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INFOLETTRE N°111

En Vendée, l’arbre est déjà citoyen

Nov 15, 2022

La purge d’Aux arbres citoyens du 8 novembre sur France 2 a tenté de faire comprendre aux gens que l’arbre est un bébé phoque qu’il convient de préserver des méchants en donnant des sous à une association. Vu l’audience catastrophique (en « prime ») – 8,6 % de parts de marché et 1,6 million téléspectateurs, le catéchisme a heureusement provoqué la fuite. Celle des gens qui partout en France font, plutôt que pérorer, qui n’attendent pas de savoir ce que pensent de l’arbre Yannick Noah, Naguy, Cyril Dion et Marion Cotillard pour agir. En Vendée par exemple, il y a Laurent Desnouhes. Directeur du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) Sèvre et Bocage, il sait montrer que l’arbre est chez lui citoyen depuis longtemps. Également conseiller municipal délégué à l’environnement et à la transition écologique de Sèvremont, Laurent Desnouhes est un de ces écolos remarquables qui font avancer le pays. Entre Pouzauges et les Herbiers, c’est en partie grâce à lui qu’agriculteurs, industriels, citoyens et naturalistes plantent ensemble des arbres et continuent le bocage, améliorant les sols, l’écoulement de l’eau et, en définitive ce qu’on mange. Rencontre en deux parties.

Laurent Desnouhes CPIE Sèvre et Bocage
© FD

La fable de la poule et la noisette

Il était une fois des poules qui menaient leur vie de poule. C’est-à-dire qu’elles sortaient peu de leurs poulaillers, car, toujours inquiètes du renard et de la buse, elles hésitaient à s’aventurer en terrain découvert. Il faut savoir que la poule mouillée est plus à l’aise au sec. Ce qui la rassure, ce sont les arbres. D’arbre en arbre, la poule file à petits pas, sous la frondaison elle se trouve bien, s’estime convenablement cachée. Picorant, elle dévaste le sol et éperonne toute bête qui viendrait à passer à portée de son bec.

Un éleveur de lapin répondant aux prénom et nom de Mickaël Pasquier, sis au lieu-dit Malatrait, près de Sèvremont, voulait changer d’animal et se mettre à la pondeuse, car le lapin n’a plus la cote. Le rongeur est exigeant pour tout, il est fort sensible aux maladies, ce qui avait fini par rendre son élevage trop coûteux. L’éleveur, ému par la poule, demanda quoi faire, et on lui dit, oui, fais-en de la belle poule, mais à la condition que tu plantes des arbres sur ton dehors car autrement, tes poules ne sortiront jamais, et ce sera bien la peine d’être en bio, vu que par-dessus le marché, tu veux être en bio.

Alors qu’il réfléchissait, fort loin des marchands de produits apéritifs et de pâtes à tartiner se félicitaient de la vie : la noisette leur rapportait beaucoup, la demande ne cessait jamais d’augmenter, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de l’avenir. Tout de même, ils auraient aimé acheter plus de noisette bio, afin de pouvoir coller l’estampille AB sur leurs produits, ce qui en fait bien augmenter les prix. Ils se renseignèrent alors et apprirent que faire de la noisette, en bio, c’est aussi compliqué que le lapin. Car sans traitements chimiques, le noisetier est régulièrement révolutionné par un ennemi à long nez, le balanin.

Gros yeux sur corps de cafard, cet insecte est précédé d’un rostre courbé comme un agent renifleur, aussi pointu et coupant qu’un sabre de hussard. À sa base, il y a deux antennes. Le balanin a des airs de bête fantastique fabriquée par un graphiste, il est simplement très emmerdant, car la femelle se sert de son rostre très viril non pour manger, mais pour faire un trou. Ceci fait, elle se retourne, place l’orifice néoformé en vis-à-vis ses fondements, et voilà qu’elle y pond son œuf. Bien rond dans sa noisette, l’ovule fécondé va y éclore, découvrant une larve toute blanche qui mangera tout. Évidée comme un pot de pâte à tartiner l’est par une troupe d’ados, la noisette n’a plus qu’à tomber, et la chenille en sortir pour aller s’enterrer afin de faire sa nymphose qui la mènera à devenir un beau balanin adulte. En attendant, la noisette vide, légère à s’envoler, ne vaut plus rien.

L’éleveur avait bien compris, cependant, il ne savait pas que planter dans son poulailler. Un jour, il rencontra Laurent Desnouhes. Comme le Scrat de L’âge de glace, le patron du CPIE Sèvre et Bocage ne sort jamais sans sa noisette. Tout d’un coup, une idée lui vint et il dit ceci à l’éleveur ébaubi :  » mais plante donc des noisetiers ! Puisque la larve du balanin passe un moment au sol, les poules la mangeront, l’insecte ne pondra plus car l’adulte ne sera jamais apparu, les noisettes ne seront plus menacées, les noisetiers ne seront plus désolés, et tout le monde sera content ! « 

