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Les abeilles, sujets de politique

En mai 2019*, lors des troisièmes universités d’été des abeilles organisées par Guerlain, chercheurs, naturalistes, politiques et ingénieurs se sont réunis à l’Unesco pour parler vivement des abeilles et de l’érosion de la biodiversité. Ils ont affiné le diagnostic, pointé le frelon asiatique, raconté les avancées de la recherche ; ils ont montré l’importance des collectivités, de la politique dans l’action en faveur de la biodiversité, et la nécessité de rendre celle-ci… désirable, nonobstant le constat angoissant.
*(je me suis rendu compte que cette infolettre, programmée pour septembre, n’est en fait jamais partie de mon serveur, pour une raison qui m’échappe)

Les abeilles, sujets de politique

(photos ©Arnaud Joron/ Guerlain)

Dans une salle immense à l’architecture béton très… ONU, où le groupe LVMH venait de signer un partenariat de cinq ans avec l’Unesco (voir en pied d’article), Shamila Nair-Bedouelle, sous-directrice générale pour les sciences exactes et naturelles de cet organisme des Nations-Unies a ouvert les débats en considérant les insectes, « ces guerriers silencieux », comme de grands oubliés, parce que personne « n’est au courant du rôle important qu’ils jouent. » Elle aimerait voir la création d’un observatoire spécifique à l’abeille, à l’échelle du monde, et, surtout, que « la biodiversité entre comme valeur sociale et économique » dans notre tête. Qu’elle ait une importance intrinsèque, qu’elle soit considérée comme un patrimoine, au même titre que nos monuments et nos grands sites.

Querelle sur les chiffres, accord sur le climat

Opposés dans l’ampleur du constat, Henri Clément, apiculteur et porte-parole bien connu de l’Union nationale d’apiculture française (UNAF), et Nicolas Géant, apiculteur et créateur de la société de services – aux apiculteurs – Beeopic, partagent ce rêve, et font un bilan semblable : la situation des abeilles n’est pas fameuse. On le sait. Cela dit, « on n’a pas de chiffres de mortalité précis, car on n’a pas de chiffres précis du nombre de ruches en France, à la fois chez les professionnels et les amateurs », rappelle M. Géant qui estime que le taux de mortalité est dix fois supérieur chez les amateurs ce qui, du coup, par la moyenne, fait accroire en un taux très élevé chez les professionnels. Un taux qui serait de toute façon moindre chez ceux-ci « s’ils étaient formés, c’est un des rares métiers sans formation ! » Appliquant ce qu’il demande, M. Géant a envoyé son fils, qui voulait reprendre le flambeau, dans un tour du monde de deux ans pour apprendre son métier. Selon lui, il n’y a pas de problèmes qu’on n’arrive à surmonter, même si, comme M. Clément, il remarque que « les abeilles ont faim, et mangent mal. Nous, on fait attention à manger sain, de qualité, les abeilles, elles, on les met sur du colza, ou sur de la lavande, point. Comme si on donnait à nos enfants un mois que de la choucroute, puis du jambon-beurre… »

La preuve est fournie par ces endroits où l’agriculture est restée en mosaïques paysagères. « À Ouessant par exemple, le taux de mortalité est toujours de 5 % ! », rappelle Henri Clément. Cela tombe bien, Guerlain soutient le conservatoire de l’abeille noire installé sur l’île bretonne. « Le taux est de 30 % ailleurs. Et en plus, il y a les miels adultérés [coupés avec des sirops de sucre] qui nous concurrencent. » Affaiblis par la chute de leurs colonies, les professionnels le sont par celle des prix des produits importés. À qui en vouloir ? « Aux pesticides, au varroa, à l’agriculture, enfin aux prédateurs comme le frelon asiatique, dans l’ordre ». Et puis, au réchauffement climatique qui commence à se sentir, selon Henri Clément : « on a des hivers très doux, donc, des démarrages de colonies précoces, puis des périodes de mauvais temps au printemps, puis en été des périodes plus longues de vents du Nord qui dessèchent les fleurs, et des périodes de canicules : le résultat est que les abeilles manquent de nectar et de pollen et entrent en hiver fatiguées. »

