elle s’allonge pour ouvrir son passé à un analyste. En attendant, qu’elle se défoule sur sa nièce, qui est bien plus dangereuse qu’elle.
Mais ce débat aura eu au moins un mérite.
Quelles que soient les exégèses qu’on en pourra faire, il n’aura en effet pas fatigué ses animateurs. Il paraît qu’ils étaient journalistes, les deux Ficus ; c’est à regarder, car on ne les a pas entendus. Sans doute les micros étaient-ils faibles. Du coup, peut-être ont-ils tout fait pour qu’on parle d’écologie – on ne le saura jamais.
On ne leur a pas posé la question
Non, soyons sérieux. Dans la hiérarchie de l’information, qui est celle de la pyramide des pouvoirs, l’écologie et la science sont en bas, tandis que la politique est en haut. Enfin, par politique, il faut comprendre les politiques. Au sein de notre monarchie structurée par les attributs du pouvoir, on est grand quand on fréquente les grands du royaume. Ce qui compte, c’est ce qu’ils disent, pas ce qu’ils font. Alors faisons-les parler, sans rien leur demander de conséquent ; je me valorise, tu me valorises, tu me demandes « terrorisme », je te réponds « De Gaulle », on tourne en rond, on se passe les plats, aujourd’hui, demain, la semaine prochaine, tu m’invites et j’accours. L’écologie ? Un truc de bobo ou de bouseux.
Aucune question sur l’écologie n’a été posée aux candidats durant cette campagne, parce que nos si brillants confrères et nos remarquables consœurs ne considèrent pas que c’est là un sujet noble. On n’a pas manœuvré durant des années pour obtenir le bâton de maréchal de l’interviewer politique pour en venir à causer méthaniseurs ! Et puis, c’est pénible, l’écologie. Ça demande un minimum de bagage scientifique et, surtout, d’avoir l’esprit large dans l’espace et le temps. Ben oui, ami apprenti interviewer, quand tu abordes le sujet de la biodiversité, tu dois passer par l’agriculture, l’aménagement du territoire, les documents d’urbanisme, la psyché locale, l’histoire collective, la gastronomie, tout. Pas seulement, la drosera et l’ours blanc, qui emmerdent tout le monde.
De vert en dépit de tout
C’est vraiment dommage, car si l’élite de la carte de presse avait regardé autre chose que son nombril, si elle avait par exemple lu elle-même les programmes, en profondeur, elle se serait rendu compte, Ô surprise, que cette transversalité était présente chez beaucoup de candidats. Contrairement à ce qu’ânonnent les habituels poux de plateaux, les sauteurs de micro, les experts en tout-va-mal, cette élection aura été la première à avoir internalisé le vert. Oui. Pour avoir avec Denis Cheissoux( CO2, mon amour sur France Inter, le samedi de 14 heures à 15 heures) travaillé sur les programmes de tous les candidats, y compris ceux et celles des primaires, je peux vous dire que c’est le jour et la nuit par rapport à il y a cinq ans. Si ce n’est pas le signe d’un « en avant ! », c’est la preuve qu’on ne reviendra pas en arrière. Le discours écolo, mine de rien, a réussi à forcer la capsule étanche qui enferme le cerveau des politiques pour imprégner leurs raisonnements. Aujourd’hui, on ne peut plus prétendre faire de la politique sans tenir compte des ressources naturelles et de l’énergie. Ouf.
Sur le podium, on retiendra donc à droite Bruno Le Maire et, à gauche et à l’extrême-gauche, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Ces deux-là étaient proches, ils avaient développé – avec une mention spéciale au Grand Leader des Insoumis, un programme cohérent, où tout était dans tout, qui avait été conçu en tirant les fils qui dépassaient lesquels, remontés, avaient permis de dérouler la pelote, les pelotes du fonctionnement de notre société. Une pensée écologique qualité pure. Au milieu et à l’extrême-droite, le vert était un peu moins dense. Voire, très pâle. Présent, enfin, mais discret.
MLP, pour Écologie patriote
Comment résumer les programmes des ultimes candidats ? Pour reprendre à peu près la formule utilisée lors du débat que Denis et moi avons conduit avec Philippe Murer, qui représentait Madame Le Pen, et Corinne Lepage, pour Monsieur Macron, « Macron, c’est l’écologie qui soutient l’économie, Le Pen, c’est l’écologie qui justifie la préférence nationale ». Point. Voyons maintenant dans le détail.