Mise en place de la poule et la noisette à Malatrait Sévremont

© CPIE Sèvre-et-Bocage

L’arbre peut être paysan

La Fontaine aurait pu l’écrire, cette histoire n’est pourtant pas une fable, tout y est réel sauf les transformateurs qui ne sont pas intervenus dans la rencontre entre la poule et la noisette. Comme toute idée géniale, elle est toute simple : « En France, la production est dix fois inférieure à la consommation, les importations se font majoritairement de Turquie et en moindre quantité de Grèce, d’Espagne et d’Italie. En France, elle est principalement produite en Nouvelle-Aquitaine alors que les noisetiers, ça peut pousser presque partout et que le marché grimpe pour deux choses : les pâtes à tartiner, et les noisettes décortiquées pour l’apéro, la valeur ajoutée est énorme, en particulier quand elle est en bio, » détaille Laurent Desnouhes. Or, on l’a appris, la noisette bio est une culture fort aléatoire en raison de l’insecte à éperon qui, on peut le dire maintenant, à une tête assez risible. « On a conduit une expérience avec cet exploitant qui faisait du lapin et voulait se lancer dans la poule pondeuse. On lui a dit vas-y, nous, on va t’accompagner pour les noisetiers. Il nous a juste fallu voir si on pouvait vendre des noisettes bios poussées dans un parc à volailles bio. ». Séduits par l’idée, les Super U de Pouzauges, des Herbiers et de La Châtaigneraie ont dit « oui » sans trop y réfléchir pour accompagner le projet, comme ils avaient déjà dit oui à des éleveurs de bœufs et de maraîchers bios. « Ensuite, on a financé l’achat des arbres : notamment avec l’entreprise La Boulangère, qui fait de la brioche bio, et l’Association française d’agroforesterie. Et puis, on a trouvé sur le territoire un pépiniériste… spécialiste de la noisette ! » Tous ensemble ils ont sélectionné les bonnes variétés, et tout le monde, accompagné de jeunes, a fiché quelque 350 scions dans un peu plus d’1 hectare de sol vendéen. « La noisette veille sur la poule, et la poule veille sur les noisetiers, » me dit, hilare, Laurent Desnouhes. Sa fable est une poésie de pays. En faisant se rencontrer la poule et la noisette, il a permis à un éleveur de changer de bête, il a ajouté une petite paille à un vieux tricot qui ne se démode pas, le bocage. L’arbre paysan, c’est d’abord un arbre qui ne coûte pas trop et qui sert à quelque chose.

Mise en place de la poule et la noisette à Malatrait Sévremont
© CPIE Sèvre-et-Bocage

Les Fièvre du bocage

Emblème d’un territoire, la Vendée, et témoin vivant de nos révolutions agricoles ; symbole à la fois d’un entre-soi clôturé et d’une nostalgie parcourue de chemins creux et trouée de mares, le bocage a été en partie détruit par les paysans eux-mêmes qui, aujourd’hui, le réhabilitent. Finalement, il leur rend bien des services et, d’ailleurs, pas qu’à eux : pour attirer des jeunes, des entreprises vendéennes, affligées par le plein-emploi, jouent sur le cadre de vie confortable qu’est le bocage. Alors, elles font ce qu’il faut pour le préserver. Mais de quoi parle-t-on ?

Emblème d’un territoire, la Vendée, et témoin vivant de nos révolutions agricoles ; symbole à la fois d’un entre-soi clôturé et d’une nostalgie parcourue de chemins creux et trouée de mares, le bocage a été en partie détruit par les paysans eux-mêmes qui, aujourd’hui, le réhabilitent. Finalement, il leur rend bien des services et, d’ailleurs, pas qu’à eux : pour attirer des jeunes, des entreprises vendéennes, affligées par le plein-emploi, jouent sur le cadre de vie confortable qu’est le bocage. Alors, elles font ce qu’il faut pour le préserver. Mais de quoi parle-t-on ?

Pas seulement des haies derrière lesquelles les Vendéens attendaient le soldat républicain pour lui écrire au sabre « vive le roi » sur le ventre. Le bocage est un ensemble complexe. Un paysage d’enclos verdoyants, disent en général les géographes. Les opérateurs de drones montrent une marqueterie feuillue : le bocage est une mosaïque, un maillage hétérogène de biotopes aussi fin et lâche qu’un vieux pull. De quoi est fait ce tissu ? De haies, évidemment, mais également, si vous regardez bien, de beaucoup d’arbres isolés et de bosquets éparpillés. Alignés, regroupés ou écartés, les arbres sont tellement présents dans notre mémoire collective qu’ils nous font oublier ce pour quoi ils sont là : les champs, les prairies, les cultures… Le bocage est à la fois l’enclos et la clôture. Un contenant et un contenu dont la trame est faite de bois et de prairies, et aussi de ruisseaux, de mares, de tourbières et de chemins. Il est rugueux : sa diversité spatiale et en espèces est la clé de ses mérites, ce qui en rend l’appréhension difficile, tant il est complexe.

En Vendée, le bocage a une mémoire, celle de Jean et Bernadette Fièvre. Les deux octogénaires ont été agriculteurs toute leur vie, comme leurs parents le furent. À Saint-Mesmin, ils ont vécu du bocage, l’ont vu partir, ont participé comme tout le monde à l’arrachage, avant de lutter pour sa protection. Jean me raconte sous le regard de madame. « Avant, on ne voyait pas d’un champ à l’autre. En 1936, mes parents avaient 22 hectares… sur 36 parcelles, c’est dire. À cette époque, on obéissait aux notables, les parents étaient mal vus si leurs enfants prétendaient se rebeller. On faisait confiance aux gens éduqués, et l’on n’apprenait les choses que par ouï-dire, à la messe et à la foire du lundi. Parmi eux, les maquignons décidaient de tout. En fait, ce sont eux qui faisaient crédit – à des taux énormes ! – pour acheter le tracteur ». Alors, pour les époux Fièvre, comme pour tant d’autres agriculteurs et éleveurs de l’après-guerre, le bocage représentait la société rurale vendéenne ancestrale qui les empêchait de respirer. « On faisait brûler des haies, car on se sentait oppressés, on disait que les chênes bouffaient notre terre. Mais les notables, eux, ne voulaient rien changer au système social qui, sur le terrain, était le bocage. Ils préféraient conserver le parcellaire… » Clôtures sociales, prisons paysagères : symbole et colonne vertébrale d’une société, le bocage ne pouvait longtemps survivre, en l’état, à la promesse de modernité offerte par la révolution agricole des années 1950. Il fallait qu’il fût troué, il l’a bien été. Aujourd’hui, on le reforme.

