La Nature est-elle compatible avec la ville ? Le 23 novembre dernier, le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis s’est posé la question. Comment aménager un territoire en faisant attention à la biodiversité ? Est-il possible, soyons fou, de l’augmenter ? Questions obligatoires pour tout aménageur à mesure que l’écologie infuse les esprits et que les réglementations se font plus exigeantes. Questions lancinantes en Île-de-France avec la multiplication de ces « grands travaux » qui, quand on en mesure le volume impressionnant de déblais, inquiètent. L’extrême densité de population dans la région hypertrophiée va-t-elle encore augmenter aux dépens de ce qu’il reste de nature ? Choses vues à Vaujours, où l’on a entendu les mots cours d’école, toitures végétalisées, expérimentation, herbes folles et aéroports.
Plus personne ne peut faire semblant de l’ignorer : après le changement climatique, la biodiversité est en train de passer dans le langage commun. Lorsqu’on fait quelque chose, il faut aujourd’hui penser à elle. La société n’accepte plus que l’on touche à quoi que ce soit dès lors qu’on lui présente un projet d’aménagement. Elle veut être consultée, au début, pas à la fin, elle veut bien des parkings, des routes et des maisons, mais les plus transparents possible vis-à-vis de la nature. On ne coupe plus d’arbre ! De l’emploi, de l’économie, mais aussi les mêmes paysages. Que les territoires soient préservés ! Une injonction qui rime avec contradiction dans la mesure où nous disons collectivement abhorrer les entrées de ville défigurées par les ZAC tout en y faisant nos courses, nous déclarons aux sondeurs notre regret d’une nature perdue tout en avouant ne pas la connaître, nous voulons des villes en vert mais surtout des villes avec des espaces verts.
Heureusement, le législateur entend ce que nous avons du mal à formuler. Il sait mettre en mots l’air du temps. Alors a-t-il renforcé les lois de façon à ce que la nature ne soit plus la dernière case à cocher dans la réflexion préalable à un projet de travaux publics. À écouter les élus et les entreprises du BTP, c’est même devenu compliqué de simplement faire des fondations, ne serait-ce, d’ailleurs, que de bien comprendre les différentes réglementations afin de rester dans les clous de la légalité. Cahin-caha, les choses avancent pourtant, car conjuguer biodiversité et aménagements ramène un peu de beauté dans des agglomérations largement défigurées par le laisser-faire des années 1970 et 1980, puis la libéralisation de l’installation des grandes surfaces en 2008 (grâce à la loi de modernisation de l’économie, inspirée notamment par… Emmanuel Macron).
De la beauté, et du lien social. Mais comment le faire ? Comment conjuguer ville et nature alors que la France est de plus en plus urbaine, que les villes continuent de s’étaler sur des milieux agricoles qui ont été largement vidés de leur biodiversité par la façon de produire issue des Trente Glorieuses ? Voilà de quoi l’on a causé durant une journée grise de novembre à Vaujours, commune de la Seine-Saint-Denis. Une « rencontre technique », neuvième du nom, à destination des techniciens et des élus d’Île-de-France, du département en particulier, organisée par le Conseil départemental, en partenariat avec le Lycée du paysage et de l’environnement Fénelon, l’Union Nationale des Entrepreneurs du Paysage (UNEP), la Fédération Française du Paysage (FFP) et le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de la Seine-Saint-Denis (CAUE 93). Cette rencontre s’est tenue au Lycée Fénelon, installé au pied de la rue de Coubron qui conduit, au bout d’une longue côte, à une forêt menacée par un projet de carrière. Une sorte de mise en abîme du sujet de la journée.
Quelle valeur donnons-nous à la nature ?
Commençons par l’essentiel. De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la biodiversité dans les aménagements ? De temps… « La valeur qu’on donne à un milieu, à la nature, à la biodiversité, est liée quoi qu’il en soit à celle de la réglementation. La loi de 1976 est là, son application est de plus en plus présente. » Mais cela ne suffira pas, selon Florent Yvert, directeur de Biodiversita, bureau d’études en écologie appliquée, car « la loi ne crée pas une culture de la nature. On n’a pas encore franchi le cap d’une valeur intrinsèque que chacun de nous donnerait à la nature. Il faut être lucide : la biodiversité est encore considérée comme une contrainte réglementaire, un point c’est tout, et on compte sur nous, les écologues, pour trouver des solutions. » Le constat est dur. Comme beaucoup de spécialistes du sujet, M. Yvert se sent à la fois moins seul dans une société qui s’acculture doucement en matière de biodiversité, dans un monde qui accorde toujours moins de crédits pour s’assurer que la biodiversité sera correctement préservée par les projets d’aménagements ou de rénovation. La réglementation a démultiplié le besoin d’études et de rapports, toujours plus mal payés. Le reflet de nos contradictions : oui nous voulons de la biodiversité en ville, mais comme elle n’a pas plus de valeur que cela, nous ne voulons pas dépenser plus que cela pour la connaître et la préserver.
Dommage, car les villes sont riches en biodiversité, notamment en faune ailée. Délégué régional de la LPO, Frédéric Malher en a fait la preuve : « Il y a tant d’endroits pour nicher dans une ville. Pour un oiseau, en volume c’est un peu comme une forêt. Voilà pourquoi on y trouve tant de rapaces. » Sans parler des pigeons. La ville semble bruisser de battements d’ailes alors qu’on n’en entend plus guère à la campagne. Déjà qu’on ne voit plus son pare-brise se salir d’insectes éclatés, on n’entend plus beaucoup pépier dans les fourrés. Parce qu’il n’y en a plus beaucoup, des fourrés. « En Île-de-France, un oiseau sur trois a disparu entre 2004 et 2017, les plus touchés sont ceux qui dépendent des milieux agricoles, avec un bon -45 %. Les chasseurs n’attrapent plus de perdrix, et l’on n’entend plus l’alouette des champs, » un des rares oiseaux à chanter continûment en vol. Qui sait encore son gazouillis complexe ? « Attention, on parle de chute des effectifs, pas des espèces. L’alouette n’a pas disparu, c’est sa population qui a fondu. À cause de l’intensification des pratiques agricoles. Les parcelles augmentent de taille, les chemins disparaissent, les herbes folles qui les bordent aussi, les jachères se font plus rares etc. » Cela explique un peu… la baisse du moineau domestique en ville, qui, certes, aime la protection et la chaleur de la cité, mais a besoin d’insectes pour vivre, contrairement au pigeon, qui se fait à tout.
« Depuis quelques années, on voit les conséquences de la rénovation énergétique des bâtiments : de moins en moins de trous dans les murs, de rebords de fenêtres, de greniers ouverts, partout où les oiseaux nichaient, mais aussi les chauves-souris. » C’est au moins la preuve que la transition énergétique est en marche. « Il ne faudrait pas qu’elle aille à l’encontre de la biodiversité ! La rénovation par l’extérieur, les nouvelles constructions toutes lisses, c’est bien, sauf pour la faune. » Déjà que les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ont un impact sur oiseaux et chiroptères supérieur à celui des centrales nucléaires… Que faire ? Penser à ne pas faire trop propre, à laisser de la variété dans l’architecture, des occasions à la vie de s’accrocher quelque part. Il en va des oiseaux comme des herbes folles : une fente, un trou, un peu de laisser-faire, et la vie revient. « On peut aussi poser des nichoirs, très utiles aux mésanges, mais pas aux moineaux qui ont besoin de buissons, et qui sont des animaux coloniaux, » ajoute M. Malher.
Accompagner, pour rester dans les clous
La ville attire la biodiversité qui a du mal à exister dans les régions de grandes cultures. Mais ne nous y trompons pas : c’est une biodiversité particulière, qui ne constitue pas des écosystèmes fonctionnels. La ville c’est une faune diverse, mais peu liée. « Il y a un autre aspect qu’on n’a pas en tête », ajoute Marc Barra, écologue à l’Agence régionale de biodiversité (ARB) de l’Île-de-France, « c’est la biodiversité grise, à savoir l’impact de la production de matériaux sur le vivant : la biodiversité dans les aménagements, elle est aussi à penser dès le début, de façon à privilégier les matériaux bio-sourcés. » Fibres de bois pour l’isolant, briques monomurs en argile, chanvre, lin, paille, peintures et autres vernis écologiques, beaucoup de produits existent. « En fait, je vais vous dire, le meilleur bâtiment pour la biodiversité, eh bien… c’est celui qui n’existe pas. » Disons que pour M. Barra, c’est l’aménagement du territoire dans son ensemble qui doit être favorable à la nature, pas seulement la ville. « Une ville devrait par exemple être une éponge à eau. Utiliser les sols pour stocker l’eau, cela veut dire les laisser à la végétation, comme les bassins d’orage, les noues, etc. » Le macadam et le béton nuisent à la biodiversité car ils effacent les sols vivants. Du coup, cela prive la ville de capacités d’épuration naturelle de l’eau et d’absorption des pluies hors normes. « Et ça coûte moins cher, in fine, car le béton est toujours plus coûteux que le sol laissé en place quand on regarde l’ensemble. » Marc Barra promeut un réaménagement du territoire au profit de la nature, sans toutefois tomber dans l’excès que serait une « densification non pensée, qui ferait des villes des bunkers minéraux, posés dans des campagnes vides. » Et pour densifier de façon intelligente, de façon à laisser respirer les terres agricoles et les milieux naturels, pour que l’artificialisation recule, il s’agit de former. « Malgré certains grands projets inutiles, comme Europa City, je vois de plus en plus de gens venir en formation, notamment des architectes. Les professionnels sont en train de se conscientiser, ils commencent à comprendre que la réponse à la minéralisation n’est pas le paysage, mais l’écologie. » Ce n’est pas parce qu’on fait des toitures végétalisées et des parkings ombragés d’églantiers qu’on favorise la nature !
Voilà un des rôles de l’ARB : intervenir le plus en amont possible pour aider les maîtres d’ouvrage, voire, les maîtres d’œuvre. Quel est celui de l’équivalent régional de la Dreal, la Direction régionale et interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie (Driee) ? Elle s’occupe des carrières, des espaces protégés, de la protection des paysages. Mais pas de l’aménagement, chasse gardée de la Driea (Direction régionale et interdépartementale de l’Équipement et de l’Aménagement). « Notre rôle est d’évaluer les projets que les aménageurs nous montrent. Ils doivent se soumettre à des évaluations au titre de l’urbanisme et de l’environnement, on s’assure qu’ils le font. » De l’aveu même de Jean-Marc Bernard, chargé de mission trame verte et bleue à la Driee, ce n’est pas si simple, car il y a beaucoup de structures qui interviennent sur les dossiers d’aménagements. M. Bernard a dû faire une petite « diapo » pour qu’on y comprenne quelque chose. Donc, depuis la loi de 1976, qui a mis un peu de temps à être appliquée, la prise en compte de la biodiversité dans les projets est encadrée par la doctrine Éviter-Réduire-Compenser (ERC), les différents schémas et documents d’urbanisme et de planification (SRCE, SDAGE, SDRIF, SRCEA, etc.) ; s’ils dépassent une certaine taille ou sont implantés dans certains sites, les projets doivent en plus se soumettre à une étude d’impact, ainsi qu’aux différentes procédures relatives à la loi sur l’eau, aux installations classées, aux espèces protégées, aux défrichements, aux travaux en sites protégés ou encore aux évaluations des incidences Natura 2 000, liées aux directives Habitats et Oiseaux.