Marine Le Pen plaque la préférence nationale sur des idées, des initiatives, une philosophie que chacun de nous partage et défend : celle de l’économie sociale, des circuits courts, de l’agriculture plus douce et des entrées de ville moins laides. « La véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près, et retraiter sur place ». Nul ne pourrait la contredire. Concrètement, elle prône l’interdiction des produits alimentaires et agricoles qui ne respecteraient pas les normes de production françaises en matière de sécurité sanitaire, de bien-être animal et d’environnement. Tout en soutenant l’exportation de nos produits à haute valeur ajoutée, les labellisés, qui respectent bien mieux l’environnement, les paysans et leurs paysages, les consommateurs, aussi, que les produits banals. Cohérente, Marine Le Pen pousse à une traçabilité totale de l’origine géographique et du lieu de transformation sur l’étiquette. Deux ans après son entrée en fonction, elle ferait établir des prix minimums d’achat aux agriculteurs par les industriels et les hypermarchés, garantis par l’État. Interdiction des fermes géantes, des OGM, du Ceta, du Tafta et des abattages rituels, incompatibles avec le respect du bien-être animal. Le tout en quittant l’Europe, bien entendu, en passant donc de la PAC à la PAF (politique agricole française), même si quitter l’Europe et ses honteuses directives lui prendrait son quinquennat, il suffit de voir la réalité du Brexit.
En matière d’énergie, c’est simple : nucléaire prolongé par la filière thorium, vieille lune des ingénieurs atomistes, centrales perpétuées tant qu’on peut, arrêt de l’arrêt de Fessenheim, et promotion de l’hydrogène par électrolyse. Pas au pied des éoliennes, réputées « immondes », y compris sur les horizons marins, et que la candidate d’extrême-droite souhaite suspendre au moyen d’un moratoire immédiat, non, de l’hydrogène fabriqué dans les centrales à thorium. De l’hydrogène qui trouverait naturellement sa place dans les voitures, qu’il ne s’agit néanmoins pas de priver de diesel, afin de ne pas affliger les pauvres.
On continue donc le gasoil, en allant vers l’électricité sans passer par le gaz naturel pour véhicule. Normal, Marine Le Pen veut interdire toute exploration et exploitation de gaz de schiste. C’est oublier que tonton Vladimir a de grands gisements d’affection à son endroit. Quant à l’isolation thermique des bâtiments, au transport des marchandises et à la mobilité, rien, hormis la nationalisation des autoroutes pour en rendre moins cher l’usage et l’interdiction de la concurrence sur les lignes de train.
L’obsession des trous et de l’hydrogène
Emmanuel Macron partage avec Madame Le Pen la passion du BTP. Car couler du béton a toujours été la grande passion des politiques, qui ont durant des années alimenté par la bétonneuse la caisse noire de leurs partis (ou la leur), et c’est un réflexe dans notre pays dirigé par des ingénieurs. À un problème correspond toujours un rond-point, un pont ou un hôtel de département. Donc, le transport de marchandises et des personnes se résume à de l’infrastructure et des motorisations. C’est con, mais ça marche toujours, sauf chez les professionnels.
Rien de surprenant à ce que les deux finalistes de la conquête du trône soient pour le Canal Seine-Nord, en dépit des bateliers, des portuaires et des logisticiens pour qui c’est de l’argent balancé à l’eau. Il y a mieux à faire et, quitte à creuser des tranchées, autant le faire entre le Rhin et le Rhône, là où le trafic en barge en aurait réellement besoin. Dans la lignée stupide, Emmanuel Macron soutient également le tunnel Lyon-Turin, alors qu’un tunnel existant est sous-exploité. Marine Le Pen veut quant à elle nationaliser les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc. En plus des autoroutes, n bêtement vendus par Chirac, cela va coûter cher alors qu’on n’a pas le premier sou.
C’est tout pour le fret ferré et fluvial, quand au fret routier, il est résumé à l’hydrogène qui a semble-t-il réponse à tout. Étonnant de voir les représentants des deux candidats répondre à « comment on livre les villes demain alors qu’elles ne veulent plus ni bruit ni particules ni diesel », par « on va encourager la motorisation au dihydrogène et à la pile à combustible ». Les professionnels de la chose, eux, sont consternés.
EM, pour Écologie libérale
À l’inverse de son adversaire, Monsieur Macron soutient la mise en concurrence des trains de voyageurs, il veut même la hâter. L’expérimenter partout. En ce qui concerne la voiture, le candidat d’En Marche ! va plus loin que tout le monde : il dit qu’en 2040, il ne devra plus y avoir un seul véhicule thermique vendu en France. Un pari osé, enthousiasmant, qu’il espère gagner en taxant le diesel autant que l’essence, en aidant les ménages pauvres à changer d’auto, et en favorisant, lui aussi, devinez quoi, l’hydrogène. Une commune obsession décidément. Mais voilà, les trajets quotidiens, ce n’est pas que du moteur, c’est aussi de l’information. Gérer le trafic et le stationnement en développant l’échange d’informations entre des voitures connectées, des routes connectées, des péages connectés, des parkings connectés de façon à, par exemple, réserver selon le trafic et le niveau de pollution la voie de gauche de l’autoroute aux voitures à trois occupants, entre 7 h 15 et 7 h 25, Emmanuel Macron a compris ce sur quoi travaillent les métropoles pour dissuader chacun de venir travailler tout seul dans son auto.