En ce début de millénaire, l’arbre paysan revient et, puisqu’on l’avait oublié, on le pare de toutes les vertus. L’arbre tient le sol, conduit l’eau, fait de l’ombre, abandonne ses feuilles qui deviennent matière organique, il brise le vent et atténue les écarts de température, il accueille des insectes qui bouffent les parasites et, avec ses branches, on peut faire de l’énergie. Et avec ses feuilles, du fourrage ou de la litière. Que des avantages. Toutefois, les éleveurs voient en l’arbre seul la méchante perspective d’une agglutination du bétail, toujours propice aux maladies infectieuses et, in fine, à une mauvaise qualité du lait. Les cultivateurs considèrent parfois sobrement l’ombre portée, qui n’aide pas à maintenir les rendements. D’autant que le tracteur et la moissonneuse n’aiment pas s’aventurer trop près.

Jean Fièvre
© FD

Pour Pascal Sachot et Jonathan Berson, installés du côté de Sèvremont, l’affaire est entendue : travailler sans arbres est impensable. Le bocage doit être préservé, car il est, comme la prairie qui en fait partie, un élément de production. Les deux hommes sont associés en élevage bio, ils vendent fort bien leur bétail en circuit court, jusqu’au Super U de Pouzauges déjà cité. « On a intégré la haie comme une culture, qui doit générer de l’argent dans une nouvelle forme agricole devant faire de la production sociale. » Dans le Pays de Pouzauges, adossé aux collines de l’est de la Vendée, la crise de la vache folle de 1996 avait été le détonateur pour changer ses manières. « On ne pouvait pas continuer comme cela, perdre le tiers de la valeur d’un élevage du jour au lendemain. Alors, on a mis en place un système herbager avec rotation longue, sur 5 à 8 ans, de l’élevage bio, tout en conservant du canard hors-sol qui maintient des emplois. » Bétail, culture, canards, les trois productions sont complémentaires. Ce qui les relie, c’est le bocage qui retient le sol dans les pentes. Les tempêtes de Noël 1999 qui ont mis à mal le bois de châtaignier de l’exploitation ont été le second déclic de la nécessité de prendre en compte la gestion du bocage : l’installation de la filière bois-énergie en partenariat avec la commune compense, depuis, les coûts d’entretien des haies. L’idéal bocager n’est plus le parcellaire étroit d’il y a un siècle, le carré entouré d’arbres hauts mais, selon la topographie et la nature des lieux, la parcelle rectangulaire de quelques hectares, avec des arbres en son centre (ça aide les insectes) dûment close d’arbres, de bosquets, de haies, de ruisseaux et de chemins creux…

Pascal Sachot et Jonathan Berson,
© FD

La châtaigne et le mouton

Le châtaignier est l’arbre révélateur du bocage vendéen. Le CPIE Sèvre et Bocage s’est occupé des agriculteurs qui l’avaient oublié. La destruction des haies s’est traduite par un oubli des techniques d’entretien. Ce qui reste de ces arbres vieillit donc et n’est plus toujours taillé comme il le faudrait, ce qui accélère encore le vieillissement… Parfois, une haie grabataire ne vaut pas mieux que pas de haie du tout. Les techniques de taille se sont érodées et, comme cette culture était essentiellement orale, il est quelquefois difficile, aujourd’hui, de les retrouver. Pour les pérenniser, le CPIE a choisi de rappeler aux Vendéens l’importance du châtaignier. « Avant, on disait qu’il payait le fermage », résume Pierre-Yves Marquis, chargé de la question pour l’association. L’arbre servait à tout, à nourrir, d’abord, par la farine de ses fruits, mais aussi à fabriquer du miel, du bois pour les charpentes et les toitures, les piquets de clôtures, les bouchots pour les moules… Dans le châtaignier, tout est bon, le châtaignier est un cochon. Sans compter que, correctement taillé et greffé, l’arbre tout vieux est un havre pour une foule d’oiseaux et d’insectes cavernicoles. « C’est un vrai arbre paysan, une mémoire affective, une porte d’entrée dans le bocage. En plus, c’est une grande valeur économique ; un arbre d’avenir, car la demande n’est satisfaite que par l’importation. » La combler impose que les châtaigniers de qualité d’aujourd’hui puissent avoir une descendance de valeur. Raison pour laquelle le CPIE promeut la greffe, seule à même de pérenniser la vigueur de ce patrimoine culturel tout aussi unique que le bocage dont il est une des vertèbres cervicales.

Pierre-Yves Marquis CPIE Sèvre-et-Bocage
© FD

Entreprises… et biodiversité ?

Une partie de ce petit monde s’est trouvée réunie au château de Landebaudière en Vendée lors des quatorzièmes ateliers du développement durable des territoires (ADDT) qui se sont tenus les 16 et 17 juin 2021. Cette grosse bâtisse au style Louis XVI typique semble posée comme un bâtiment de ferme sur un parc à peine jardiné, car il est bien pâturé. Un cadre judicieusement choisi pour entendre les entreprises de la région Pays de la Loire causer de ce qu’elles font en matière de préservation de la biodiversité. Propriété de la communauté de communes du Pays de Mortagne, le château est le siège de l’Association Demain Vendée, dont les moyens techniques ont permis la tenue de ces ateliers, à la fois en présence des intervenants, et à distance pour les participants. Un petit plateau télé organisé par le CPIE Sèvre et Bocage pour le compte de l’Union Régionale des CPIE des Pays de la Loire.