« Cela fait beaucoup, et on n’a plus le droit de dire si l’on est favorable ou pas au projet. En fait, on est là non pour censurer un projet, mais pour conseiller le maître d’ouvrage de façon à ce qu’il reste bien dans les clous. » Conseiller en délivrant par exemple des éléments de référence pour conduire convenablement les études d’impact. Vérifier qu’il n’y a pas de localisations alternatives, afin de répondre à la séquence ERC (éviter, réduire, compenser) par le E et le R… qui n’existe en pratique que par le C. « Il faut ajouter que c’est l’ensemble de l’environnement du projet que l’on regarde. La biodiversité n’est donc qu’un élément de la prise en compte de l’évaluation environnementale, qui doit couvrir les paysages, l’eau, le bruit, le cadre de vie, les sols, etc. » Tout ceci à la charge de l’aménageur, qui doit tout assumer. « Quand c’est une petite commune, qui révise son PLU tous les cinq ans, cela peut être difficile, car tout ce dispositif est difficile à maîtriser. On les aide, en s’assurant que ces petites communes ne créeront pas trop de désordres, que les espaces naturels seront maintenus. » Quant aux grandes agglomérations, à l’ingénierie suffisante, la Driee les pousse à créer toujours plus d’espaces de nature. « C’est-à-dire qu’on ne peut pas se contenter d’avoir des parkings avec des arbres, promouvoir ça, c’est se tromper d’échelle, c’est vraiment le niveau zéro de l’écologie urbaine. C’est un métier l’écologie, » rappelle M. Bernard, qui constate chaque jour la médiocrité de la plupart des projets sur lesquels la Driee a à délivrer un avis.
Montrer aux élus qu’on peut faire autrement
« Quand on habite dans un quartier populaire, on a le droit au beau », défend Bélaïde Bedreddine, le vice-président du Département de la Seine-Saint-Denis chargé de l’écologie urbaine, de l’environnement et de l’assainissement. La biodiversité est un thermomètre, sa raréfaction est le symbole du fonctionnement d’une société qui n’a plus les pieds sur terre. Y penser très en amont des projets, c’est mieux protéger l’environnement, c’est donc se protéger soi-même. Et puis, mettre de la nature en ville, c’est ramener de la beauté et du bien-être dans les quartiers : « Il y a un vrai besoin d’espaces verts dans le 93. Quand on fait des sorties ornithologiques au parc du Sausset, il y a toujours du monde, des questions, et des comportements étonnants apparaissent, comme les enfants qui corrigent leurs mères qui veulent nourrir les oiseaux. »
Natif et habitant de Montreuil, M. Bedreddine considère Paris comme sa banlieue. Les années lui ont montré une chose : « On ne peut pas laisser des espaces moches dans la cité, ce n’est plus possible. Plus c’est beau, plus c’est utile et moins c’est dégradé, c’est aussi simple que cela. » On dégraderait ce qui ne nous valorise pas, ce qui ne nous apaise pas. Un jardin n’est jamais tagué. Il n’est pas pour autant toujours bien respecté. L’élu a un espoir : que les cours d’école soient un jour végétalisées, que les enfants y puissent tourner autour des arbres et cultiver des légumes. « C’est là que l’éducation se fait, or les enfants sont accueillis dans des bâtiments moches, avec des cours en macadam… »
À chaque fois, ses collègues qui ne veulent pas faire autrement que d’habitude se retranchent derrière le coût. « Pourtant, c’est faux, faire de la biodiversité ne coûte pas forcément cher », affirme M. Bedreddine. « En fait, il faut inverser le raisonnement : ce sont les élus qui ne veulent pas payer, car même si je constate que les choses avancent, elles se font toujours aux mêmes budgets », lui répond Sylvain Fabiani, du groupe Ségex, allant dans le sens de Florent Yvert. « Par exemple, on nous dit que la gestion différenciée vaut plus cher, c’est faux, mais ça renvoie le client à la valeur qu’il veut donner à la nature. » Pas beaucoup, faut-il comprendre… Le groupe Ségex est un des principaux aménageurs de jardins publics en France. Il a réalisé celui du nouveau Forum des Halles. « Même pour un acteur gros comme nous sommes, les budgets sont toujours difficiles. Sur le budget entretien par exemple, qui est prévu dès le départ, les lignes budgétaires n’apparaissent qu’à la fin du chantier, ce qui fait qu’elles ne sont pas bien grosses. » L’argent manque, la culture, aussi. Aménageurs, élus mais aussi citoyens ont une vision très paysagère de la biodiversité. Il y a le riverain qui vient râler parce que les équipes Ségex ont laissé pousser des mauvaises herbes en pied d’arbre, mais ne remarque pas que le trottoir est maculé de crottes de chien. Une attitude récurrente. « Pour les marchés publics, il faut faire beaucoup de pédagogie. Notamment sur la notion de propreté, comme si la nature devait être propre. Non, la flore spontanée n’est pas sale ! Mais on progresse, on progresse… » Le fauchage est encore sujet à discussions. Faire comprendre que le gyrobroyage meurtrit les tiges, et qu’on peut garder les résidus sous forme de paillage, ce n’est pas simple. « Nous, on essaie de faire de l’écopaysage. On va jusqu’à proposer le pâturage des espaces verts par des brebis de race solognote, pour laquelle nous sommes, Ségex, naisseur, sélectionneur et éleveur. » Mais pas mangeur car une fois leur service terminé, les moutons finissent leur vie paisiblement dans un pré.
La compensation écologique par l’exemple
Chef de projets à la CDC Biodiversité, Caroline Girardière a montré à M. Fabiani qu’on peut parfois améliorer l’existant sans créer de décalage entre la préservation locale de la biodiversité et l’écologie au sens large. Certes, ce n’est pas en ville, mais sur des espaces très particuliers.
La CDC Biodiversité s’occupe en effet de la dernière lettre de la séquence ERC. Elle porte le foncier et gère des espaces dévolus à compenser la dégradation de milieux naturels occasionnée par un aménagement. Dégradation que le maître d’ouvrage était au préalable censé avoir tout fait pour éviter et réduire, bien entendu. Exemple à Châtenay-Malabry. « Les travaux de construction de la ligne de tram T10, qui ira d’Antony à Clamart, ont détruit un petit bois de trois ha. Le but était d’en recréer un autre à côté, » sur 9,5 ha en 4 parcelles de la forêt de Verrières, en plus de 12 ha d’espaces en friches qui seront reboisés en Île-de-France. « On a fait un repérage, on a identifié les secteurs les plus proches du lieu de l’impact, pour pouvoir être sur un secteur et un milieu identiques. Une fois qu’on a choisi le site, on a abattu des arbres, pour ouvrir les milieux, pour faire des prairies, on a créé des « îlots de sénescence » où on a laissé du bois mort, on a replanté des lisières et créé des mares. » Ce foncier – le Bois de la Béguinière et le Bois du Carreau – appartenait à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), il a été acheté pour le compte de l’aménageur, Île-de-France Mobilités (l’ex-Stif), par la CDC Biodiversité. « Le chantier a duré un an, deux ans en comptant les études. Il nous a fallu faire beaucoup de communication afin de rassurer les riverains qui pensaient qu’on allait détruire une partie de la forêt de Verrières. » Des riverains qui ne comprennent pas plus que d’autres ce qu’est la compensation, si ce n’est qu’elle serait un permis à aménager, comme le marché du carbone serait un permis à polluer.
La biodiversité par le potager
La CDC Biodiversité suivra cet espace de compensation durant 30 ans. D’ici-là, parions que la biodiversité sera devenue un objet social comme le bruit et l’eau. Parce qu’elle aura été cultivée dans les potagers ? C’est ce que pense Ana Cristina Torres, post-doctorante au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (MNHN), qui a fait sa thèse sur les usagers des jardins partagés. « Ce qui est frappant, c’est que les gens font du jardin pas forcément pour la nature en tant qu’entité, mais pour répondre à un besoin social : la recherche d’une qualité de vie, de relations sociales au sein d’un quartier. » C’est ensuite que vient la nature, devant même l’alimentation, et alors que les personnes suivies durant sa thèse par Mme Torres font bien pousser des légumes : « Après le social, il y a l’envie d’être en lien avec la nature, d’apprendre les cycles de la nature, et d’apprendre aux enfants. » Tout le monde reconnaît le côté apaisant du travail au grand air, de l’effort et de ses fruits : les légumes qu’on a plantés, qui poussent, donnent, se donnent et sont donnés. De là, l’idée de nature fait son chemin dans les esprits, « par les sens, par tous les sens, il faut que cela implique les sens, la biodiversité, si on veut la développer. » Les mauvaises herbes ne le sont plus tant que cela, lorsqu’on les voit pousser près des légumes, dans les espaces entre les jardins, progressivement, on les accepte comme une flore spontanée, et l’on réécrit alors une relation différente avec la nature. Fondée aussi sur l’absence de produits chimiques, proscrits par la charte des jardins partagés de la Ville de Paris, la Charte Main Verte.
Ces nouveaux jardins ne sont qu’une présentation moderne de ce qui existait avant, les cités-jardins et les jardins ouvriers. D’individuels, ils sont devenus collectifs et participatifs. Est-ce de l’agriculture urbaine ? « Non, et d’ailleurs celle-ci est anecdotique, elle a néanmoins le mérite d’interroger le fonctionnement des systèmes urbains », estime Sabine Bognon, Maîtresse de Conférences au MNHN. L’agriculture urbaine ne prétend cela dit pas nourrir la population des villes mais, au moins recréer un lien entre elles et leurs campagnes. « Avant, ce lien se faisait par exemple par les déchets qui étaient déversés sur les champs, comme engrais », mais l’industrialisation du traitement d’une masse croissante de poubelles, de même que l’hygiénisation de la société, ont coupé ce lien. Lequel était aussi direct par la présence de poules, de cochons et de maraîchage un peu partout en ville.