La « route intelligente » de Monsieur Macron est en cohérence avec la maison intelligente. Entendez, la promotion de l’autoconsommation d’énergie. Dans ce domaine comme dans celle de la transition énergétique, le candidat à la présidence de la République est dans la continuité de François Hollande et de Ségolène Royal. Ni plus, et même un peu moins sur les objectifs. Il ne va contre le sens du vent, il va même résolument dans celui des éoliennes, qu’il veut développer vraiment en simplifiant les procédures d’autorisation. Y compris pour les champs off-shore, six au total, mais toujours rien à l’horizon, car il reste des écolos et des propriétaires de résidences secondaires pour qui un mât de 2 mm de haut dans le champ visuel est une insulte à la nature.
Emmanuel Macron est plus inventif en matière d’agriculture.
Le droit à l’erreur
Comme tous les candidats, sans exception, le leader d’En Marche ! veut renforcer le poids des agriculteurs dans leurs négociations avec les aimables centrales d’achat, dans le cadre d’un Grenelle de l’alimentation qui mettra tout le monde autour de la table. Ça ne mange pas de pain. Lors de ce raout, on pourra aborder par exemple l’objectif de 50 % de bio local et de labels de qualité dans les menus des restaurants scolaires et d’entreprises d’ici la fin du quinquennat. En profitera-t-on pour interdire les OGM ? Oui. Mais pas la recherche, car on ne sait jamais. De même en ce qui concerne les gaz de schiste et les hydrocarbures non conventionnels : exploiter, non, explorer, oui, afin de ne pas insulter l’avenir. Une position qui surtout n’insulte pas la science, en ces temps où celle-ci est accusée de tous les maux, et que d’aucuns, un peu âgés, aimerait placer sous le contrôle du peuple. Mais revenons-en à l’agriculture.
Emmanuel Macron veut instaurer pour les paysans, comme pour tout le monde d’ailleurs, un droit au chômage ainsi qu’un droit à l’erreur. C’est-à-dire qu’il veut substituer au contrôle systématique qui infantilise, et à la sanction immédiate qui décourage, la pédagogie d’une bonne foi qui serait reconnue, sans pénalités. Une révolution dans notre administration dont la complexité des textes place chacun de nous dans l’incapacité d’être bien dans les clous. Le candidat d’En Marche ! souhaite également séparer la vente de matériels agricoles et d’intrants chimiques du conseil, afin que les agriculteurs ne soient plus pieds et poings liés à des interlocuteurs en conflit d’intérêts.
Autre élément novateur, un plan d’un modeste 200 millions d’euros pour rémunérer les agriculteurs pour l’entretien des services rendus par les haies, les tourbières, les bandes enherbées etc. Un plan dans un autre beaucoup plus généreux de 5 milliards d’euros dévoué à soutenir et encourager l’innovation agricole, quelle qu’elle soit, tant qu’elle ne nuit pas à l’environnement ni au bien-être animal. Enfin, à l’exemple de la politique agricole américaine, Emmanuel Macron souhaite développer, ainsi que le voulait François Fillon, l’assurance comme moyen de soutenir les prix en cas d’aléa naturel ou économique. Une assurance sous forme d’épargne de précaution individuelle, favorisée d’une façon ou d’une autre par l’État. Une manière de contourner la PAC qui interdit – contrairement au gouvernement fédéral américain – de garantir les prix payés aux agriculteurs. Enfin, Emmanuel Macron veut que toute forme d’établissement agricole soit soumise au contrôle des Safer. Il va plus loin que Marine Le Pen, tout en restant dans le sens des choses de Stéphane Le Foll.
Voilà, faîtes votre choix. En ayant à l’esprit que sur l’aménagement du territoire, la logistique, la fiscalité, la biodiversité, l’eau, les deux candidats sont aussi flous que le débat du second tour a été embrouillé. Tout de même, ils parlent beaucoup de la mer – dans leurs programmes, pas sur les plateaux, oui, de la mer, enfin reconnue comme essentielle à l’avenir de la France, notre pays qui dispose du premier linéaire côtier d’Europe, de la seconde surface maritime du monde, qui est la seule puissance à être présente sur tous les continents, sur tous les océans, grâce à ces territoires ultramarins. Ils en parlent, oui, mais sans s’y aventurer, comme des baigneurs allongés sur la plage. À l’image de leurs programmes.