La Vendée n’est pas en retard

La Vendée a des entreprises dans ses bocages. J’ai pu en rencontrer une bonne centaine (en ajoutant celles des Mauges, de Mayenne et de Sarthe) lors de mes pérégrinations ayant abouti à la rédaction des trois volumes de Territoire, entreprises, environnement, publiés par l’Union régionale des CPIE Pays de la Loire, avec l’appui de la région. J’en vois bien d’autres, chaque année lors des débats que j’anime. Au fil des ans, le fort peu naïf que je suis a vu le changement. Par exemple, ce jour de juillet 2018 où les plus grosses entreprises de France, réunies chez Good Planet, la fondation de Yann Arthus-Bertrand, avaient en présence de l’alors ministre de l’écologie Nicolas Hulot et de presque toutes les grosses associations de protection de la nature françaises, signé « Act4Nature ». Soit un engagement aussi solennel que concret en matière de biodiversité, parfois superficiel, souvent précis et d’ampleur, pris par des entreprises qui, lasses d’attendre la fixation d’objectifs clairs par l’État, s’en sont donnés elles-mêmes. De l’inédit, sous le regard d’associations et de scientifiques qui ne manquent pas de désigner les signataires à la critique des réseaux sociaux quand leurs projets se sont révélés douteux. Déjà, des bilans ont été faits, accessibles sur le site d’Entreprises pour l’environnement (EpE), l’association à l’origine d’Act4Nature : on peut y apprécier la réalité des engagements des plus grosses boîtes françaises. EpE s’est fait piquer son idée car l’Office français de la biodiversité (OFB) a récupéré les entreprises signataires présentes uniquement en France : ce sont les désormais EEN, les « entreprises engagées pour la nature. »

En fait, depuis dix ans, je constate un grand changement. Laurent Desnouhes également. « En l’espace de quelques années, il y a eu une réelle montée en gamme, avec des moyens, mis en œuvre par des gens désintéressés qui ne font pas que de la com » , constate-t-il. « Ce genre de manifestation, il y a dix ans, avec une telle pluralité d’entreprises, aurait été impossible à organiser. » Entre-temps, le sujet de la nature est devenu un objet social largement médiatisé, encore qu’il reste très loin derrière le changement climatique. « Dans l’ensemble, je vois des actions menées qui dépassent le cadre des entreprises. Elles investissent leur territoire. » Il était temps.

Un parc d’activités vert, c’est presque possible

Travaillant depuis des années avec elles, le CPIE Sèvre et Bocage est un bon observateur de l’acculturation environnementale des entreprises. De l’intégration d’une dose plus ou moins élevée d’écologie dans leur façon de travailler. Cela est venu notamment de la discussion entre elles, et entre les entreprises et les collectivités. Par exemple, le parc d’activités du Bois-Fleuri de La Chevrolière, en Loire-Atlantique. Construit il y a quarante ans sur 28 ha, étendu depuis 2015 à 38 ha, il était bien de son époque. Triste, banal comme une quelconque zone d’activités. « On s’était dit qu’il fallait le rendre perméable à la faune et la flore », explique Pierre Lavoix, l’animateur de l’association créée par 11 entreprises du parc, l’Interentreprises du Parc d’Activité Durable du Bois fleuri de La Chevrolière (IePad). « En 2015, il y avait déjà un projet de réhabilitation porté par la communauté de communes de Grand-Lieu, qu’elle avait fait dans son coin, sans consulter les entreprises. Alors, on s’est réuni pour en causer, et parmi nous, il y avait Armor, la plus grosse société, qui avait déjà un programme RSE solide. » La discussion a abouti à la création de cette association, et à des réalisations concrètes obtenues par la mutualisation des moyens. Aux classiques sujets des déchets, des économies d’énergie et de la mobilité des salariés, s’est ajouté celle de la biodiversité. L’IePad a ouvert… un gîte : la Gestion de l’Intégration Territoriale et Environnementale est un projet visant à faire du site rien moins qu’un lieu de découverte de la nature pour les salariés et les citoyens. Selon M. Lavoix, cela participe à la qualité de vie au travail des premiers et à l’acceptabilité du site par les seconds. « Pas seulement, d’ailleurs, car on est arrivé à la réflexion que la nature, la biodiversité, permettait de gérer différemment les eaux pluviales, en limitant le ruissellement, et d’apporter de la fraîcheur en été, notamment avec les milieux humides. » L’un d’entre eux a été remis en eau, des bassins de phytoépuration ont été créés, des haies ont été plantées.

Il a tout de même fallu convaincre, car là comme ailleurs, il n’y a dans la population que 20 % de personnes motivées par le sujet. « La même proportion est opposée, il reste 60 % de gens indécis. C’est vers eux qu’il faut faire de la pédagogie, qu’il faut emmener avec soi. (sic) » Les irréductibles réclameraient en effet trop d’énergie, pour un résultat très aléatoire. « Il faut dire que ce genre de dialogue collectif, à propos qui plus est de la nature, change la posture du dirigeant, qui a en tête l’image ancienne d’un parc d’activités propre, bien tondu, soumis aux démarches qualités du monde industriel et aux réglementations du travail qui font croire qu’une pâture, c’est un risque incendie augmenté et des piqûres d’insectes ! » L’association d’entreprises travaille en lien avec le CPIE Logne et Grand-Lieu et la communauté de communes. « C’est ce qu’on attend d’une collectivité : de nous faciliter les choses, et cela a été fait. » Aujourd’hui, le parc, installé à l’est du lac de Grand-Lieu, est branché sur la voie verte et est reconnu par la LPO comme un refuge.