Le résultat est que depuis Haussmann, pour faire court, le végétal et l’animal n’ont plus en ville qu’une « fonction ornementale et maîtrisée, au sein de parcs zoologiques, de jardins botaniques, d’espaces récréatifs. » Dont les jardins ouvriers avant tout conçus, y compris autour des usines installées à la campagne, pour distraire l’ouvrier de son envie d’oublier son labeur au bistro, en lui vantant les vertus de la terre pour lui et sa famille. Une forme de morale issue du catholicisme social qu’on retrouve dans les déclarations des pratiquants et même dans la charte des jardins ouvriers, familiaux et sociaux, établie par le Ministère de l’environnement en 1993 et qui affirme qu’ils sont « des équipements sociaux indispensables à l’harmonie de la ville et un outil de solidarité. »
Au bien-être de groupes privés également, prévient Mme Bognon dans ses publications. Puisque l’agriculture urbaine est devenue un objet tendance dans la pensée urbanistique, rien d’étonnant à ce que des opérateurs financiers se penchent dessus. Le cas de Newark, près de New York, n’est pas anecdotique : sur un immense site industriel en friche (Ironbound), un consortium a installé une ferme verticale qui, en augmentant l’attractivité du quartier par une offre de maraîchage bio très connotée culturellement aux États-Unis, porte le risque d’une augmentation des prix de l’immobilier et donc, d’une sélection sociale de la population. Une gentifrication, la « boboïsation » par les légumes. « En fait, l’agriculture urbaine crée une nouvelle concurrence pour le foncier urbain », qui ne peut qu’accentuer la spéculation dans une ville, Paris, où le marché est laissé à faire ce qu’il veut, et qui s’est installé dans la course marketing entre capitales voulant être plus vertes que vertes. La responsabilité des politiques est donc immense, comme celle des urbanistes. Ces derniers « ne sont pas agronomes, or il y a contradiction entre la volonté de densifier et celle d’ouvrir des espaces de maraîchage, de jardin. Bref, cela demande une réflexion globale, territoriale, dans le cadre d’une gouvernance alimentaire », celle des Projets alimentaires territoriaux (PAT) et du Pacte de Milan par exemple. Penser la nature en ville, sous quelque forme qu’elle soit, exige de ne pas réfléchir chacun dans son coin.
Une demande démocratique nouvelle
À Besançon, il y a aussi des jardins ouvriers, comme partout. Il y a aussi une demande sociale qui change. Étienne Voiriot est paysagiste à l’Agence Territoires : « Cette nouvelle demande », notamment sur les fauches différenciées, le zéro pesticide, les herbes folles, « permet de reformuler celle des collectivités. Et surtout, de leur faire comprendre que ce n’est plus comme avant : on ne peut plus imposer un projet. Les citoyens veulent dire ce qu’ils pensent. Concrètement, aujourd’hui, il faut que la personne publique porteuse d’un projet ait suffisamment de souplesse et de confiance dans un processus d’élaboration moins linéaire. » Sans confondre, comme c’est souvent le cas, participation et communication. Demander au public, recueillir ses remarques, ce n’est pas faire semblant, pour lui servir un discours lénifiant qui, in fine, masque mal le fait que tout est déjà décidé. « Et puis il ne faut pas avoir de posture technique. Les gens ne sont pas savants ; il faut se mettre à leur niveau. » Même si, reconnaît M. Voiriot, ce sont un peu toujours les mêmes citoyens qui participent aux réunions publiques, et qu’ils posent toujours un peu les mêmes questions. « Chacun défend son pas-de-porte, et en définitive, on peut résumer les remarques par « surtout n’empêchez pas les voitures de rouler ! » À quelques kilomètres de Besançon, la Suisse a des années d’avance en la matière. « Il y a les votations citoyennes, qui font que tout le monde vote pour tout, il y a aussi une vision différente de la nature. Par exemple, les écoles : le week-end, elles sont ouvertes, afin d’en faire un lieu de vie auquel chacun fait attention, et leurs cours sont des espaces de vie, riches en plantes et en arbres. » M. Bedreddine devrait peut-être demander un permis de travail de l’autre côté des Alpes. L’acculturation en cours de la population dévoile en tout cas ce que le mouvement des Gilets jaunes lancé fin 2018 a rendu visible : le besoin viscéral d’être consulté, écouté et entendu, dans un système démocratique libéré des seules mains des experts.
Du bon sens et pas de verre
Après une matinée de débats, et un déjeuner remarquable fait maison par la cuisine du Lycée Fénelon, la centaine de participants s’est interrogée. Quatre ateliers, quatre thèmes, quatre réponses techniques. Quelles sont les choses c concrètes que l’on peut faire ? comment intégrer la biodiversité dans la maîtrise d’ouvrage publique ? comment l’intégrer dans la maîtrise d’ouvrage privée?, et la recherche qu’est-ce qu’elle pense de tout cela ?
Sur le terrain, les réponses trouvées par les lycéens et étudiants du lycée sont d’une simplicité irréelle. Mais après tout, c’est cela, l’écologie, l’art de redécouvrir en permanence la recette de l’eau tiède. Pour accueillir la faune, et ne pas la gêner dans sa vie de tous les jours, évitez les clôtures hermétiques et mettez des plantes grimpantes. « Il faut privilégier le low tech », s’amuse Marc Barra, qui s’est occupé de ce premier atelier (que peut-on faire, tout de suite ?), en compagnie de Magali Contrasty, coordinatrice du service éducation, formation et nature de proximité à la Délégation Aquitaine de la LPO. « Des plantes grimpantes, c’est moins coûteux et ça nécessite moins d’entretien que les murs végétalisés », très à la mode, mais qui tombent vite en ruine faute d’entretien. Ils consomment en effet une quantité invraisemblable d’eau et exigent des soins de tous les jours pour qu’ils continuent de ressembler à quelque chose. Marc Barra continue de s’amuser : « Quant aux clôtures, mine de rien ça remet en cause notre rapport à la propriété, dès lors qu’on ne les ferme pas tout à fait. » Il met en avant les toitures végétalisées, la perméabilisation des parkings et de la voirie pour qu’enfin, comme il l’avait défendu au cours de la matinée, les villes redeviennent les éponges qu’elles étaient ; il conseille aussi de réaménager l’existant en gardant les vieux arbres, aussi importants pour le patrimoine que pour l’ombre en été.
Sans oublier les arbustes, ajoute Magali Contrasty : « Souvent, en ville, il manque une strate intermédiaire, buissonnante où nidifient les oiseaux. » Et puis l’on met des nichoirs comme ça, sans y penser, alors « qu’il faut les orienter à l’Est, sans oublier de laisser des habitats sur les bâtiments », anciens et rénovés. Il faut des excroissances, des décrochements, des cavités, des tuiles canal, boucher les trous des poteaux électriques (au pied desquels on plante des grimpantes, vous avez bien compris) et proscrire les façades en verre qui perturbent les oiseaux jusqu’à provoquer leur collision. La tendance architecturale et urbanistique est pourtant toujours aux immeubles lisses comme des miroirs. Enfin, n’oublions pas les abeilles : les ruches, c’est bien, mais pas trop, afin de ne pas concurrencer les pollinisateurs sauvages, et quand on a des serres comme au Lycée Fénelon, s’il vous plaît, ménagez-y des ouvertures afin que ces insectes puissent… sortir après avoir butiné !
La nature dans les cours et les crèches
L’atelier n° 2 était consacré à la maîtrise d’ouvrage publique. Comment les institutions peuvent-elles être exemplaires en matière de biodiversité, alors que la pression foncière croît en raison inverse des budgets publics ? Les bailleurs sociaux parisiens commencent à relayer la politique municipale de biodiversité positive, dans les cours d’immeubles. Le Département de la Seine-Saint-Denis commence à prendre en compte les arbres dans les projets de rénovation de crèches : innovant car en général, lorsqu’on refait une crèche, on élimine toute source potentielle d’accidents, ne serait-ce que les sources de feuilles mortes. Animé par Philippe Jacob de l’Observatoire parisien de la biodiversité, avec les interventions de Christophe Davallo, chef du service espaces verts de Paris Habitat, Cédissia About et Nicolas Pasquale de la direction des constructions publiques de la ville de Paris, et d’Estelle Beauchemin, cheffe du service des espaces extérieurs et continuités vertes de la direction de la Nature, des paysages et de la biodiversité du Département de la Seine-Saint-Denis, l’atelier a pointé une grande différence d’appréciation du sujet entre Paris et son voisin séquano-dyonisien. Notamment en ce qui concerne la désimperméabilisation et l’intégration de la nature dans les espaces extérieurs de bâtiments accueillant bébés et enfants. Autant à Paris les parents n’y voient, semble-t-il, rien à redire, autant c’est plus difficile dans le Département, sans qu’il soit encore vraiment possible de comprendre pourquoi. Il y a pourtant un patrimoine arboré étonnamment riche en Seine-Saint-Denis, avec 74 espèces différentes dans les cours des crèches, presque un arboretum…
Par contre, la nature dans les cours d’immeubles HLM à Paris, tout le monde semble très heureux de la voir s’épanouir tranquillement, sans gestion excessive. Les bailleurs constatent moins d’incivilités à mesure que ces jardins deviennent un peu plus fouillis, au prix d’un accompagnement constant et de propositions d’activités : l’appropriation est au bout de la route, mais celle-ci est longue. Pour le reste, on s’interroge au sein des organismes publics sur la perception par les administrés des feuilles qui tombent et qu’on ne ramasse plus si souvent, des herbes folles au pied des arbres, des racines qui soulèvent les trottoirs, des résidus de fauchage qu’on laisse un peu sur place… Jusqu’à quand les citoyens de Paris et de la Seine-Saint-Denis vont-ils accepter que leurs rues ne soient plus » propres » ?
Le cas emblématique des aéroports
Dans le privé, les maîtres d’ouvrage sont tenus de faire attention par une multitude de textes. D’autant que les plus grandes entreprises ont signé publiquement le 10 juillet 2018, en présence de l’ex-ministre Hulot et des directeurs et directrices des principales associations de protection de la nature françaises, la charte Act4Nature, sorte de Plan National de la Biodiversité privé. Les engagements présentés par ces entreprises n’engagent que celles et ceux qui y croient, certes, ils ont tout de même été pris devant les personnes les plus susceptibles de les leur rappeler publiquement en cas de manquement… Cet acte marque en réalité que la biodiversité ne fait plus sourire dans les entreprises privées, qu’elle commence à faire partie de la bonne gouvernance. Alors, les professionnels n’ignorent plus à quel point le végétal est devenu aussi important que les aménagements à réaliser.