Le frelon, la menace que l’on ne veut pas voir

Deux points ne sont pas assez pris en compte dans l’accusation. Les néonicotinoïdes et le frelon asiatique. On s’étonne. On interroge. Jean-Marc Bonmatin, chargé de recherches au CNRS, insiste : « Les néonicotinoïdes sont très toxiques pour les invertébrés et les vertébrés, car ils attaquent le cerveau. On n’avait pas du tout prévu qu’ils se retrouvent jusque dans les fleurs ! Mais voilà, on les a rendus solubles dans la sève, ils ne se dégradent pas dans la plante, en plus, ils sont solubles dans l’eau… » Depuis presque trente ans, ils embêtent le monde. On a mis beaucoup de temps à les interdire, en dépit des alertes venues des campagnes dès le début des années 1990. Chercheur à l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI), Éric Darrouzet n’oublie pas de désigner un autre accusé, insuffisamment considéré à sa juste malfaisance selon lui, le frelon asiatique : « En théorie il est moins fort que le frelon européen, qui est plus agressif, mais voilà, il est plus rustique, plus plastique, il se retrouve chez nous dans des conditions qui lui sont plus favorables, sans ses prédateurs et ses parasites habituels…, » alors le frelon asiatique peut investir plus sur la reproduction. C‘est rentable : un nid de frelon européen, c’est 3 000 alvéoles, avec un nid d’asiatique, le comptage monte à 10 000. « Les élus, les décideurs ne prennent pas suffisamment le problème au sérieux. Or, non seulement il s’attaque aux abeilles, ce frelon, en plus il s’en prend à toute la biodiversité ! À tous les insectes qui l’entourent. » Par-dessus le marché, il aime les fruits, en particulier la fraise et la framboise : les rendements baissent ici et là chez les producteurs. Des boucheries se plaignent aussi de la présence de l’insecte dans leurs boutiques, qui fait fuir les clients. « Mais ça ne semble pas intéresser la recherche. On a des projets pour localiser les nids – par radio, puce RFID, drone etc. – et pour les détruire par chaleur, mais on n’a pas de financements… », ce que déplore également M. Bonmatin.

Secrétaire générale de l’IPBES et à ce titre, rapporteure du travail sur l’état de la biodiversité qui a fait les gros titres en mai 2018, Anne Larigauderie partage le réquisitoire. Elle n’oublie pas cependant de rappeler qu’une bonne partie du rapport est consacrée aux choses qui vont mieux, aux solutions trouvées ici et là. « Il y a un risque de n’y lire et de n’entendre que le catastrophisme et uniquement la biodiversité patrimoniale, celle qui nous intéresse. Or, je vous dis qu’il n’est pas trop tard, et on voit que les entreprises en France avec la signature de l’engagement Act for Nature, on voit que des banques ou même l’AFD [Agence française de développement] commencent à s’engager. » Certes, mais tout semble lent, aussi intrique qu’une reine abeille frappée de léthargie. Une reine qui se réveillerait ? Me. Larigauderie a en effet été surprise par l’ampleur inédite des réactions suscitées par le travail de l’IPBES. « Plus de 24 000 articles de presse dans 150 pays, c’est énorme. Mais surtout, on a été ensuite auditionné par les parlements de pays comme l’Écosse, l’Irlande, et même le Congrès américain, c’est du jamais vu, là-bas. »

La libre circulation des biens contre la préservation des territoires ?