Le Bois-Fleuri a été précurseur car en juillet 2021, l’association Afilog, qui représente la plupart des acteurs de l’immobilier logistique présents sur le territoire national, a signé avec les ministres de l’écologie et de l’économie une charte « de performance environnementale et économique » qui avance des choses étonnantes : privilégier les friches à la terre agricole, infiltrer dans le sol dès 2023 100 % des eaux pluviales et « planter des haies champêtres composées d’arbres et d’arbustes sur deux rangées, sur un linéaire au moins équivalent à 50 % de la limite de propriété, et s’inscrivant dans la continuité de la trame verte locale. Dans le cadre de l’axe 3 du plan gouvernemental en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation, au moins 50 % des linéaires de haies sont composés d’essences favorables aux pollinisateurs. » Cela dit, comme les promesses électorales, les chartes n’engagent que celles et ceux qui y croient, mais elles indiquent aussi que les temps sont en train de changer. En échange de ces engagements, l’État s’engage dans la charte à « respecter les délais des procédures d’enregistrement et d’autorisation permis par les textes en vigueur… » On veut bien faire des efforts, mais ne nous assommez pas de bureaucratie. Donnant, donnant.

Des contrats avec la région

Élue référente biodiversité à la CCI régionale, vice-présidente du Ceser (le Cese régional) des Pays de la Loire et présidente d’Axions 21, Marie-Jeanne Bazin a mis en place une démarche de prospective à l’horizon 2050 : comment accélérer la prise en compte de la nature dans les entreprises ? « La porte d’entrée est les déchets et l’énergie. Cela permet de se frotter à la question clé de l’économie, » se souvient celle qui a quitté le service public pour fonder sa société qui accompagne les entreprises sur les questions d’environnement. « L’entreprise d’aujourd’hui doit comprendre que si elle a besoin de la nature pour vivre, elle a aussi des devoirs vis-à-vis d’elle. » Derrière cette parole à tout faire, que l’on entend souvent dans les colloques, il y a le concret des achats : prenant en compte la recherche des ressources les mieux durables, réfléchissant à l’écoconception des produits, le service achats d’une entreprise peut – et devrait – envoyer un signal clair aux fournisseurs tout en se verdissant. Un effet de boule de neige qui irait grossissant à mesure que le nombre d’entreprise s’interrogeant sur l’origine et la conception des produits qu’elle achète augmente d’une année à l’autre. « Au sein de la CCI, on a un groupe de travail avec la région notamment sur le zéro artificialisation nette : identifier les friches, densifier et intensifier les usages, favoriser la multifonctions des bâtiments, tout cela pour préserver le vivant et les ressources naturelles » et atteindre, peut-être l’objectif national du zéro artificialisation nette (ZAN).

La région aide financièrement les entreprises via son Contrat nature, un outil politique dont le but est de restaurer les continuités écologiques, les corridors de nature, les trames vertes et bleues coupées en pointillé par l’urbanisation. À l’est de la Vendée, là où les bocages couturent le paysage, c’est le CPIE Sèvre et Bocage qui pilote ce contrat nature, premier du genre (pour la période 2016-2020).  « Notre territoire d’intervention est dynamique, il est plein de petits pôles économiques ce qui est un atout formidable, » reconnaît Laurent Desnouhes. La Vendée est en plein-emploi grâce à un tissu dense de PME implantées à la campagne, qui considèrent depuis quelques années que le bocage est à la fois le pilier du bien-être de leurs employés et un élément vendeur pour attirer les compétences venues d’ailleurs. Voulant préserver leurs territoires de vie, ces entreprises ont fait de l’écologie sans le savoir. « Cette répartition structure le pays du bocage, elle est un atout pour agir, elle est aussi une des causes… de la fragmentation des milieux naturels, de la rupture des corridors écologiques, » déplore Laurent. Le Contrat nature a été précisément créé pour accélérer la mise en œuvre des initiatives prises par les entreprises et les collectivités locales afin de corriger cet impact délétère. Il cible en particulier la transparence des zones d’activités vis-à-vis de la biodiversité, en cherchant à proposer un « cadre de référence » de l’aménagement, du réaménagement des zones d’activités à partir d’expérimentations conduites par 5 communautés de communes de l’Est Vendée soutenu par le Conseil Régional des Pays de la Loire. Concrètement, les leviers d’actions sont nombreux. La lumière, par exemple, explique L. Desnouhes : « dans les corridors écologiques, on oublie souvent la trame noire, c’est-à-dire la rupture que constituent pour les animaux les lumières artificielles des villes comme des entreprises. Il faut qu’elles travaillent sur ce sujet. » Ont-elles besoin de laisser la lumière la nuit ? Souvent, pour les plus grandes, c’est une obligation de sécurité, derrière laquelle se retranchent d’autres, par habitude. « On faciliterait aussi la vie des entreprises si une mutualisation de moyens était mise en place avec les collectivités à propos de l’entretien des espaces publics et des espaces privés. » La mutualisation, un mot qu’il faut prononcer dans tout débat, généralement vite oublié car il se heurte à des routines de gestion et de comptabilité.