Animé par Juliette Allenet de l’Unep, en présence de Tolga Coskun, responsable écologie chez le conseiller en immobilier et développement durable Arp-Astrance, Pierre Darmet, secrétaire du Conseil international biodiversité et immobilier (CIBI), et Julia et Roland Seitre, cofondateurs de l’association Hop ! Biodiversité, l’atelier n° 3 a montré qu’effectivement, l’on pouvait aménager et faire de la biodiversité. Fleury-Michon par exemple, entreprise familiale viscéralement attachée à la Vendée, qui a totalement repensé l’accueil de son siège social en en faisant un jardin pédagogique et des potagers pour ses employés. Les salariés ont été informés au fur et à mesure, ils ont adopté le projet, ce qui semble être une condition nécessaire pour que la biodiversité entre dans l’entreprise. Il est vrai que c’était assez facile avec Fleury-Michon, dans son contexte très rural et bocager. Cette réalisation n’a pas obtenu le label BiodiverCity® du CIBI, qu’elle n’avait cela dit pas demandé. Promouvant « les meilleures pratiques en matière de biodiversité urbaine pendant les phases de planification, conception, d’entretien, d’occupation et de valorisation de l’environnement bâti », le CIBI, juge et partie, labellise des projets grâce à « un outil inédit d’évaluation et de valorisation de la prise en compte de la biodiversité pour tous les projets immobiliers. » À l’heure actuelle six aménagements ont été labellisés. Parmi eux, citons le gigantesque centre commercial Cap 3 000 en bord de mer à Nice et à l’embouchure du Var (et d’une zone Natura 2 000) – 17 760 m² de jardin créés, 4 282 m² désimperméabilisés et 4 450 m² de toitures végétalisées ; l’écoquartier Eikenott à Gland, en Suisse (2,1 ha de prairies fleuries, 450 logements, 800 vélos, 0 voiture) ; la Seine musicale sur l’île Séguin, à Boulogne-Billancourt, où tout en principe a été fait pour que faune et flore locales s’implantent comme elles veulent, notamment sur la colline plantée qui marque l’entrée du bâtiment (6 755 m²) ; ou encore la rénovation de Challenger, le siège social de Bouygues à Guyancourt dans les Yvelines (36 ha ! dont 24 ha de parc paysager, avec recréation de prairies et de zones humides).
En termes de surface, il y a beaucoup plus ambitieux avec les aéroports. 70 % de leurs surfaces sont occupées par des prairies. Du coup, celles-ci occupent la moitié de la surface prairiale du Grand Paris… Par une action pédagogique intelligente, relayée par la DGAC puis le Ministère de l’écologie, l’association Hop ! Biodiversité, cofondée avec la compagnie low cost Hop ! est en train de fédérer l’ensemble des aéroports français dans la prise en compte de ces prairies comme un élément à la fois de patrimoine écologique et de sécurité aérienne. En jouant sur la hauteur des graminées qui poussent, on diminue en effet le risque de percuter un rapace, tout en favorisant la nichée d’oiseaux parfois emblématiques comme l’Outarde canetière (qu’on trouve pas en Ile-de-France mais sur des aéroports du sud de la France). Semblables aux steppes pré-agricoles, peuplées d’orchidées, les prairies aéroportuaires sont, en soi, des espaces naturels… protégés par une industrie très polluante, le transport aérien. Un paradoxe, et une réussite, fruit d’un long travail de conviction qui n’a pas coûté grand-chose, si ce n’est de faire comprendre aux gestionnaires qu’on peut faucher différemment.
La recherche aime les toits et les mosaïques
Philippe Clergeau, Professeur au MNHN, Gilles Lecuir, chargé d’études à l’ARB Île-de-France, Nicolas Buttazzoni, technicien au parc départemental du Sausset (en Seine-Saint-Denis) et Stéphane Berdoulet, directeur de l’association Halage ont fait le point avec les animateurs de l’Observatoire départemental de la biodiversité urbaine de la Seine-Saint-Denis, Mehdi Azdoud et Cyril Roussel, et les participants de l’atelier.
La recherche travaille déjà sur le fonctionnement de la biodiversité en ville, qui n’est pas le même que dans ses milieux d’origine. Le constat est clair : même si les villes accueillent beaucoup de nature, celle-ci ne fonctionne pas comme là d’où elle vient. Les écosystèmes urbains sont pauvres. Pour un écologue, qui étudie les relations entre les espèces et le fonctionnement des chaînes trophiques, la ville est un pis-aller, une sorte de village Potemkine de la nature. Ceci posé, la recherche sur la biodiversité en ville est balbutiante. Elle commence à s’interroger sur les formes urbaines, des rues, des quartiers, des bâtiments, qui seraient, dans l’espace et le volume, les plus susceptibles d’accueillir une « belle » biodiversité. On n’en sait pas non plus encore assez sur les matériaux et les bonnes techniques qui aideraient à faire des façades véritablement « vertes ».
Quant aux toits végétalisés, qui commencent à être bien connus, ils ont un intérêt réel, mais on ne sait toujours pas les faire durer dans le temps. L’étude Grooves de l’ARB a été menée durant trois ans sur 37 toitures. Elle a montré que la richesse en pollinisateurs était du même ordre que celle au sol. Qu’en nombre de plantes venues spontanément s’installer, le toit végétalisé tenait la comparaison avec une prairie et un parc urbain, en particulier sur un sol épais (l’optimum serait de 27 cm) et d’origine végétale. La hauteur du toit aurait aussi un impact, car plus on est haut, plus il y a de vent, plus l’air est sec, ce qui sélectionne les espèces. Enfin, bien fait, un toit vert serait capable d’absorber un abat d’eau digne d’une pluie décennale. Conclusion : oubliez les classiques toitures couvertes de sedum, qui ne servent à rien. Et les murs végétaux ? Il semblerait que la science n’en pense pas le plus grand bien. Il faut beaucoup d’eau, d’intrants, de substrats, et beaucoup d’énergie pour amener tout cela quand la hauteur est importante. La hauteur idéale serait de l’ordre de celle des immeubles… haussmanniens. Le Baron a décidément créé des formes urbaines dont urbanistes, thermiciens, sociologues et écologues redécouvrent chaque année les mérites.
En fait, murs végétaux, toits végétalisés et autres originalités, peu importe, nous disent les chercheurs : l’important, c’est, comme dans la nature, la diversité des formes, la mosaïque des milieux. De la nature partout, sur plein de supports, les premiers étant, il ne faut pas les oublier, les vénérables et intemporels parcs urbains, dont la superficie minimale tournerait autour de 50 ha afin de constater la mise en place d’écosystèmes urbains vraiment fonctionnels. Cette nécessité de diversifier ne doit pas être oubliée quand on pense à implanter un système de production agricole en ville, au parc départemental du Sausset par exemple. C’est un projet du Département, à la fois alimentaire, écologique et socio-éducatif. La collectivité est en train d’en conduire un autre sur l’Île-Saint-Denis, dans le cadre de l’extension du parc du même nom et de la réhabilitation d’un site de friche industrielle. Cette zone de 3,6 ha, à la terre bien polluée, sera un « démonstrateur de la reconquête de biodiversité », par un laboratoire d’analyse des sols urbains, la rénovation de ceux-ci par des solutions « naturelles » (phytoréhabilitation, agroforesterie, permaculture), la restauration des berges, l’implantation d’activités agricoles et de compostage ainsi que d’espaces de découvertes et de formation pour la population. Un beau projet à la fois scientifique, écologique, agricole et socio-éducatif mené par l’association Halage. Comme le dit Florent Yvert qui a conclu cette journée, « c’est de l’expérimentation, et c’est ce dont on a le plus besoin : on ne sait pas faire, encore, la biodiversité en ville. On est en train de s’affranchir de l’idéal de nature, enfin, on découvre qu’il faut des interactions entre la ville et la nature. Très bien. Mais on tâtonne, on essaie, et c’est souvent le fait de non-professionnels. En fait, dans les projets, tout dépend un peu de qui les porte. »
La biodiversité en ville est un choix très politique. La favoriser, vraiment, c’est remettre en cause le schéma actuel, très complexe, de la prise de décision. Car cela oblige à avoir une vision transversale, dans l’espace et le temps, afin de ne pas considérer uniquement l’aménagement, mais l’aménagement dans son quartier, dans sa ville, dans son territoire de biodiversité. Repenser le territoire en faisant le constat de l’état de sa nature. Une vision fondée sur les relations entre espèces locales plus que sur les espèces elles-mêmes, sur les relations entre les populations de ces espèces en ville et autour de la ville. Un projet d’aménagement devrait être pensé dans l’optique d’augmenter la diversité des milieux, de multiplier la mosaïque de formes accueillantes pour la nature, autour des parcs urbains qui restent les pivots de la biodiversité en ville. Amener de la beauté, finalement. Par l’expérimentation. Par les potagers, les cours d’école, les arbres devant les crèches. En expliquant qu’elle ne rime pas avec propreté. Les herbes folles au pied des platanes et au bord des tombes, dans le cimetière, c’est la vie qui va, avec ses aléas que la démocratie locale doit apprendre à considérer. Le besoin de nature exprimé dans les enquêtes d’opinion est un des signaux que la population envoie pour retrouver du sens à l’existence dans une société, dans des agglomérations, de plus en plus désincarnées. On a besoin aujourd’hui de se raccrocher aux branches. On manifeste sur des ronds-points aussi pour dire que ces ronds-points on n’en veut plus, tant ils ont enlaidi nos villes au bénéfice de zones d’activités sans identité. Favoriser la nature en ville c’est une façon de refaire de la politique avec un grand p, de réhabiliter les élus en leur demandant de ne plus laisser que des traces subtiles de leur passage, qui formeront bien après eux les paysages dont on leur saura gré.
Avec Paul Ariès et Jocelyne Porcher, on a remis ça. Quoi ? Une tribune ! Après celle parue l’an dernier dans Libé, qui nous avait valu la gloire d’une première de couverture et la médaille d’honneur des menaces de mort violente et de tortures expiatoires, voici un texte qui s’oppose – à la pétition faussement nutritionniste pour un Lundi vert, et qui propose : manger moins, oui, de la bidoche industrielle, pour manger plus de viande de qualité élevée en pâture ! Ami lecteur, je tiens à vous rassurer, l’élevage, ce n’est pas mal, ce n’est pas pécher. Ça peut même être très écolo. La liste des signataires s’allonge chaque jour, elle est déjà bien fournie (Slow Food, Biolait, c’est pas mal, non ?!). Mais en plein Salon de l’agriculture et alors que L214 et Hugo Clément sortaient leurs bréviaires en librairie, Le Monde ne nous a diffusés que sur son site, ce qui a considérablement réduit la portée de notre texte. Peu importe, vous êtes là ! Si vous voulez signer et diffuser ce texte, ne vous retenez pas, on vous dit merci d’avance.