La biodiversité devient un acteur social, grâce à son ambassadeur meurtri, l’abeille domestique. Quand on est une entreprise ou une collectivité, il est désormais un peu honteux de s’en fiche complètement, de continuer à abîmer la beauté des choses. C’est un bon début, même pour Henri Clément qui en a vu d’autres : « c’est inespéré ce qu’on voit, ce genre de réunion. Il y a quinze ans, c’était inimaginable, l’abeille a enfin retrouvé ses lettres de modernité ! » Saura-t-on en quinze autres années abolir les insecticides, réorienter l’agriculture vers une polyculture-élevage douce avec les écosystèmes, cultiver sur des parcelles moins longues afin de ne pas décourager les insectes, mettre en place des rotations culturales de qualité, gérer les forêts en tenant compte de leur diversité floristique, soutenir les apiculteurs dans leur formation, étiqueter le miel pour identifier les épouvantables adultérés, donner des sous aux chercheurs ? Me Larigauderie, MMs Bonmatin, Darouzet, Clément, Géant et Thierry Dufresne, président de l’Observatoire français d’apidologie (AFA) et grand promoteur de la formation des apiculteurs, également présent lors de ces troisièmes universités, ont déployé un éventail d’idées pour que les choses aillent mieux.

Par défaut, Jacques Kermagoret peut valider la plupart. Depuis Ouessant, il est loin du continent. Il observe. « Ici, il n’y a jamais eu des pesticides, le parcellaire est très morcelé et rend toute culture avec engin difficile. Sur le continent, la perte en prairies sauvages où les vaches venaient paître, remplacées par des champs de maïs et de blé qui sont des déserts intoxiqués, a fait chuter la flore sauvage. » En plus, sur l’île, les abeilles ne sont pas loin d’un littoral fort peu urbanisé, elles ont donc accès, en plus, à une diversité de fleurs particulières. « Tout ça fait que les abeilles amènent à la ruche des nutriments et des protéines » et une profusion de nectars. Protégée par son éloignement, l’île l’est également par un paquet de règlements et de classements : Parc naturel régional d’Armorique, Site classé, Réserve biologique (pour les îlots), divers sites Natura 2 000 ou propriétés du Conservatoire de l’Espace littoral et des rivages lacustres, Réserve naturelle d’Iroise (pour trois îlots), réserve de chasse et de faune sauvage de Béniguet (un de ces îlots), Parc naturel marin d’Iroise, l’île est enfin classée Réserve de Biosphère de la Mer d’Iroise. Par l’Unesco.

« Ces réserves ont été créées en 1971, à peu près en même temps que les parcs régionaux. Les deux se ressemblent : conserver en maintenant les activités humaines », explique Meriem Bouamrane, responsable du programme Man and Biosphère (l’autre nom des réserves de biosphère) à l’Unesco. Il y en a près de 600 dans le monde, dont seize en France. « On fait en sorte que les populations n’aient pas l’idée qu’on restreint leurs droits. Notre question est simple quand on inspecte un lieu susceptible d’être classé : qu’est-ce que les gens veulent conserver et transmettre ? » On ne peut pas protéger sans impliquer les communautés locales. Les gens, aussi, les gens, d’abord. « On a été très pionnier pour mettre sur un même plan nature et culture ! » L’île d’Ouessant est « sauvage » parce que des hommes et des femmes la travaillent en prenant garde à ne pas la dégrader. Petit-cousin du classement au patrimoine mondial de l’humanité, le logo « réserve de biosphère » est un brevet moral qui attire et oblige. « Protégeons, oui, mais avec les abeilles, j’aimerais qu’on n’oublie pas une chose : cet environnement exceptionnel qu’est l’île d’Ouessant pourrait être menacé si des ruches venues du continent, depuis des zones contaminées par le varroa ou le frelon asiatique, y étaient importées. On est protégé de cela par un arrêté préfectoral, mais ce serait mieux si on interdisait ce genre d’échanges à l’échelle de l’Europe. » La libre circulation des biens et des personnes, fondement de la construction européenne, favorise la prolifération de ce qui affecte les abeilles.

