Après Deauville, Argentan. Après l’explication de textes sur la compensation en 2022, une révision s’imposait. La compensation est une bonne manière d’allier souveraineté alimentaire et biodiversité, pourtant, beaucoup estiment encore qu’elle se fait au détriment des terres agricoles. La table ronde qui a eu lieu lors de l’Assemblée générale de la Safer Normandie du 8 juin 2023 dans la ville de Fernand Léger et Michel Onfray, a remis l’ouvrage sur l’atelier, en pleine actualité. La loi ZAN était en discussion au Sénat, elle a depuis été votée puis pourfendue par Laurent Wauquiez, le gouvernement avait annoncé une loi dite « industrie verte », votée également fin juillet, tandis que la FNSEA comme les partis de droite représentés au Parlement de Strasbourg s’opposaient au projet de loi européen sur la restauration des écosystèmes, le texte phare du Pacte Vert de la Commission finalement adopté. Les craintes exprimées se résument à un seul mot : foncier. À quoi faut-il l’allouer en priorité ? À la souveraineté alimentaire, expression devenue à la mode depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais aussi à la restauration des milieux naturels qui ne fonctionnent plus correctement, à la construction de logements qui manquent tant, à l’installation de panneaux photovoltaïques. Tout à la fois, en même temps ! Chaque usage s’estime plus important que les autres dans une belle querelle de légitimités qui, en définitive, s’exprime sur le champ de bataille habituel, la terre agricole.
40 ans d’invisibilité
Oui il faut le redire, comme le fait Denis Gandin, directeur adjoint de la Direction Départementale des Territoires de l’Orne : « Cela fait près de 50 ans qu’on est censés compenser, que les études d’impact ont été introduites par la loi, » celle, un des grands textes de l’histoire de la République, du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Que nous dit-elle exactement ? L’article 2 précise que l’étude d’impactdoit comprendre « au minimum une analyse de l’état initial du site et de son environnement, l’étude des modifications que le projet y engendrerait et les mesures envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement. » Si possible. Traduit dans le code de l’environnement, cela donne ceci : « Le principe d’action préventive […] implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » La séquence ERC, comme on dit dans les colloques, n’est pas nouvelle. La compensation n’est pas une affaire récente fabriquée pour faire du tort au monde agricole. Elle avait été mise sous le tapis jusqu’à ce qu’il faille la surligner par une autre loi, celle du 8 août 2016 dite de reconquête de la biodiversité, et la préciser par une autre encore, la loi Climat et résilience du 22 août 2021. Cela aboutit à l’article 163-1 du code de l’environnement rédigé ainsi : « « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultat et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. »
Les textes sont précis alors pourquoi semblent-ils flous ? M. Gandin a son idée sur la question : « Nous, services instructeurs, on n’a peut-être pas eu suffisamment de discours clairs sur la compensation, » ne serait-ce qu’en rappelant que « si l’aménageur ne fait pas un bon dossier, cela ira au contentieux, de plus en plus fréquent, qui porte très souvent sur le caractère insuffisant de l’étude d’impact et la non-application de la séquence ERC. L’aménageur doit présenter la réflexion qui l’a amené à son projet et les mesures qu’il a mises en place pour réduire les impacts. » Car le code de l’environnement est très clair : si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état. L’étude d’impact doit comporter une description précise des mesures d’évitement, de réduction, voire de compensation. « En fait, les maîtres d’œuvre manquent d’anticipation… » constate Denis Gandin. Ils ne sont pas les seuls. En France, on aime attendre d’avoir le nez près du mur pour constater qu’il y a bien un mur, il suffit de voir l’empressement avec lequel les communes détricotent les zones à faible émission (ZFE), pourtant dans les rouages européens puis nationaux depuis presque 20 ans, mais que les élus avaient sagement balayé sous le tapis.