TRIBUNE. Le politiste Paul Ariès, le journaliste scientifique Frédéric Denhez et la sociologue Jocelyne Porcher dénoncent dans une tribune au » Monde » le mépris de classe de celles et ceux qui sont obsédés par l’antiviande. Ils proposent une série de mesures en faveur d’un élevage de qualité.
Cet appel initié par Paul Ariès (politiste), Frédéric Denhez (journaliste scientifique), Jocelyne Porcher (sociologue) a déjà reçu le soutien de plusieurs milliers de signataires grâce aux engagements collectifs de la Confédération paysanne, du MODEF, de Slow Food International, de Biolait, de Nature & Progrès, des AMAP, de nombreux parlementaires insoumis et communistes, d’élus EELV, de personnalités des gauches politiques, syndicales, mouvementistes, d’universitaires, de chercheurs spécialistes, de citoyens, etc. La liste intégrale des « premiers signataires » est consultable sur le site du Monde. Vous pouvez aussi signer cet appel sur ce site pour témoigner de votre soutien (pour signez aller tout en bas de cette page).
Nous assistons mondialement à une montée en puissance de lobbies qui cherchent à imposer le principe des « Lundis sans viande », sous des prétextes idéologiques qui se cachent mal derrière des apparences écologiques et sanitaires. Cette exigence est même relayée par le forum économique de Davos : déclarer la nécessité de réduire sa consommation de viande pour sauver le climat quand on sort de son jet privé, c’est assez baroque ! Nous défendons, depuis des années, une réduction drastique de la consommation de produits animaux issus des systèmes industriels, notamment pour des raisons de respect des animaux, de santé humaine et animale et de lutte contre le changement climatique, mais nous sommes inquiets face aux fausses évidences en vogue. La vraie alternative n’est pas entre protéines animales et végétales mais entre production industrielle de viandes et de céréales d’un côté et défense d’une agriculture paysanne et d’un élevage paysan d’un autre côté.
Remplacer des viandes, des fromages, du lait issus de l’élevage paysan par des céréales produites industriellement ne serait en rien un progrès. Remplacer des viandes, des fromages, du lait issus de l’élevage paysan par des produits de l’agriculture cellulaire (fausses viandes réalisées à partir de cellules souches par exemple) serait catastrophique. En quoi passer d’un monde AVEC animaux de ferme à un monde SANS animaux de ferme changerait-il fondamentalement les choses ? La faim dans le monde, le réchauffement planétaire, la crise de l’eau potable ne sont pas simplement la conséquence d’un régime alimentaire mais plus fondamentalement d’un système économique financiarisé.
Revendiquer un monde sans produits animaux, un monde uniquement végétal, c’est un manichéisme commode car il détourne l’opinion publique des véritables problématiques. Qui peut croire qu’en ne mangeant plus de produits animaux tous les problèmes de l’agriculture, du climat et de la nutrition seraient réglés ? Pas davantage que ceux de la souffrance animale liée aussi à l’agriculture industrielle ! La focalisation des médias sur le « sans-viande » n’arrive pas à masquer l’absence totale de réflexion politique sur l’évolution du système agricole et alimentaire, alors même que l’écologie, c’est éminemment de la politique et du social. Les gilets jaunes montrent le désarroi d’un peuple à qui tout est reproché, ce discours très intellectualisant et moralisateur vient lui assénerqu’ils mangent mal, et qu’ainsi en mangeant mal, ils abîment la planète et les animaux. Il y a du mépris de classe dans cette obsession antiviande.
Imposons plutôt dans le secteur de la restauration sociale le choix de produits animaux issus du seul élevage paysan ou de l’agriculture biologique afin de garantir les meilleures conditions possibles d’élevage, une alimentation de qualité pour toutes et pour tous et de bonnes conditions de travail tout au long des filières. Généralisons la relocalisation des activités d’élevage, privilégions une alimentation herbagère locale et saine pour les animaux, limitons les déplacements d’animaux, instaurons des abattoirs locaux, défendons le principe de l’abattage sur place réalisé par des professionnels. Promouvons le mot d’ordre « naître, vivre et mourir à la ferme » défendu par « Quand l’abattoir vient à la ferme », des syndicats paysans, des associations écologistes et des protecteurs des animaux. Défendons en même temps la biodiversité animale et végétale.
La biodiversité végétale est extraordinairement supérieure dans les prairies entourées de haies bocagères par rapport aux champs cultivés (microfaune du sous-sol, flore, insectes, oiseaux et mammifères). Ajoutons que la clé de la fertilité de l’agriculture paysanne et de l’agriculture biologique repose sur le triptyque sol – végétal – animal, c’est-à-dire dire sur la polyculture élevage : il n’y a pas de maraîchage durable sans le fumier des animaux ! Il est temps d’écrire un nouveau récit de l’alimentation dans lequel l’animal est autant respecté que les humains qui l’élèvent et le mangent. Nous lançons l’idée d’une Journée mondiale de l’élevage paysan et des animaux de ferme, une journée AVEC 100 % de viandes et de produits animaux issus de systèmes d’élevage respectueux des animaux et de l’environnement, aux côtés de produits végétaux (céréales, légumes et fruits) issus de l’agriculture paysanne.
Liste des « premiers signataires »
Paul Ariès, politologue, auteur de « Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser » (Larousse, janvier 2019) ; Frédéric Denhez, journaliste scientifique, auteur d « Acheter bio ?, A qui faire confiance » (Albin Michel, février 2019) ; Jocelyne Porcher, sociologue, directrice de recherches, auteure de « Vivre avec les animaux, une utopie pour le 21e siècle » (La Découverte, 2014)
Des organisations signataires
La Confédération paysanne ; le MODEF ; des AMAP ; Adabio (paysans bio en région Auvergne-Rhône-Alpes) ; Slow-food international ; Slow-food France ; Alliance Slow-food des cuisiniers de France, les 1200 éleveurs de Biolait ; Fédération régionale de l’agriculture biologique AURA
Des élu.e.s et des personnalités politiques
Clémentine Autain, députée insoumise ; Michel Larive, député insoumis ; Loïc Prud’homme, député insoumis ; Sébastien Jumel, député communiste ; Stéphane Peu, député communiste ; Alain Bruneel député communiste ; André Chassaigne, député communiste ; Jean-Paul Dufrègne, député communiste ; Eric Andrieu, député socialiste européen ; Jean-Claude Tissot, sénateur ; Laurence Lyonnais, militante écosocialiste en secteur rural, candidate France Insoumise aux élections européennes ; Laurent Levard, agro-économiste, co-animateur agriculture et alimentation de la F1 ; Dominique Paturel, Groupe agriculture et alimentation de la FI ; Mounia Benaili, élue FI ; Michelle Rubirolla, médecin, conseillère départementale EELV ; Stéphane Delpeyrat-Vincent, Conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, Generation.S ; Jeanne Meunier, EELV, Jacques OLIVIER, Maire honoraire du Thor (Vaucluse) EELV ; Danielle Estay, membre fondateur des AMAP de Guérande, EELV ; Maryse Oudjaoudi, EELV Rhône Alpes ; BiniciLeyla, EELV candidate Européennes ; Lydia Labertrandie, EELV ;Catherine WalthertSelosse, EELV ; Gilles Bénard, EELV ; Nathalie Perrin-Gilbert, Maire du 1er arrondissement de Lyon, candidate Lyon en Commun 2020.