Des salariés et des indicateurs

Ne pas réfléchir à la biodiversité seul dans son coin. Qu’entreprises et collectivités travaillent sur des objectifs communs et concrets. Et qu’elles le disent. Aidée par la consultante Séverine Simonnet qui a élaboré le programme Ecl’or (Engagement collectif pour l’orientation des jeunes), l’entreprise Sylvaplak a commencé par créer un lien avec l’école. « Je précise d’emblée qu’on n’est pas vraiment sur le thème de la biodiversité, mais sur un programme pour faire découvrir le monde de l’entreprise aux jeunes, avant qu’ils n’arrivent au lycée », tient à rassurer le directeur, Sylvain Chopot. Quel rapport entre une visite d’usine et la nature, alors ? « On fait d’abord découvrir le territoire dans lequel l’usine se trouve. Puis le monde économique, les métiers de l’entreprise etc. De fil en aiguille on arrive au rapport entre nous et l’environnement. » Ce sont d’ailleurs des questions récurrentes chez les collégiens qui, demain, seront les employés, voire les dirigeants de l’entreprise. « Ce programme, que partagent 16 entreprises, c’est d’abord une découverte de soi par les élèves eux-mêmes. Qui sont-ils, que veulent-ils, quelle serait leur vie rêvée ? » détaille Séverine Simonnet. « Ensuite les entreprises viennent dans les classes, puis les élèves vont dans les entreprises, » ajoute-t-elle. Les petits découvrent le monde économique tel qu’il est et est peu enseigné à l’école. Ils amènent leurs questions pratiques, existentielles… écologiques. Les entreprises parlent d’elles, entendent, voient, constatent. La nature est bien présente, derrière la question devenue banale « qu’est-ce que vous faites de vos déchets, est-ce que vous polluez ? » Et dans la mesure où parmi ces jeunes il y a les enfants du personnel, il serait hasardeux de ne pas répondre correctement.

Les salariés, parlons-en. Chez Kléber-Moreau, ils ont été formés aux questions de biodiversité lors de la pause de midi. « On prend une demi-heure régulièrement pour parler par exemple des hirondelles de rivage qui nichent dans nos carrières. On montre comment piéger les écrevisses de Louisiane, qui sont invasives. » Responsable foncier du carrier, Mickaël Pineau est à un poste qui exige de l’entregent et de la diplomatie. Le sujet nature est plus que sensible, les carrières étant dans l’imaginaire collectif, réputées destructrices. « On sait bien que c’est faux, nos employés le voient bien : c’est riche. Par contre, ils peuvent faire mal alors qu’ils pensent bien faire, d’où la nécessité de travailler avec des naturalistes. » Un CPIE leur a ainsi appris à faire attention aux tôles ondulées entreposées : éviter d’y toucher, car les reptiles aiment se tenir dessous. Le dialogue a permis de mettre une porte à un ancien transformateur électrique que Kléber-Moreau envisageait de détruire. « Il suffisait qu’on nous le dise, et qu’on nous apprenne comment faire : il y avait des chauves-souris dedans, des rhinolophes. » La qualité de l’environnement social autour de l’entreprise est primordial. Rassurer pour maintenir de bonne relation et ainsi se faire accepter dans le paysage. Montrer par exemple que la nature n’est pas qu’une obligation. Kléber-Moreau utilise l’Indice de Qualité Ecologique (IQE) élaboré par le Muséum national d’histoire naturelle en 2006. « Avec plusieurs sous-indicateurs comme les espèces patrimoniales, invasives, les surfaces non artificialisées etc., on obtient des graphiques en toile d’araignée à la manière des résultats des tests du labo de la Fnac, » explique M. Pineau. D’une carrière à l’autre (le groupe en possède neuf), les employés se comparent et les objectifs à atteindre sont définis. « On voit au fil des années l’évolution de chaque site, cela motive tout le monde. » Et cela amène les naturalistes qui font les mesures sur le terrain à cohabiter régulièrement avec le personnel de l’entreprise.

Et puis, un bon indice est sans doute une bonne ambassade vis-à-vis des élus sans lesquels il n’est point de carrière. Responsable foncier, M. Pineau est à l’affût de tout changement dans les documents d’urbanisme et de planification. Il lit la presse locale pour savoir qui a dit quoi sur quel projet. « On est vite oubliés », dit-il, lorsqu’une majorité municipale est changée. « Avant, on avait un lien direct avec les maires, cela allait, alors que désormais, c’est plus difficile avec les communautés de communes. » Ainsi doit-il être présent dans les réunions, les manifestations, pour dire ce qu’est Kléber-Moreau et ce qu’il fait, et qu’il n’est pas l’ennemi des territoires où il creuse des trous. Au contraire, ces trous peuvent amener de nouvelles niches écologiques qui enrichissent la biodiversité locale. Ne pas trop en faire, tout de même.

la nature pour modifier ses pratiques

Dans le monde du vin, on s’adapte depuis longtemps au changement climatique, on sait aussi çà et là vivre avec l’air du temps. Les pesticides n’ont pas une bonne image or, la viticulture en est le premier utilisateur. Elle est une monoculture sur sols pauvres, à laquelle on n’associe pas spontanément le terme biodiversité. Marie-Anne Simmoneau est cheffe du projet biodiversité du syndicat des producteurs de l’AOC Saumur-Champigny. « C’est en 2004 que des viticulteurs se sont posé la question de la maîtrise non chimique des insectes nuisibles. Ils ont alors demandé à un chercheur de Bordeaux Sciences Agro de les aider à comprendre les liens entre leurs paysages, les nuisibles et la biodiversité. » Avec Marteen Van-Elden, c’est le nom de ce chercheur, il est entomologiste, ils ont mis en place une recherche et développement interrogeant les pratiques, notamment le travail du sol. « Cela a abouti à la mise en place de zones écologiques réservoirs et d’un système de piégeages de nuisibles. » Des haies et des arbres, et puis des pièges à phéromones pour capter l’attention de la cicadelle verte et des tordeuses. « Les études de terrain ont ensuite montré que l’introduction de haies, en parcellaires, a un impact négatif sur les ravageurs, sans que l’on sache vraiment pourquoi. » L’hypothèse est que les haies amènent de la diversité dans des paysages viticoles monotones, qui constituerait en soi un obstacle aux parasites, qui se satisferaient de paysages uniformes. Ces travaux ont diffusé dans le monde des vignerons via des réunions, des lettres d’information et des colloques. « Dès 2008, quand il s’est agi de refaire le cahier des charges de l’AOC, les vignerons ont interdit le désherbage chimique total des parcelles et imposé à la place un désherbage mécanique ou bien une couverture des sols entre les rangs. » Une évolution très agronomique qui n’est venue ni de l’État, ni de l’Europe, ni d’une ONG : le changement est venu de lui-même parmi des viticulteurs soucieux de leur terroir et sans doute aussi de leur santé. « Cela a été porteur, justement parce que ce changement a été voulu par les vignerons, on a donc fait école chez d’autres. » Depuis, presque deux tiers des vignerons de l’AOC sont passés en bio.