Une compensation devenue incontournable, hélas
Souvent les aménageurs traitent de la compensation en dernier lieu, parce qu’elle n’est selon eux qu’une obligation réglementaire secondaire, dont il faut se débarrasser au plus vite, alors que même en faisant attention, même après avoir tenté d’éviter et essayé de réduire, ils vont devoir compenser, les prévient Claire Poinsot, directrice régionale de Biotope, l’un des principaux bureaux d’études environnement de France. « Aujourd’hui, penser qu’un projet d’aménagement puisse s’exonérer de compensation c’est irréaliste. La tension est telle actuellement quant à la rareté de certaines espèces, qu’il est presque impossible de n’avoir pas besoin de compensation. Il y a quelques années le R de réduction était encore possible, maintenant il implique le C de compensation, ne serait-ce qu’en raison de l’effondrement des populations d’espèces communes d’oiseaux agricoles. » Traiter le sujet par-dessus la jambe comme on évacuerait un souci comptable est un peu osé. D’autant plus que les associations de protection de la nature n’hésitent jamais à porter les dossiers litigieux au tribunal administratif, lequel, dès lors qu’il constate la présence d’une espèce patrimoniale sur la zone à aménager, est rarement accommodant.
Toutefois, et contrairement à une idée reçue solidement implantée dans le monde agricole, la loi n’oblige pas l’aménageur à compenser selon un facteur multiplicateur démentiel. Denis Gandin le rappelle : non, il n’existe même pas, ce facteur multiplicateur, autrement dit, si l’on coupe un arbre, il ne faudra pas en planter cinq ou vingt sur une terre agricole, car « la loi dit simplement qu’il faut compenser à fonctionnalité écologique équivalente. L’esprit c’est de mesurer finement les fonctionnalités, pour avoir zéro perte de biodiversité. » On compense si possible sur le site même, voire à proximité, le but étant que le fonctionnement des écosystèmes ne soit pas altéré. « Cela peut dépendre de certaines espèces, » précise Claire Poinsot. « Si vous avez un amphibien protégé qui ne se déplace que de 200 m dans sa vie, il faudra compenser vraiment tout près. »
L’agroécologie et le paysage, deux solutions ?
Anne-Marie Denis en doute quand même. Agricultrice et Présidente de la FRSEA de Normandie et de l’Orne, elle avait l’an dernier interpellé la salle à propos du « vol de terre », que la compensation exerçait sur le monde paysan. Une déclamation un tantinet exagérée. « Ce que je constate, c’est que l’on compense à des endroits qui ne sont pas indiqués. Ici on demande à des collègues qui ont plein de haies d’en replanter. Là, des villages se couvrent de boisements, naturellement, et on veut y faire de la compensation… en plantant des arbres ! ? Ça n’a aucun sens ! Il faudrait regarder où on compense à l’échelle du territoire ! » Une idée légitimée par un travail de recherches. Entre 2018 et 2021, un programme interdisciplinaire s’est penché sur la compensation écologique, CompAg. Il a concerné une vingtaine de chercheurs de l’INRAE, du Cerema, du CNRS, de l’Université de Côte d’Azur, les entreprises Terres de Liens et Agrosolutions et les Conservatoires des espaces naturels. Dans une note de synthèse parue en 2021, les hommes et femmes impliqués estimaient qu’il était temps de « dépasser les limites de la compensation écologique », en la réfléchissant à l’échelle du paysage, parce que le maintien du fonctionnement des écosystèmes ne peut se réfléchir a minima qu’à ce niveau, ce qui implique une administration territoriale de la compensation, pourquoi pas jusqu’à la taille de la région. Autre proposition, ne pas s’en tenir uniquement aux espèces patrimoniales, protégées, mais à la nature ordinaire. Enfin, l’équipe de chercheurs propose une bonne huile pour décoincer les blocages agricoles : préférer les friches, et si l’on ne peut faire autrement que de compenser sur des terres en exploitation, le faire en aidant l’agriculteur à passer à des pratiques agroécologiques, telles que la conservation des sols ou la plantation de haies.