Des personnalités du monde de l’agriculture
Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne, Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne, référent du Pôle Elevage ; Jean Mouzat, Président du MODEF national ; Pierre Thomas, secrétaire général du MODEF national ; Paul Caperan , Trésorier du MODEF national, Serge Mora, Président du MODEF des Landes ; Marylène Tardy Présidente du MODEF de Savoie ; Michel Coudert, Président du MODEF de la Corrèze ; René Gondran, Ancien président du MODEF des Bouches du Rhône ; Jean Chey, Ancien président du MODEF Jura ; Sophie Bezeau, Directrice du MODEF national ; Florian Monteil, Animateur du MODEF Lot et Garonne, Gers et National ; Sarah Manuby, Animatrice du MODEF Auvergne-Rhône Alpes
Des personnalités du monde de l’alimentation
Carlo Petrini, Président de Slow-food international ; Xavien Hamon, Président de l’Alliance Slow-food des cuisiniers de France ; Paola Nano, Porte-parole de Slow-food international ; Mouvement Inter-régional des AMAP (Pays de la Loire) ; Benoît Gauthier, Mouvement Inter-régional des AMAP (Bourgogne) ; Didier Loufrani, Réseau des AMAP du Tarn, MIRAMAP ; José Florini, Les AMAP de Provence ; Claudine Léhon, Les AMAP de Provence, MIRAMAP ; Alex Jestaire, Les AMAP de Provence ; André Lopez, Les AMAP de Provence ; Les AMAP de Provence ; Elisabeth Carbone, Mouvement Inter-régional des AMAP (Corrèze) ; Jérôme Dehondt, paysan bio ; Jean-François Baudin, bibliothécaire, président Réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes ; Jean-Brice Tulasne, Président Réseau AMAP Savoie ; Laurence Paccard, éleveuse en volaille AB, administratrice du Réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes ; Marc Bardin, amapien et administrateur du Réseau AMAP Loire ; Isabelle BERARDAN, amapienne dans la Loire ; Jean-Pierre Mousset, administrateur Réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes ; Philippe Chorrier, éleveur de porc AB dans la Loire en AMAP ; Andréa Blanchin, Réseau AMAP AURA ; Amélie Charvériat, Réseau AMAP AURA ;
Des personnalités scientifiques, écologistes, altermondialistes, médiatiques
Jean-Pierre Digard, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS ; Christian Dupraz, directeur de recherches INRA, spécialiste de l’agroforesterie ; Frédéric Saumade, anthropologue de l’élevage ; Barthelemy Chenaux, agronome ; Anthony Fardet, INRA ; Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste ; Robert Levesque, président d’AGTER (association pour l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources Naturelles) ; Natacha Polony, directrice de Marianne ; Rudy Pischiutta, directeur du Groupe ornithologique et naturaliste du Nord ; Patrick Lelièvre, instructeur d’équitation ; Marie-Christine Favé, vétérinaire ; Rudy Pischiutta ; Annette Roussel, conseiller municipal déléguée EELV de Dieppe, gérante de la Coopérative d’Albâtre de consommation de produits bio et locaux ; Anthony Fardet, chargé de recherches, INRA ; Frédéric Saumade, professeur, université d’Aix-Marseille ; Gérard Leras, ancien vice-président de la région Rhône-Alpes ; Aris Christodoulou, Président de SIGA ; Christophe Noiseux, journaliste, France Bleu Pays-d’Auvergne ; Péris Legasse, journaliste, Marianne ; Laurent Chevallier, médecin nutritionniste ; Franck Mouly, conseil national du PCF ; Françis Wollf, professeur émérite de philosophie, Ecole normale supérieure ; Denis Carel, paysan bio ; Nathalie Buisson, syndicaliste CGT ; Léa Lugassy, chercheuse en écologie et agron8omie ; Michel Ragot, Biolait ; Dominique Marion, paysan bio ; Alain Véronèse, Agir contre le chômage ; Amélie Charvériat, Réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes ; Léa Lugassy, chercheuse en écologie et agronomie ; Nathalie Bourras (apicultrice, membre de la Confédération paysanne, candidate France Insoumise aux élections européennes ; Romain Dureau, ingénieur agronome spécialisé dans les systèmes d’élevage herbager, candidat France Insoumise aux élections européennes ; Laurent Thérond, viticulteur, membre de la Confédération paysanne, candidat France Insoumise aux élections européennes ; Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, GDS ; Gérard Aschieri, syndicaliste ; Gilles Luneau, réalisateur ; Patrick Vassallo ; Jean-Michel Drevon, syndicaliste ; Gustave Massiah, économiste ; Jean-Claude Balbot, paysan ; Maxime Vivas, administrateur du site Le Grand Soir ; Fabrice Flipo, philosophe ; Laurent Paillard, philosophe ; Josef Zisyadis, Slow-food suisse, membre du Conseil national suisse de la FAO ; Caroline Mecary, ancienne Présidente de la fondation Copernic ; Françoise Dauisse, auteur réalisatrice ; Fanny Soulier ; Jean Malifaud, fondation Copernic ; Eric et Catherine Bottin ; Lucien Degoy, journaliste ; Pierre Khalfa, fondation Copernic ; Florent Bussy, philosophe ; Pierre Zarka, ancien député, ancien directeur de l’Humanité, OMOS ; Fabrice Flipo, philosophe ; Gilles Boitte, psychologue ; Daniel Rome, militant altermondialiste ; Pierre-François Grond, FI ; Pierre Cours-Salies, philosophe ; Edouard Schoene, syndicaliste, membre du PCF ; Samy Johsua, ancien professeur en sciences de l’éducation ; Monique et Michel Sanciaud, membres d’Attac ; Jacques Testart, biologiste ; Gérard Aschieri, syndicaliste ; Jean-Marc Serekian, médecin ; Richard Lagache, éditeur ; Jean-Luc Pasquinet, décroissance IDF ; Catherine Gonnet, Observatoire International de la Gratuité ; François Gèze, éditeur ; José Touar, syndicaliste ; Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherches au CNRS ; Jacques Lerichomme ; Hélène Deutsch-Rome, Christiane Dedryuer, ACU ; Patrick Vassallo ; Cyril Cineux, adjoint au maire de Clermont-Ferrand, PCF ; Paul Polis et les membres solidaires du GIE Zone verte ; Jean-Claude Duclos, administrateur et co-fondateur de la Maison de la transhumance ; Patrick Fabre, directeur de la Maison de la transhumance ; Ludo Faurie, éleveur ; Patrick Lelièvre ; Nicole Bochet, agronome en retraite ; Mathurin Peschet, cinéaste, documentariste, auteur du film « Cousins comme cochons » ; Alain Boutonnet, vétérinaire ; Agnès Briançon, éleveure ; Pauline Perdrix, éleveure ; Nicolas Gruer, éleveur à la retraite ; Yvert Simon et Thiroux du plessis Galatée, éleveurs ; Xavier Noulhianne, éleveur ; Laurent Chalet, éleveur de vaches nantaises ; Pascal Bodinier, boucher de campagne ; Sébastien Mouret, chercheur INRA ; Vanina Deneux, doctorante INRA ; Nicolas Lainé, chercheur LAS (CNRS/EHESS) ; Félix Jourdan, doctorant INRA ; Charles Stepanoff, Maître de conférences. Ecole Pratique des Hautes Etudes ; Marc Vincent, ingénieur INRA, en retraite ; Diane de Camproger, doctorante, Université de Caen ; Sandrine Fanon, La boîte du chef, Canada ; Sophie Nicod, chargée de mission recherche, Ecole Blondeau ; Camille Eslan, doctorante, Institut Français du Cheval et de l’Equitation ; Lise Gaignard, psychanalyste ; Jeremy Magand, éleveur ; Marina Pourras, éleveure ; Estelle Deléage, Maître de conférences. Université de Caen ; Max Tortel, éleveur de cochons bio plein air, transformateur ; Yann Robin, éleveur ; Gisèle Alexandre, chercheure INRA ; Sébastien Guilhemjouan, Fédération des Travailleur de la Terre et de l’Environnement ; Emilie Jeannin, éleveure, « Le boeuf éthique » ; Marion Débats, éleveur ; Oliver Dickinson, documentariste, auteur du film « Un lien qui nous élève » (2019) ; Céline Vial, ingénieur de recherches, Institut Français du Cheval et de l’Equitation ; Léo Coutellec, Enseignant-chercheur en philosophie des sciences, Université Paris-Sud, membre du collectif « Pour des alternatives agri-culturelles » ; Michel Meuret, chercheur INRA ; Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, membre du collectif « Malgré Tout ; Fabrice Nicolino, auteur du livre « Bidoche », l’industrie de la viande menace le monde ». Actes Sud ; Jean Estebanez, maître de conférences, UPEC ; Christelle Leissner, éleveure ; Jean-Philippe Choisis, Ingénieur de Recherche, INRA ; Aude Vidal, autrice et éditrice, « On achève bien les éleveurs » (avec Guillaume Trouillard)2, Editions de l’Echappée ; Laurence Arpin, vétérinaire, Mont-Joli, Québec, Canada ; Jean Gardin, Maître de conférences en géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; François Jarrige. Maitre de conférences en histoire, Université de Bourgogne – IUF ; Stéphane Dinard, éleveur, président de l’association « Quand l’abattoir vient à la ferme » ; David Grangé, éleveur ; Hugo Valls, chercheur CIRAD ; Sylvain Golé, Centres d’Etudes et de réalisations pastorales (CERPAM) ; Perrine Cadoret, éleveure ; Estelle Janin, éleveure ; Benoît Leibzig, éleveur ; Claire Lamine, chercheur INRA ; Pierre-Louis Osty, chercheur honoraire, INRA ; Nathalie Debus, chercheure INRA ; Claude Soulas, ingénieur agronome et pastoraliste ; Johann Hugenin, chercheur CIRAD ; Jean-Louis Fiorelli, ingénieur de recherche, INRA ; Agnès Briançon, présidence de l’association « Homéo à la ferme » ; Véronique Ancey, chercheure CIRAD ; Roger des Prés, La Ferme du Bonheur, Nanterre ; Florence Hellec, chercheure INRA
Jeudi 15 février sort mon nouveau livre, chez Buchet-Chastel. Après l’Assiette est dans le Pré (paru en octobre 2017 chez Delachaux & Niestlé), je continue ma petite exploration de la bouffe. De ce qu’elle nous dit de la société. De sa force de persuasion politique. Manger, c’est voter, comme ne cesse de le revendiquer mon préfacier, Périco Legasse. C’est peut-être voter plus efficacement que de laisser tomber un bulletin dans une urne ! Manger est un acte social, car manger correctement, c’est demander à l’agriculture de travailler correctement. C’est lui donner plus d’argent, donc plus de forces face au gang à chemisette-rayures-cravate de la Grande distribution. Mais manger mieux, à tous les sens du terme, est-ce forcément manger bio ? Non ! Car le Bio est la cerise que l’on va chercher après qu’on a su se reconstituer le bon gâteau d’une hygiène de vie et d’une culture alimentaire riche et diversifiée. À quoi bon manger bio si c’est des plats tout préparés livrés par messagerie ou des tomates en hiver cueillies en Espagne par des semi-esclaves marocains ? À quoi bon manger bio si c’est pour donner des sous à Leclerc et, bientôt, Amazon ? Le bio est un humanisme, une philosophie naturaliste qui s’oppose au système agroalimentaire tel qu’il est aujourd’hui, et au fascisme naissant qu’est le véganisme. Mais le bio est fragile, travaillé qu’il est par des contradictions internes et les formidables pressions de l’industrie et de la Grande disitrbution qui, toujours, essaient de phagocyter ce qui les menace. La crise de croissance est bien là. Elle peut ouvrir l’avenir sur un nouvel équilibre, une ligne d’horizon attirante pour ces 20% d’agriculteurs qui sont déjà en train de changer de modèle ; ou être l’idiot utile du processus d’élimination de l’agriculture humaine et paysagère, au profit d’une moléculture hygiéniste, tracée, propre à destination de purs esprits urbains effrayés par le sang, le sol, les épluchures, le gras et la mort. Attention, danger… Voyage et rencontres en 128 pages.
Le Bio, non, La Bio, oui
(la préface et le préambule, pour vous donner envie)
Préface
Bio ? oui, mais bio…
Si la fin de l’humanité est déjà programmée par elle‐même, à grands renforts de croissance néolibérale, il est encore sur terre des fous furieux qui prétendent retarder ce processus en accordant une bribe d’espoir aux générations futures. L’espoir de ne pas laisser cette planète à leurs enfants dans l’état lamentable où ils l’auront trouvée. Quand la CoP 36 se tiendra sous abri antiatomique, la giboulée de mars ayant viré à l’ouragan ordinaire, et que les 10e états généraux de l’alimentation suggéreront la limitation du nombre de vaches d’une ferme moyenne à 10 000 têtes, nos gouvernants se diront que les affreux lanceurs d’alerte du début du XXIe siècle étaient optimistes dans leurs pires prédictions. Un tantinet plus lucide que les autres, doté d’un bon sens à peine enrichi par la rigueur de ses enquêtes, Frédéric Denhez est l’un de ces fous furieux. N’y allons pas par quatre chemins : l’ouvrage que vous avez entre les mains n’est pas le énième coup de gueule d’un indigné du bocage meurtri ou d’un révolté du gâchis alimentaire qui nous ruine, mais une interpellation légitime, un document fondateur dont la dimension politique dépasse de loin les promesses électorales du plus visionnaire des leaders écologistes.