Des goodies dans le bocage

On ne fait rien seul sans les collectivités, sans ses salariés, ses collègues, sans les jeunes, sans travailler avec tout le monde. La biodiversité est une façon de penser le territoire, elle se pense dans le territoire. À un moment, elle peut devenir un vecteur de progrès économique pour l’entreprise, lui conférer une valeur différenciante. « De toute façon, aujourd’hui, si l’on veut attirer des jeunes et garder nos talents, on ne peut plus faire autrement », constate Nicolas Ducept, le P.-D.G. de Mécapack. « Il nous faut mettre en avant et soigner un territoire de qualité, gage d’une bonne qualité de vie. » Encore faut-il le voir avec de bons yeux pour savoir ce que l’on souhaite valoriser auprès des gens que l’on aimerait recruter. M. Ducept a une belle formule : « On fait grandir ce qu’on regarde. » Regarder l’employé, le considérer afin qu’il ait vraiment envie de travailler. Regarder aussi le territoire : « Moi, j’ai pris conscience de tout ce que je ne savais pas lors d’une déambulation dans une zone industrielle guidée par un CPIE. J’ai été bousculé, car j’ai vraiment pris conscience de la faune et de la flore qui aime à venir dans ces zones-là où je pensais qu’il n’y avait rien. » Le territoire où vit son entreprise a dès lors pris une autre dimension, celle d’un milieu complexe à échelles multiples qui ne saurait se mesurer au simple linéaire de haies. Des biotopes, il en existe donc un peu partout. La diversité est souvent cachée. « Cela m’a changé. J’ai encore plus modifié des pratiques, avec d’autres managers notamment au contact de l’association RUPTUR . Par exemple, on ne délivre plus de goodies, mais on plante à la place des arbrescadeaux pour nos visiteurs, clients et fournisseurs. Chacun se voit offrir 3 m de haies, qui sont plantées chez un agriculteur. » Un partenariat de fait avec le monde agricole qui gère près de 80 % du Pays de Pouzauges où est implantée l’entreprise. De tout cela il discute avec ses pairs des clubs d’entreprises, et en compagnie d’une bonne vingtaine de ses salariés (il en a 215). « J’attends d’eux qu’ils me proposent des choses pour réduire notre impact environnemental, qu’ils me servent de contre-pouvoir. » Écologique.

Nicolas Ducept Mecapack
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Parties plus tôt, des entreprises sont allées plus loin, en embauchant des ingénieurs écologues. C’est le cas de Séché-environnement, avec par exemple Marion Touchard. « Quand on vient sur un site, on relaie des messages, directement auprès des salariés et puis au moyen d’expos itinérantes. » Gérant des flux de déchets, attaché à une image pas toujours valorisante, l’entreprise travaille ses implantations en dialoguant en permanence avec associations, collectivités, agriculteurs et riverains. En s’appuyant sur le référent biodiversité en poste dans chaque site. « C’est un de nos quatre engagements signés avec l’OFB. On est suivi par la LPO, le Muséum national d’histoire naturelle et des associations locales. Deux de nos indicateurs de performance sont le nombre de salariés sensibilisés au sujet, et celui qui a modifié son propre mode de vie. » Ces engagements ont servi, en 2018, de colonne vertébrale à une ligne de crédit « à impact » signée en 2018. D’un montant de 270 millions d’euros, à échéance 2023, ce mécanisme financier est constitué de deux emprunts à terme pour le refinancement de la dette de l’entreprise, et d’une facilité de crédit renouvelable destinés aux besoins généraux de l’entreprise : les termes de cette ligne de crédit tiennent compte de la performance de trois indicateurs, l’un est financier, les deux autres sont environnementaux (maintenir un niveau élevé d’autosuffisance énergétique et préserver la biodiversité sur les sites de l’entreprise).

le vivant, pour une philosophie d’entreprise

Voyons La Boulangère. L’entreprise vendéenne de viennoiserie se veut citoyenne, responsable, éthique. En 2001, sa direction a décidé de s’engager dans le bio et le commerce équitable. Depuis 2017, elle n’achète que de l’électricité « verte. » Deux de ses camions tournent au BioGNV, produit par une unité de méthanisation de Mortagne-sur-Sèvre. Quatre années avant, La Boulangère avait fondé avec d’autres entreprises le label agri-éthique, certification de commerce équitable « nord-nord » : l’assurance que les fournisseurs sont payés décemment, que les produits sont issus de bonnes pratiques sociales. « On se fournit en local également, pour le bio, » Responsable RSE, Hélène Barillet semble cocher toutes les cases de l’entreprise engagée pour la nature (ce qu’elle n’est pas officiellement). « Pour le blé, il vient de Vendée, des Deux-Sèvres et de Charente-Maritime. » Un local élargi : il faut entendre sans intermédiaire, pas à proximité immédiate. Pour les œufs bios, elle va jusqu’en Loire-Atlantique. « En fait, on s’engage auprès de nos fournisseurs sur un prix fixe, au-dessus du marché. On n’achète pas le blé selon le cours de la Bourse de Chicago. On signe un contrat pluriannuel avec la coopérative agricole et le meunier, » qui est vérifié par un cabinet externe à l’entreprise.