Les espaces agricoles marginaux
Les friches. L’arlésienne du débat. Après tout, pourquoi compenser sur des terres cultivables alors qu’à proximité on peut trouver des zones en friches ? « Les friches agricoles, ces « espaces agricoles marginaux », comme disent les chercheurs, on ne les connaît pas, ils sont un impensé, » avoue Denis Gandin. « On peut pourtant les valoriser, la 1re utilisation, ce serait un retour à l’agriculture, ou alors de la production d’ENR, et pourquoi pas en effet de la compensation écologique. On a fait une petite étude, en première approche, dans le département de l’Orne, on arriverait à 2 500 ha de friches agricoles pas exploitées depuis au moins trois ans… 0,67 % seulement de la SAU départementale, mais peut-être suffisant pour accueillir les projets de compensation. » Ce ne serait pas inutile de les connaître en région Île-de-France, là où les demandes de foncier sont considérables, convient Pierre Marcille, le président de la Safer régionale. « Pour autant, ça ne couvrira pas les besoins liés au Grand Paris, au Grand Paris Express, aux JO 2024 etc. » Alors que les terres agricoles éventuellement disponibles pour exercer le devoir de compensation sont protégées par la loi ZAN. « Dans son nouveau schéma régional, la région n’allouera plus que 650 ha de surfaces ouvertes à l’urbanisation chaque année entre 2030 et 2050, contre 1 300 jusqu’à 2030. Cela va exercer une pression accrue sur le foncier agricole, » qui ne peut que faire monter les prix, au détriment de l’installation de nouveaux agriculteurs. Pierre Marcille a dû intervenir récemment, dans les Yvelines : « Le département n’avait pas de foncier disponible pour compenser, alors il était en train de négocier avec les agriculteurs, à cinq fois le prix du marché ! » La Safer s’est opposée en préemptant des terres. « De toute façon, les aménageurs sont toujours en retard quant aux surfaces à compenser, alors, [dans une région qui a peu de foncier disponible] ils discutent directement avec les agriculteurs. » M. Gandin le constate également, la compensation arrive toujours en fin de dossier, « les maîtres d’œuvre établissent toutes les priorités, celle-ci arrive toujours en dernier. Ce qui fait qu’on n’est pas suffisamment consulté en amont des projets, et on ne tient pas assez compte de la sécurité économique des agriculteurs, ni donc de la souveraineté alimentaire, » qui est la grande défense de Madame Denis. « Une terre agricole sur laquelle on vient faire de la compensation, c’est une terre perdue pour la production de nourriture », ajoute-t-elle avant de préciser, « je sais bien que ce n’est pas ce qui nous prend le plus de terres, c’est l’artificialisation, mais ça se rajoute, » c’est une double peine, que souhaite éviter la Safer.
Et revoilà les friches !
Il y a les friches agricoles, que le département de l’Orne et les Safer essaient de cartographier. Il y a également les industrielles et commerciales, très nombreuses, pas toujours faciles à réutiliser pour des raisons sanitaires et financières : la dépollution coûte une fortune, qu’un aménageur veut bien investir s’il sait qu’il pourra faire la bascule en vendant des logements très chers. Autrement dit, dans les zones tendues, où le foncier est déjà hors de prix. « Et encore, » nuance Pierre Marcille, « une friche industrielle [ou même agricole et urbaine] peut s’avérer impropre à tout usage dès lors qu’on y trouve une espèce rare. On a eu le cas en Seine-et-Marne : on avait réhabilité une zone polluée sur un ancien golf avec des remblais du Grand Stade, et puis on nous a demandé de compenser la création d’un ISDI – une décharge, sur des terres agricoles. En réponse on a dit à l’aménageur qu’on allait utiliser cette zone polluée. Mais la DRIEE nous a répondu que non, car un biotope riche était apparu sur la friche ! » Lorsque la nature revient, elle se protège parfois elle-même.