Nous en sommes tous d’accord : à près de 7 milliards d’habitants, la maison commence à brûler ; à 10 milliards, les pompiers les plus valeureux n’y pourront plus rien si ce monde ne se repense pas. Il est pourtant un constat évident : si nous continuons à consommer de cette façon, la jolie boule bleue qui tourne en orbite autour du Soleil entre mars et Vénus ne pourra plus fournir. Cela fait plus de soixante‐dix ans que l’on ment à notre terre nourricière en lui faisant croire qu’elle est inépuisable. À force de l’exploiter, de la violer, de la pomper, de la bétonner, donc de la contourner, la cave se rebiffe. Lorsque apparut l’idée que l’on pouvait cultiver son jardin en fonction de ses justes besoins, selon ce que permet la nature, en créant une équation solidaire entre l’appétit humain et la fertilité des sols, d’aucuns admirent que cela méritait d’être érigé en éthique de vie. « La terre à ceux qui la travaillent », clamaient les premiers libertaires. Certes. elle est désormais à ceux qui la respectent. Lorsque Raoul Lemaire et Albert Howard, puis Hans et Maria Müller, comprirent l’urgence d’une méthode de production préservant la santé des sols, des écosystèmes et des personnes, on crut qu’une alternative à la détérioration de l’environnement par le productivisme agrochimique était enfin trouvée. Cette lueur a provoqué un séisme, éclairant les consciences, bouleversant la donne, suscitant des passions dignes des plus véhéments débats philosophiques, mais lorsque l’on observe posément ce que le bio est en train de devenir, on frémit d’effroi. Si l’Inquisition n’est pas inscrite dans les évangiles, ni le goulag dans Le Capital de Karl Marx, il faut croire que les concepteurs du projet biologique n’avaient pas prévu que les trois lettres qui devaient sauver le monde, sans être aussi dévoyées que purent l’être les deux messages que je viens de citer, ne suffiraient pas à pérenniser la biodiversité planétaire par leur seule apposition sur un pot de yaourt ou un paquet de carottes.
Depuis le label Demeter de 1927, aussi pur que l’était un chrétien des Catacombes, une église s’est emparée de la bonne nouvelle, avec son clergé et sa liturgie, oubliant qu’il ne suffit pas d’aller à la messe tous les dimanches et d’assurer le denier du culte pour aimer son prochain comme soi‐même. Que nous dit Frédéric Denhez ? Que le bio est une foi, pas un dogme ; un comportement, pas une posture ; un sentiment, pas une sensation ; une résolution, pas une stratégie. Le bio a ses tartuffes et ses pharisiens, ses collabos et ses intégristes. Pire encore, comme la laïcité, ses détracteurs veulent l’adapter aux enjeux moins‐disants du moment pour mieux détruire ce qu’il doit protéger.
renvoyant dos à dos les organismes professionnels et les associations militantes dont les membres, aussi sincère et respectable que soit leur engagement, ne semblent pas avoir bien saisi l’immensité du défi, l’auteur tient le seul discours qui vaille à l’heure de la vérité : ou l’idéal agroécologique devient une façon d’être et de penser, ou il se verra vider de son sens.
Voici, parmi d’autres considérations pertinentes, ce qu’il faut retenir de ce courageux décryptage de la réalité du bio. L’analyse est sévère et le verdict sans concession, en effet, mais c’est à ce prix que l’on pourra empêcher la malbouffe financiarisée et le marché qui la régule de dévoyer notre seule espérance de survie. Une façon de dire «non» à une dérive, qui dit «oui» à la redéfinition d’une pédagogie salutaire.
Faisant l’autre jour mes courses dans la supérette organique où je me fournis quotidiennement, je tombai, à l’enseigne d’une marque durable reconnue, sur un camembert bio… au lait pasteurisé. Lisant l’ubuesque étiquette, je me disais que Frédéric Denhez n’a peut‐être pas tort. Espérons seulement qu’il n’ait pas totalement raison.
Périco Légasse, rédacteur en chef à Marianne
Préambule
Il y a des préfixes qui se libèrent. Ils s’émancipent, s’échappent et s’accolent où ils veulent. Ils ont le pouvoir. Ils n’ont plus besoin de mots pour exister. Ils sont leur propre définition. « éco » avait ouvert le bal, « bio » a suivi. aujourd’hui tout est éco, et tout est bio. Dire « bio » suffit à dire que c’est bien. en fait, c’est synonyme. C’est un brevet, une onction, le saint chrême, c’est donc douteux. Même le psy le moins perspicace sait que l’excès cache souvent le vide, qu’il est un cri de détresse plutôt qu’une revendication. Intéressez‐vous à moi ! Alors, tout est bio, mais aussi équitable, durable, responsable, solidaire et collaboratif, évidemment. achetez‐moi ! Et ne regardez pas trop l’étiquette. assurément, c’est louche. Car si tout est bio, c’est que rien ne l’est !
Devenu objet de marketing, le bio est un élixir qui change tout en vert, tout est question de dosage. Employé à tort et à travers, il peut aussi se ridiculiser. Bio, c’est bien, c’est moderne, mais cela peut tout aussi bien évoquer le passé, le passéisme, la nostalgie, le monde d’avant et le repli sur soi. Un excès, dans l’autre sens. Le même psy peu lucide verrait le même écran placé face à la réalité, la même image, projetée par ceux qui plaquent sur le bio ce qu’ils n’assument pas, rêves ou cauchemars. Une stratégie de défense qui en dit long sur le tumulte de la société.
Le bio dérange. Il cristallise plein de choses. Il est là, superbe, totémique, parce que nous sommes dans un entre‐deux. Mais qu’est‐il vraiment ? Une belle philosophie, qui peut tout autant illuminer l’avenir qu’être réduit à un rayon vert. Le bio est ce que nous en ferons. Attention, danger…
Dans Libération du 25 janvier, Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences à l’École normale supérieure, déplore le je-m’en-foutisme général à propos de la crue. Les médias ont beau avoir transformé la montée des eaux en invasion toxique, ils passent largement sur la seule question qui vaille : aujourd’hui, ça va, comme il y a deux ans – déjà, mais demain, quand l’inévitable crue centennale adviendra ? A-t-on une idée précise des conséquences sur la première région de France ? Sur celle qui, ainsi que le précise Me Reghezza-Zitt, « concentre près de 19 % de la population métropolitaine, 24 % des emplois, 30 % de l’activité économique de la France, et 40 % de la recherche et développement, sans compter les fonctions régaliennes, les administrations, les infrastructures logistiques, etc. » ? La réponse est dans la question : ce serait catastrophique. Surtout quand on regarde ces abrutis se battre pour des pots de Nutella en promotion chez Intermarché. L’ennemi de la raison c’est l’acte réflexe, et la cécité volontaire. Voici le texte que j’ai écrit en 2015 à la suite à un grand débat qui s’était tenu à Boulogne-Billancourt à propos de notre (im)préparation à la crue centennale. Il reste d’actualité. La prise de conscience a depuis évolué dans le bon sens, mais elle n’a pas encore atteint notre cerveau reptilien. L’inondation reste un marronnier médiatique, un impensé. Hélas.
La Seine : quand elle débordera vraiment nous ne serons toujours pas prêts…
C’est celle dont on se souvient le plus 1910. Parvenue à la barbe du zouave, la Seine de cette année-là sortit de son lit pour se coucher au pied de l’Opéra. Photographiée, filmée, enregistrée, elle est, depuis, la star des inondations. La référence en matière de Paris-sous-l’eau. À peine trois morts, mais 100 000 soldats mobilisés, quatre ans avant la Guerre, le métro façon « conduite d’eau » et les Parisiens en barques ou se déplaçant, haut-de-forme et jaquette, sur des petits ponts de bois.
Ce ne fut pourtant pas la pire, ni la plus importante, nous disent les historiens et les hydrologues. Sur les soixante-deux inondations qu’a connues la capitale de la France depuis 1500, 18 sont survenues au cours du XVIIe siècle, et 14 entre les années 1700 et 1740. Avant, il y en eut aussi, et des bien meurtrières.
Sainte-Geneviève a souvent eu les pieds dans l’eau
En fait, quand on regarde bien, l’histoire de Paris est ponctuée de processions en l’honneur de Sainte Geneviève, la protectrice de la capitale, dont le clergé sortait les reliques afin de convaincre Dieu de bien vouloir faire dégonfler le fleuve. C’est que l’eau est, toujours, ce qui a le plus fait peur aux hommes. C’est elle qui, écrit Emmanuel Le Roy Ladurie, a de tout temps le plus abîmé, détruit et tué. Qu’elle soit trop abondante ou par trop manquante, l’eau est la première catastrophe.
Sauf que… muséifiée depuis 1910 dans un noir et blanc amusant, l’inondation « centennale » n’est plus dans notre esprit naïf qu’un aléa banal que notre génie a su contraindre. Si le fleuve déborde à nouveau, il sera conduit par le corset des berges jusqu’à des barrages-réservoirs qui le retiendront avant de le relâcher. On ne craint rien ! Dans un pays où l’on se tourne vers le maire ou l’État à la moindre ampoule qui claque, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Nous sommes un pays d’ingénieurs, non ? Après tout, quelle que soit la catastrophe, l’arrêté de catastrophe naturelle est signé et les victimes sont remboursées, non ?
5 millions de… réfugiés !?
Les participants au colloque « Mise en Seine » ont démontré d’une voix étonnamment chorale que notre confiance en la technique et l’arrêté de catastrophe naturelle relève largement de l’ignorance, voire de la cécité volontaire. « Tout le monde s’en fout, politiques comme citoyens », ont-ils clamé en substance. « On ne réagira, trop tard, que lorsque l’eau sera là ». Quand ? Nul ne le sait. La Seine ne déferle pas à la manière d’un torrent, elle monte lentement. On aura donc le temps, la prochaine fois, de voir venir. « Mais justement, si elle met des jours à monter, elle mettra aussi des semaines pour redescendre… ». Le temps pour elle de bien imprégner les réseaux de distribution, de transport et de communication, les fondations des maisons, les terrains fragiles, les stations d’épuration, les sites de stockage de produits dangereux, les champs agricoles, les berges des ports.
Selon l’OCDE, la prochaine crue majeure de la Seine, égale, au moins, à celle de 1910, générera dans les 600 000 chômeurs et peut-être deux fois plus de personnes mises en situation difficile c’est-à-dire, en termes de sécurité civile, susceptibles de devoir ficher le camp de sa maison. Peut-être 5 millions de Franciliens n’auront plus accès à l’un ou l’autre des réseaux. « Comment gérer autant de gens en autant de temps ? ». On ne sait pas. « La solidarité jouera quelques jours, peut-être quelques semaines, mais qu’en sera-t-il après quelques mois ? ». En effet, en 2002 dans le Gard, quatre cents familles eurent à être relogées, ce que l’on ne put faire que longtemps après l’inondation, parfois dix-huit mois !