L’exemple du 93

Il faut des fleurs, partout. Des fleurs pleines de nectars qui arrivent au bon moment là où sont les abeilles. De la biodiversité en ville, dans les rues, sur les toits, les parcs. « Il y a trop de ruches domestiques, ça concurrence les abeilles sauvages, alors soit on diminue le nombre de ruches, soit on augmente la quantité de nourriture », philosophe Belaïd Bedreddine, vice-président du Conseil départemental du 93 en charge de l’écologie urbaine. « Moi j’ai pris l’autre option, je veux développer la nature en ville. Par exemple en cassant les cours des collèges, et en ciblant les endroits les plus moches, que personne n’a envie de garder. » Défenseur de la beauté qui rend meilleure la vie des mal lotis, selon lui, convaincu que la biodiversité est un outil en soi pour améliorer la qualité de la vie, M. Bedreddine s’est heurté aux parents d’élèves qui ne voulaient pas voir leurs enfants tout crottés et à quelques enseignants qui avaient peur des accidents par glissade sur feuilles mortes. « On les a convaincus. En plus ce sera un support pédagogique, ça rafraîchira les élèves au printemps et en été, et ça intéresse même l’agence de l’eau : en désimperméabilisant les cours, on ralentit l’écoulement des eaux pluviales vers les égouts. » Raison pour laquelle l’agence de l’eau finance en partie ce programme qui, démarrant bientôt avec un collège de Pantin, concernera à terme une trentaine d’établissements. Des arbres, de la prairie, des noues, une mare, un potager, les collégiens auront autre chose regarder que leurs écrans. « Pour ça, on a fait en sorte que tous les services travaillent ensemble. ESS, transition énergétique, citoyenneté, on a mis les budgets en commun. »

Le département a acheté une parcelle à l’Île-Saint-Denis pour y planter 1,5 ha de fleurs à couper, afin de décorer les mairies du département avec des bouquets labellisés « fleurs locales du 93. » Dans un espace de 3 ha où des emplois d’insertion produiront aussi du compost. « Au parc du Sausset, on a lancé un appel à projet de 3 ha pour faire de l’agriculture urbaine. On recherche un vrai paysan qui fasse sans produits phytosanitaires, en conservation des sols et pour qu’il ait un revenu, on a signé avec la gare de RER pour qu’il puisse y vendre ses produits. » Le fil est tiré jusqu’au bout, la biodiversité passe par le potager qui passe par l’estomac des citoyens. Tout est lié, tout est compris. M. Bedreddine a aussi obtenu que cette gare de Villepinte-Aulnay dispose d’une halte-garderie. Applaudissements spontanés de la salle. Par deux fois.

Rendre visible et désirable la biodiversité

De quoi lui décerner le label APicité ! Chargé de mission et responsable du développement du label délivré par l’UNAF, Gabriel Peña sourit. « Dans le 93, il n’y a que Montfermeil qui a été labellisé », avec deux abeilles en décoration, comme deux grades, c’est-à-dire une qualification de « démarche remarquable ». Avec une abeille, c’est démarche reconnue, avec trois, démarche exemplaire. « On décerne le label lors du salon des maires, après qu’on ait étudié les dossiers sous l’aspect du développement durable, de la gestion des espaces verts, des actions pour la biodiversité et de sensibilisation et, enfin, en faveur de l’apiculture. » Multiplier les ruches ne suffit pas, il faut que chaque commune, qui candidate d’elle-même, intègre cela dans une démarche globale et cohérente. L’Unaf, l’association Noé Conservation, l’Association française d’agroforesterie et Hortis, l’association des responsables des espaces verts municipaux, étudient ensemble les dossiers. « Idéalement, une ville APicité, fait de la plantation mellifère pérenne, elle consacre un budget conséquent aux questions environnementales, elle intègre des critères de biodiversité dans ses appels d’offres etc. » Ce serait bien aussi qu’elle tienne compte un peu plus du frelon asiatique, estime M. Peña qui aimerait que la note finale englobe le problème. « Il y a de tout dans les dossiers. Ce qu’on voit cela dit est qu’ils sont meilleurs qu’au début [en 2016], et qu’en 2018, toutes les communes déjà labellisées ont postulé à nouveau ». APicité serait-il un brevet de bonne conduite valorisant comme l’est la réserve Man and Biosphère ?