Le gisement de friches et de vacances diverses laisse amer Emmanuel Hyest, président de la Safer Normandie et de la Fédération nationale des Safer. « En termes de compensation la meilleure, c’est éviter. Combien y a-t-il de friches en France ? Combien y a-t-il de logements vacants en France ? Ce n’est pas tolérable de ne rien faire des friches. Ce qui n’est pas acceptable, c’est de gâcher, or, on gâche de l’espace, et on va compenser sur les terres agricoles. » En France, on a du mal à construire sur l’existant, à boucher les dents creuses, à rehausser entrepôts et magasins. On pourrait compenser en zones urbaines… là où le principe d’additionnalité sur lequel s’adosse la compensation trouverait peut-être mieux à s’exprimer, vu que dans une ZAC ou dans une friche urbaine a priori la biodiversité n’est pas extraordinaire. Sauf présence d’une espèce protégée… Lors de l’Assemblée générale de l’an dernier, Emmanuel Hyest avait développé une idée pour inciter à la construction les gestionnaires d’espaces industriels et commerciaux « Regardez les ZAC. Dans la plupart des cas, l’essentiel du prix du foncier a été pris en charge par les collectivités pour attirer les investisseurs et amener de l’activité sur leurs territoires, pourtant, quand leurs biens deviennent vacants, les propriétaires ne veulent aucune contrainte ! Il faudrait instaurer une taxe sur ce foncier vacant, pour qu’ils en fassent quelque chose. Sinon, on continuera à bâtir ailleurs alors qu’on a déjà de la place, inutilisée. » On pourrait aller plus loin, estiment des juristes. Car avec une ZAC par exemple, le droit d’utiliser les mètres carrés est attaché au site, ce qui implique que lorsque son propriétaire s’en va, son ancien centre commercial a encore une valeur durant trois années, car il est considéré comme un actif. En faire autre chose, avant ce délai, serait une dépréciation. Une idée qui court dans les colloques serait de réformer les Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) de façon que le droit ne soit plus attaché à un site mais à une fonction, donc, aux mètres carrés. Ainsi le propriétaire pourrait-il transférer son métier d’un site à l’autre sans perdre la valeur de son actif, et un nouveau pourrait plus facilement transformer ces mètres carrés abandonnés. Les friches commerciales auraient enfin un avenir, et ce serait autant de gagné pour les terres agricoles. « En attendant, » déplorent ensemble Emmanuel Hyest et Pierre Marcille, « on construit le Grand Paris Express autour d’Argenteuil, alors qu’il y a tant d’anciennes usines qui ne sont pas réutilisées parce que tout le monde attend que les prix montent pour revendre… » La spéculation, l’autre ennemi de la bonne compensation.
Compenser… avant d’abîmer ?
Peut-être qu’en inversant les choses la compensation environnementale serait-elle plus facile à mettre en place. « Passer d’une compensation par la demande à une compensation par l’offre », pense Denis Gandin. Avec un objet particulier, le site naturel de compensation (SNC), et un outil, l’unité de compensation (UC). Vous voulez aménager ? Achetez tout de suite des unités de compensation qui sont autant de parts de sites naturels de compensation. Un moyen d’anticiper. Voté fin juillet 2023, le projet de loi dit industrie verte propose de renforcer cette possibilité par son article 6 qui écrit clairement la volonté du législateur d’ « anticiper la procédure de compensation pour favoriser la bonne mise en œuvre d’un dispositif particulier, les « sites clés en mains », qui ne s’appelleraient plus sites naturels de compensation, mais sites naturels de restauration et de renaturation, agréés par l’État, dont les aménageurs pourraient acquérir des unités de « restauration. » Le but de cet article est de réduire les délais d’implantation de sites industriels, en anticipant « certaines étapes administratives sur ces terrains en amont de l’arrivée du projet, et faire gagner environ six mois à l’industriel. » Sur le principe, c’est le marché du carbone : un aménageur débiteur d’une obligation de compensation aura la possibilité soit de générer lui-même des unités de restauration en mettant en place un site naturel de restauration et de renaturation, soit acheter ces unités auprès du détenteur d’un tel site. « Attention », prévient toutefois Claire Poinsot, « je ne suis pas certaine que ce soit viable, parce que cela impliquerait pour l’aménageur de prendre le risque d’investir, de restaurer, sans avoir la garantie de vendre ses crédits. Cela demanderait de s’engager sur des risques trop importants. »
ZAN, certes, mais sur quelle base ?