Fioul et dominos
Le problème sera avant tout celui de la pollution, comme l’ont montré les inondations récentes à New York, Dresde, Prague, Dublin ou dans le sud de l’Angleterre. Les cuves à fioul flotteront, pour finir par se vider. Les voitures surnageront, mais leur contenu s’en échappera. Et puis rien ne dit que les usines d’épuration de l’eau seront encore fonctionnelles. « Le problème n’est pas tant que l’eau inonde, c’est qu’elle sera sans doute souillée ». L’autre grande interrogation est celle de l’effet domino le gestionnaire du réseau électrique qui coupe préventivement un poste de distribution stratégique, ce qui entraîne l’arrêt brutal d’une antenne-relais de téléphone mobile ou d’une pompe affectée au maintien au sec d’une voie du RER…
Une culture du risque proche de l’étiage
En fait, la résilience des réseaux est bonne… pris isolément, car chaque opérateur, comme d’ailleurs toutes les grandes entreprises, s’est préparé à la fois à la crue, et à l’après-crue. Mais considérés dans leur réalité, interconnectés qu’ils sont, les réseaux ne sont pas résilients. D’autant moins qu’ils font vivre une population largement… déconnectée de toute culture du risque, enfermée dans la certitude que rien de grave ne pourra arriver, et que quand bien même, les assureurs et l’État feront le nécessaire. « Fantasme de la protection absolue » derrière des digues qui ne font plus craindre l’épée de Damoclès, « sous-estimation des conséquences », généralement partagée. Nous sommes en 2015 comme nous étions il y a trente ans au sujet du tri des déchets. Au début. Entre le je-m’en-foutisme, l’à-quoi-bonisme et l’après-nous-le-déluge il y a tout à faire. C’est-à-dire de la communication. De la vulgarisation. De la pédagogie. Mais qui, à Paris et ailleurs, a récemment entendu parler de l’inondation à venir ? Qui a eu vent des exercices de préparation, d’évacuation, d’accueil de réfugiés organisés dans le cadre de l’opération Sequana l’an prochain ? Qui sait quoi faire quand l’eau sera là ? Personne ! Parce que l’information concrète, non catastrophiste, dédramatisée, régulière, manque. Bref, les « élites », celles qui étaient présentes lors du colloque, savent, mais le reste de la population ne sait pas. Encore que l’on peut se demander si autant de gens sont nécessaires pour présider à la résilience de l’Ile-de-France. Ne sont-ils pas trop nombreux, eux qui, disant tous la même chose, ont l’air de se marcher sur les pieds ? Une réelle autorité chapeautant l’ensemble des services de l’État et territoriaux ne serait-elle pas plus efficace en matière de cartographie précise des enjeux, de campagnes de communication et d’aides aux petites entreprises qui n’ont certes pas les moyens des grosses pour tenir le coup social durant les mois d’inactivité forcée ?
Les sols, la biodiversité, les TVB, efficaces barrières anti-crues
Une autorité qui s’occuperait de l’eau et des sols. Car – cela a été largement souligné lors du colloque – les sols participeront plus qu’il n’en faut à la prochaine inondation. En premier ceux qui n’existent plus, couverts qu’ils sont par des parkings, des rocades, des lotissements et des centres commerciaux. En second parce que les sols trop labourés, trop profonds, sont tellement déstructurés que leur capacité à retenir l’eau de pluie est atténuée et qu’en hiver, alors qu’ils sont nus, ils deviennent aussi durs et étanches qu’une croûte de macadam. Aujourd’hui les sols favorisent le ruissellement, c’est-à-dire le galop de l’eau qui pleut vers les rivières qui grossissent et inondent. Voire, ils peuvent aussi aggraver l’inondation qu’ils ont contribué à amplifier entraînée par l’eau qui tombe du ciel ou déborde, la terre trop fine, parce que trop travaillée, peu maintenue par les racines, se mêle à l’eau qu’elle transforme en une boue bien plus dévastatrice.
La prévention des crues est en définitive autant une affaire d’eau que de sols. Donc, d’agriculture. In fine, d’aménagement du territoire. Laisser aux sols le temps d’absorber l’eau qui leur arrive. Comment ? En laissant le sol vivre ! Celui des zones humides, évidemment. Mais aussi les prairies, permanentes ou temporaires, les bandes enherbées qui servent de frontière entre champs et rivières, et… les parcs urbains riverains et les berges « végétalisées ». Sans compter les haies et tout ce qui, le long des courbes de niveau, freine l’eau. Finalement, en s’alliant la biodiversité pour se prémunir un peu contre l’inondation, on redécouvre les trames vertes et bleues. Ce qui favorise la biodiversité nous aide à limiter la casse !
La Bassée, est-ce trop dépenser ?
Le Schéma départemental de gestion et d’aménagement de l’eau, le SDAGE, a justement pour vocation de « laisser de l’espace libre au fleuve ». Difficile avec une telle densité de population. Le foncier manque déjà pour construire des logements. Le constat est pourtant clair on ne peut plus se permettre d’étanchéifier autant les zones inondables de la région, déjà couvertes à 90 % au cœur de Paris. Construire, certes, mais en préservant des usages multiples mine de rien, en remodelant les berges de façon à ce qu’elles accueillent aussi bien des promenades plantées que des zones industrielles, des plages que des zones humides, en réaménageant les ports pour qu’ils soient des éléments des trames vertes et bleues, on dit symboliquement que nous acceptons les aléas de la nature, parce que nous nous desserrons des appareillages techniques, du génie civil qui ne peut pas nous garantir à 100 %. Que faire du projet de la Bassée alors ? Ces casiers sont voués à retenir la Seine montante, le temps que passe le flot de l’Yonne, définitivement incontrôlable. La conjonction des deux flux fut en effet à l’origine de la crue géante de 1910. Mais de l’avis général, plus ou moins entendu lors de ce colloque, « dépenser un argent considérable pour un système qui ne nous mettra pas à l’abri d’une crue majeure n’a pas beaucoup de sens »… Par contre, il semblerait qu’il y en ait plus, du sens, à dépenser près de quarante milliards pour un Grand Paris Express mal conçu et à l’efficacité douteuse.
Les fleuves ? Moins que les pipelines…
De l’avis général également, la Seine est sous-utilisée. Comme l’ensemble du réseau fluvial français. La France est la première façade maritime d’Europe, et la seconde zone maritime mondiale. Qui s’en soucie ? Pas grand monde. Elle possède également le plus grand kilométrage européen de voies
navigables, plus de 8 000 km. Mais qui s’en soucie ? Peu de monde, car autrement, ce ne serait pas 2, 3 % à peine des marchandises qui emprunteraient la péniche plutôt que le camion, l’avion ou le train, mais au moins 25 % comme en Allemagne ! Par les fleuves transitent moins que par les pipelines, le constat est cruel. Mais voilà, la France a préféré investir sur la route, puis sur le TGV, oubliant que le corollaire de la massification qui est le véhicule de la mondialisation, par la mer, est la barge fluviale et le convoi ferré.
Pas de BTP sans Seine
Certes la Seine tient son rang, car l’essentiel des matériaux de construction, des granulats, et, dans l’autre sens, des déblais de chantier et des déchets lourds, sont véhiculés par elle. Mais ce rang pourrait être plus grand encore. Le réseau a été notoirement sous-investi. Les ouvrages d’art qui le ponctuent ne sont pas fiables. Selon VNF, des canaux importants n’ont toujours pas été requalifiés en « grand gabarit » afin de faciliter le passage des barges lourdes de 5 000 tonnes (équivalents à 200 semi-remorques) un élément du projet d’aménagement de La Bassée. Il manque des liaisons nettes, entre Le Havre et la Seine comme entre Fos et le Rhône. Il manque toujours ces grands canaux que sont le Seine-Escaut, qui devrait quand même voir le jour, et le Rhin-Rhône, aux oubliettes.
Il manque aussi des facilités d’accès. Du foncier, afin que les ports puissent exercer vraiment leur vocation de zones logistiques, vers lesquelles les ports maritimes évacueraient au plus vite leurs conteneurs et leurs vracs divers. Des ports facilités dans leurs tâches alors qu’élus et citoyens veulent tout à la fois des magasins près de chez eux, mais pas les affres de la livraison, quand bien même le serait-ce par la si vertueuse barge. Le pli est néanmoins pris depuis quelques années. La convention signée entre Voies navigables de France (VNF) et la Région a montré la cohérence réelle de celle-ci dans sa politique de transports quasi-autorité organisatrice du transport de marchandises, la Région, par ailleurs engagée dans un contrat de plan État-Région, accompagne le développement des ports de Gennevilliers, Achères et Bonneuil, et participe, avec l’Établissement public foncier, au réaménagement portuaire des anciennes papeteries de Nanterre.
La mise en Scène commence enfin
Ce n’est pas facile car on part de très loin, mais les cieux franciliens de plus en plus obscurcis par la pollution, la ferme volonté de la Mairie de Paris de proscrire sa voirie à tout camion non motorisé en Euro 6, l’attractivité nouvelle des ports maritimes français qui accroît le besoin d’évacuer au plus vite les marchandises débarquées, l’évidence que les travaux considérables inscrits dans le projet du Grand Paris ne pourront être menés sans l’aide du fleuve, l’aboutissement sans doute proche du projet de canal Seine-Escaut… Tous ces constats nourrissent un relatif optimisme. La France se remet à nouveau les pieds dans l’eau pour mieux voir passer ses péniches. Tout en scrutant le ciel afin de déceler le reflet qu’aura demain la Seine, perturbée par la variabilité chaque année plus forte du cycle de l’eau soumis au réchauffement climatique.
La mise en scène ne fait que commencer. Elle tarde un peu, tout de même.
Voici ce que j’ai pensé des deux jours de débats organisés par l’Institut régional (normand) du développement durable, l’IRD2, en mars 2017, à Caen., sur le prix de la nature. Comme d’habitude, ces débats ont été le point d’orgue d’un de ces programmes pluriannuels dont l’IRD2 a le secret. De l’information, de la formation, de la pédagogie, sans donner de leçons aux élus et le grand public pour leur faire comprendre les enjeux de la société. Un exemple unique en France de médiation intelligente entre la science et nous tous. Merci d’applaudir la directrice de l’IRD2, Sophie Raous, qui porte ce projet depuis le début. (Les textes de cette infolettre sont publiés par divers supports, gratuits et payants, numériques et papier. J’ai décidé de vous offrir ce texte par la version mise en page et diffusée par l’IRD2, pour voir. Si ça ne passe pas, dites-le moi par mail, et je referai une infolettre en format texte. Merci!)