Une autre façon de rendre désirable la biodiversité, l’abeille, est de montrer qu’elle nous fait du bien. Grand œuvre de Patrice Percier du Sert, créateur de l’Air des ruches. « J’ai découvert ça en Ukraine lors d’un congrès, en 2013. Des cabanes où on respirait l’air qui venait des ruches. Là-bas, c’est reconnu en traitement de première intention pour les asthmatiques. » En France, pas du tout, ce qui n’empêche pas des malades de venir respirer l’air des ruches dans le centre de M. Percie du Sert, situé à Clermont-Dessous, village du Lot-et-Garonne près d’Agen. L’effet est d’après les témoignages très apaisant, bien s’il repose en partie sur des composés organiques volatils fabriqués par les abeilles, dont on ne connaît pas l’éventuelle toxicité à long terme.

Sandrine Sommer préfère aller parler de la biodiversité dans les écoles. À la tête du développement durable et de la RSE chez Guerlain, elle a monté le programme BeeSchool : « Notre but est de former mille collaborateurs en France et ailleurs dans le monde afin qu’ils soient des ambassadeurs de la biodiversité dans les écoles. » Dûment formé, chaque membre de la maison part faire découvrir aux enfants de 8 à 10 ans le rôle de l’abeille, les enjeux de la biodiversité et du climat, ce qu’on peut faire. « Ça les rend fiers, croyez-moi, et pour les maîtresses, cela leur donne une thématique sur l’année. » Un quizz, des ateliers, des questions, un jeu de cartes sur les pollinisateurs, et un diplôme.

Et cela rend sans doute plus concret une thématique trop souvent réduite à des considérations théoriques, à peine illustrées. Rendre visible ce qui ne l’est pas dans notre imaginaire collectif, c’est aussi le but de Juliette Dorizon. Cette designer formée aux Arts déco de Paris a découvert l’apiculture sur les toits de New York. « Je me suis dit que les ruches n’avaient pas évolué depuis leur création vers 1860. La ruche à cadre, c’est une boîte à chaussure ! Alors j’en ai inventé une autre, » qui ressemble à une pieuvre à la verticale, ou bien aux vaisseaux de la Guerre des Mondes. Très graphiques, attirants, moins tristes que les ruches classiques. Voici des octogones en bois, surmontés d’un toit, posés sur des pieds. « Comme elle est plus haute, ma ruche, les apiculteurs ne se cassent plus le dos. La forme crée une meilleure aération et les abeilles y mettent plus de miel. » Un peu la logique de l’hexagone, forme déjà adoptée par les abeilles pour constituer leurs cellules. « Mon but n’est pas d’équiper les professionnels, ma ruche ne les intéressera pas forcément, non, mon but est d’agrémenter de manière esthétique l’espace où les particuliers ou les entreprises ou les collectivités vont en installer. Ça attire le regard, » et ça modernise l’apiculture, pense Juliette Dorizon qui fabrique tout elle-même.

Connecter

Une autre façon de remettre au goût du jour une activité ancienne est de la connecter. Tout est connecté aujourd’hui. Pourquoi pas les ruches ? Chercheur au Centre de recherches sur la cognition animale de l’université Paul Sabatier de Toulouse, Mathieu Lihoreau a connecté des ruches… et des fleurs pour mieux observer les bourdons. « Je travaille sur la cognition des abeilles, en particulier sur l’influence de l’environnement sur leur comportement. On a mis des balises sur des bourdons qu’on a suivi sur une prairie pour voir ce qu’ils faisaient, comment ils se nourrissaient. Comme les abeilles, ils ont un petit cerveau, assez fragile, alors que butiner nécessite de s’orienter dans des grands espaces, d’apprendre à localiser et discriminer les plantes, de faire des circuits etc. » Sur l’écran, c’est fascinant, le bourdon apprend, s’adapte, corrige ses erreurs. Ou pas. « On voit que les abeilles ont faim. Elles équilibrent leur régime alimentaire quand elles ont le choix. Sinon, elles mangent toujours la même chose. Elles sont coincées. » Avec les élèves du Lycée La Morandière de Granville en Normandie et la Fondation Dassault System, M. Bihoreau a inventé une fausse fleur qui, implantée à proximité d’une ruche, analyse des paramètres de l’environnement et les déplacements des abeilles. « On connaît très mal la façon dont les abeilles sélectionnent les fleurs disponibles dans leur environnement et se déplacent entre elles. Cela est dû à la difficulté de suivre un grand nombre d’individus, parfois plusieurs centaines dans une seule colonie, sur de grandes distances et de longues durées. Cette fleur artificielle, placée au milieu de fleurs naturelles, délivre des quantités contrôlées de nectar et de pollen artificiels, enregistre les visites des abeilles qui butinent sur la fleur, et les identifient individuellement. À terme, ces fleurs pourront communiquer entre elles pour créer des « champs connectés ». Comment les abeilles exploitent leurs ressources ? Elles servent déjà à faire de la science participative avec des adolescents qui n’étaient pas forcément passionnés par les sciences de la vie et de la Terre. Les abeilles, ambassadrices comme Michel Serres du gai savoir !