Depuis cette assemblée générale, la loi ZAN a été votée en juillet par le Sénat et le Parlement. Un forfait de 12 500 hectares a été attribué aux grands projets nationaux, dont 10 000 hectares seront à partager entre les régions qui ont achevé leur schéma régional d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). Le reste, 2 500 hectares est réservé spécifiquement à la région Île-de-France, à la Corse et à l’Outre-mer. La loi a introduit également une « garantie rurale », qui assure aux communes qui s’estiment toujours être le réservoir à compensation des communes urbaines, de pouvoir continuer, un peu, à se développer. Fixée à un hectare par commune détentrice d’un PLU, elle est sans condition de densité. Cette garantie ne fait pas l’unanimité, car elle porte en elle le risque d’une nouvelle artificialisation des terres agricoles selon un constat qu’écologistes, urbanistes et aménageurs estiment erroné : ce n’est pas parce qu’une commune est très peu dense qu’elle ne bétonne pas. D’ailleurs le Cerema, dans son dernier rapport sur « la consommation d’espaces et ses déterminants », estime que « une partie de la consommation d’espaces est située dans des zones avec une dynamique démographique faible : 7 697 communes perdent des ménages tout en consommant de l’espace, » et « 61,6 % de la consommation d’espaces est localisée dans des communes détendues. Les communes rurales représentent 65,4 % de la consommation d’espaces entre 2013 et 2019, pour 21,8 % des nouveaux habitants et 29,7 % des nouveaux ménages. »
Les débats sur la compensation ne sont pas près de s’achever, d’autant que la base du ZAN est faussée, car selon les outils de mesures qu’on utilise, l’artificialisation des terres passe du simple au quintuple. Ceux utilisés par le Cerema sont les fichiers fonciers, a priori les plus précis. Mais pas forcément les plus proches de la réalité, car un parc urbain en herbes est réglementairement considéré au même titre qu’une autoroute, tandis qu’un champ de patates, une serre géante ou des hectares de panneaux photovoltaïques posés au sol sont rangés parmi les espaces non artificialisés… Aucun maire ne semble content. Ceux des zones rurales s’estiment lésés, car le ZAN imposant de diviser par deux les constructions par rapport à la surface aménagée dans les années 2010, les grandes villes disposent encore d’un joli paquet de mètres carrés à construire d’ici 2030, contrairement aux collectivités rurales. En ce qui les concerne, les maires des grandes villes partagent la même frustration pour des raisons inverses : comment, sans rogner ni compenser sur les terres agricoles, construire de nouveaux logements, sur les dents creuses, les friches, l’existant, tout en faisant de la place à la végétation pour lutter contre l’effet îlot de chaleur urbain (ICU) et en « dédensifiant » la ville afin que ses habitants puissent respirer selon le modèle de l’Anru ? Personne ne sait. L’équation semble d’autant plus difficile à résoudre que nul ne sait précisément repérer et mesurer les friches et les logements et bureaux vacants ! De quoi nourrir la rancœur de nombreux élus, sur laquelle a surfé Laurent Wauquiez en annonçant le 30 septembre 2023 qu’il allait « sortir du ZAN » – comme s’il allait pouvoir le faire, cette loi selon lui « ruralicide, [qui est] l’incarnation d’une technocratie administrative qui consiste à appliquer une même règle de façon très uniforme sur l’ensemble du territoire. »
agence locale de compensation
Pour que la compensation ait lieu dans des conditions sereines, sans que les communes rurales s’estiment en être l’agent obligatoire pour permettre aux villes de continuer de s’étendre, la Safer Normandie a décidé d’entrer au capital d’Archipel. Créé en 2016 par le bureau d’études Biotope et la Safer Île-de-France, Archipel, dont Claire Poinsot est la directrice générale, est un « intermédiaire de compensation. » Avec elle, un agriculteur peut signer une convention de gestion par laquelle il sera rémunéré durant 30 à 50 ans pour entretenir des terres de compensation. Dans le panier de la mariée, la Safer apporte l’expertise foncière et juridique tandis que Biotope dépose son expertise naturaliste et réglementaire. « Le but est d’éviter la double peine agricole, la spéculation foncière en créant des montages financiers innovants avec tous les acteurs locaux », explique Emmanuel Hyest. Et ceci, suffisamment en amont des projets pour tenter l’évitement. Anticiper, proposer des solutions foncières adaptées, cibler des friches. En Île-de-France, rappelle Claire Poinsot, Archipel a pu faire de la compensation sur 200 ha sur d’anciennes carrières, des terrains de sport abandonnés et des dépôts d’ordures sauvages. « Avec l’argent de la compensation on les a achetés et restaurés, et depuis, on les gère, » et cela fait 200 ha de terres agricoles qui n’auront pas été détournés pour faire de la compensation écologique. Ainsi faite, la compensation pourrait passer de l’image de boulet réglementaire au statut de projet de territoire.