Ce genre de partenariat multipartite se développe depuis quelques années dans le monde de l’agroalimentaire. La Boulangère l’a étendu au monde associatif en s’engageant pour 1 % for the Planet, le mouvement philanthropique créé en 2002 par le fondateur de l’entreprise Patagonia. « On reverse donc un pour cent de notre chiffre d’affaires à des associations qui travaillent sur l’agriculture, l’eau et la biodiversité. » L’AFAC-agroforesterie, par exemple. Bien connue des écologues, elle travaille à convaincre paysans et collectivités de replanter et d’entretenir des arbres et des haies dans les paysages ruraux. « Nous soutenons également l’École des Semeurs qui, en Normandie, forme au métier de maraîcher des jeunes en décrochage scolaire. Et puis Des enfants et des arbres, une autre structure qui permet à des écoliers et des collégiens de planter des arbres chez les paysans. » La Boulangère se veut aussi militante en apportant son aide à des associations telles que Artemisia (elle apporte des conseils juridiques aux organisations qui en ont besoin dans leurs combats pour l’environnement), Générations futures, Inf’OGM et SurfRider Europe. La Boulangère est donc contre l’usage des pesticides et des OGM, mais quel rapport peut-elle avoir avec l’ONG fondée par des surfeurs ? « Il y a leur philosophie, et puis le Projet Ocean campus qui nous parle, car c’est une plateforme virtuelle de ressources pédagogiques sur l’environnement. »

Laurent Desnouhes CPIE Sèvre-et-Bocage
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Lui aussi a signé un partenariat fructueux. Maraîcher et éleveur bio, vous le connaissez déjà, c’est Jonathan Berson, qui travaille avec Fleury-Michon et Système U. « Pour fixer nos prix, on part du coût de production, et cela n’a jamais été remis en cause par nos partenaires. » La juste rémunération finance un groupement d’agriculteurs signataires d’une charte qui va bien au-delà du cahier des charges de l’agriculture biologique, lequel ne va pas bien loin sur les questions d’agronomie et de biodiversité. « La base, c’est de faire du maraîchage de façon à amener de la rentabilité. L’élevage fournit la matière organique, pour équilibrer le système, » financièrement et agronomiquement. Polyculture-élevage, bétail et bocage, la SAS Le Champ du possible n’a pas vocation à devenir une coopérative traditionnelle qui finit par s’éloigner de sa philosophie initiale. « On est 13 agriculteurs, sur 8 exploitations, on va investir sur des outils de stockage et modifier notre charte de façon à accepter des non-éleveurs, à condition qu’ils trouvent pour leur maraîchage de la matière organique issue d’élevages du secteur. » Des paysans qui travaillent avec des entreprises du pays à améliorer leurs paysages.

La France a toujours du mal avec ses entreprises. Enfermées dans le temps court, regardant leur nombril comptable et financier, écartelées entre fournisseurs et clients soumis au dogme du prix bas, comment pourraient-elles s’intéresser au temps long et à la complexité de la nature ? Quand on fait de l’argent, on est un peu sale. Une entreprise, par définition, pollue et asservit. Éventuellement elle fait semblant avec un ou deux coups de com’ verte. Cela a été vrai, ça ne l’est plus tout à fait, car globalement, le monde de l’entreprise a tellement intégré les contingences environnementales qu’il a été, dans certains secteurs, plus vite que l’État sur la question de la biodiversité. Car à attendre des règles et des dates butoir fixées par la loi, qui mettent des années à être écrites et sont susceptibles d’être modifiées d’une législature à une autre, on risque de devoir changer en urgence. Mieux vaut prendre les devants, aller au-delà des demandes et anticiper celles de demain. Les carriers avaient commencé il y a quarante ans.

En Vendée, les entreprises veulent maintenir leurs territoires en l’état, leurs bocages qui apaisent les salariés et attirent les jeunes diplômés. Elles font du coup de la protection de l’environnement souvent sans le savoir car lorsqu’on souhaite que le paysage quotidien perdure, on donne à ses éléments constitutifs, les biotopes, les moyens d’exister. Ainsi placée en filigrane l’écologie est un horizon pour l’entreprise, qui l’oblige à mettre le nez dehors, à voir comment elle s’insère dans son territoire, comment de par ses fournisseurs et ses clients elle a un impact sur d’autres territoires ; et à se regarder elle-même : l’écologie interrogeant tous les domaines, tous les capitaux, les stocks et les flux de l’entreprise, elle est un horizon social. Les employés travaillent mal dans la laideur, quelle qu’elle soit. Éparpillées, les initiatives de chacune sont a priori anecdotiques, elles ne le sont sans doute pas, car elles sont intrinsèquement utiles et surtout, elles ancrent toutes la biodiversité dans le langage commun, dans la culture collective, elles associent chaque jour un peu plus le temps court de l’économie au temps long de l’écologie. Ce n’est pourtant pas suffisant. Il faut que ça polymérise. Pour cela, c’est l’ensemble de l’écosystème de chaque entreprise qui doit avancer dans le même sens. C’est toute la chaîne de valeur qui doit se verdir en même temps. Usine, fournisseur, client, filiale. L’inertie est forte, seuls peuvent la vaincre l’État, garant de l’intérêt général, et l’opinion publique. Et puis quelques figures qui donnent envie d’agir parce qu’elles montrent que c’est possible. Il y en avait lors de cette journée. Il y en a au CPIE Sèvre et Bocage. Il y a la poule et la noisette.

Couverture Rencontres avec des écolos remarquables Delachaux & Niestlé
© Delachaux & Niestlé