NB : qu’est-ce que le partenariat LVMH-Unesco ? « Avec ce partenariat, le groupe sera présent à côté de l’Unesco durant les événements internationaux à venir, et nous nous appuierons sur l’Unesco pour améliorer notre politique de développement durable », a rappelé en ouverture Laurent Boillot, le PDG de Guerlain. Concrètement, ce partenariat doit permettre « d’ici 2020 d’améliorer la performance environnementale de 100 % de nos produits, ou encore de réduire nos émissions de CO2 liées aux consommations d’énergie de 25 % d’ici 2020 par rapport à 2013, et, pour chacun de nos sites, d’améliorer d’au moins 10 % les indicateurs clés de l’efficacité environnementale (consommation d’eau, consommation d’énergie, production des déchets), » a ensuite détaillé Sylvie Bénard, emblématique directrice Environnement du groupe.

Bonne année !!!

Après un Noël suédois et un nouvel an ligérien, me voici de retour pour vous présenter tous mes vœux pour cette année nouvelle. Des vœux garantis sans collapsologie ni bons sentiments, avec une certaine teneur en protéines animales et un taux élevé de raison. Je vous souhaite une année pleine des nuances qui font la beauté des choses, une année de connaissance et de connaissances, une année de libre-pensée et de sens commun, une année honnête et vigoureuse ! Une année qui démarrera très vite sur cette lettre par quelques textes en retard, et par mon demi-siècle qui sera atteint bientôt. Oui, je sais, pfff… 

la transition énergétique va-t-elle enfin faire décoller le transport fluvial ?

On le sait, la France, pays du tout-camion, a délaissé son fer et ses fleuves. La part modale du wagon et de la péniche reste désespérément faible, avec respectivement 9,6 % et 1,92 % d’un marché qui a atteint en 2017, 348,1 milliards de tonnes-kilomètres. Des statistiques à prendre à la légère, cela dit, car ce sont des moyennes qui masquent une disparité impressionnante : dans certains ports, la part modale du fluvial monte à 15%. Tout le monde s’en plaint, les professionnels ont beau dire qu’une péniche évite tant de camions, autant de CO2, qu’elle est ponctuelle et sûre, que le réseau peut sans aucun investissement particulier absorber un triplement voire un quadruplement des volumes, rien n’y fait : le fluvial reste le grand malade de la France du transport et de la logistique. 
Le constat ne doit pourtant pas masquer la réalité d’un renouveau en cours. Celle d’un monde qui investit à nouveau, qui se rajeunit et se modernise en vitesse. Alors que les villes vont se fermer de plus en plus aux camions à moteur à combustion interne, en dépit de contraintes réglementaires et financières particulières, les barges fluviales sont en train de verdir leur motorisation. L’horizon semble enfin s’ouvrir, c’est ce qu’a montré le dense et optimiste colloque que VNF a consacré le 29 mai 2019 au « transport fluvial à l’heure de la transition énergétique. »

La transition énergétique va-t-elle enfin faire décoller le transport fluvial ?

(images © Didier Gauducheau/ VNF, sauf Fludis © FD)

Didier Léandri, Président délégué général du Comité des Armateurs Fluviaux (CAF) et figure du monde de la batellerie dit les choses telles qu’elles sont perçues par les professionnels : « La transition énergétique, on ne considère pas que c’est un mal nécessaire, au contraire, pour nous, c’est une exigence que nous devons à nos clients, c’est bien plus puissant que toute législation internationale. » Une affirmation étonnante, dans la mesure où ce qui a conduit le fluvial à cette part de marché minime c’est souvent le prix, réputé toujours trop cher pour le chargeur, par rapport à celui du camion. L’observation fine de la réalité des choses conduit pourtant à penser que le prix n’est pas toujours (beaucoup) plus élevé que le routier : la référence cache en fait souvent une méconnaissance de la logistique fluviale et une façon de justifier de ne pas changer les habitudes du tout-camion  « Nos gros clients – le BTP par exemple, les cimenteries etc. – sont soumis aux règles du marché du carbone », qui les obligent à présenter chaque année moins d’émissions, de façon à pouvoir vendre leurs quotas de carbone non atteints sur le marché. Le transport fluvial leur permet de réduire à bon compte le bilan.

Le carbone n’est pas le problème

Le secteur du transport compte pour près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France, en augmentation de 30 % par rapport à 2012. La quasi-totalité (95 % !) provient des camions et des voitures. La part du transport routier de marchandises est énorme : 43 % des émissions totales du secteur lui sont imputables. Celle du fluvial est toute faible, compte tenu de sa place dans la réalité de la logistique d’aujourd’hui, et de son efficacité énergétique à la tonne transportée (une barge porte beaucoup plus de volume et de masse qu’un camion, à surface égale). « C’est de l’ordre de 9 à 35 g de CO2 par tonne-kilomètre », estime Yann Tréméac, adjoint au chef du Service Transports et Mobilité de l’Ademe, à partir d’une évaluation réalisée dans le cadre d’un nouveau travail de recherche, dont les chiffres se trouvent bien en dessous de ce que l’on pensait. C’est deux à quatre fois moins que le secteur routier. En définitive, barges et péniches comptent pour à peine 1 % des émissions du secteur du transport.

Ce n’est donc pas ce combat-là qu’il faut mener dans le monde des bateliers, mais plutôt celui de la pollution de l’air, en particulier lorsque les bateaux sont à quai. Une barge, cela émet des microparticules, des oxydes de soufre et d’azote. « Peu, de l’ordre de 0,09 à 0,66 de NOx/t-km, et 0,002 à 0,003 g de particules/ t-km », constate Yann Tréméac. Soit moins que les camions pour les NOx, plus pour les particules. Mais bien plus que des voitures alors même que les villes, Paris en particulier, ont décidé de chasser le diesel de leur voirie. C’est tout le paradoxe du fluvial : silencieux et très peu émetteur de dioxyde de carbone, il est bien dans l’air du temps consacré au réchauffement climatique, sauf que l’air des villes réclame une pureté qu’il ne peut promettre encore. Comment faire pour que la barge climatiquement correcte ne se révèle pas pire que les camions qu’elle prétend remplacer aussitôt qu’on regarde la pollution de l’air ?

Le quai, le problème, une solution

Didier Léandri tente de nous rassurer : « On est tous déjà passés au GNR [Gazole non routier], un carburant qui est complètement désoufré [comme le diesel voiture], obligatoire depuis 2011, alors que le secteur maritime est toujours confronté au casse-tête de la désulfuration, et ce n’est pas fini ». Il faudra aller plus loin, cependant pas vers le GTL (du méthane cassé avant d’être liquéfié) que promeuvent les pétroliers, car c’est un mauvais compromis selon M. Léandri, sa fabrication consommant de l’énergie, et s’il ne contient pas de soufre, son bilan en termes d’oxydes d’azote et de particules n’est pas sensationnel. Didier Léandri irait plutôt vers les motorisations hybrides, les biocarburants et, pourquoi pas, un jour, l’électrique avec ou sans hydrogène. En attendant, le courant-quai est une idée qui semble tomber sous le sens. « Il faut se souvenir qu’une barge passe 65 % de son temps commercial à quai. Pendant ce temps, elle fait tourner le moteur, ou bien on fait tourner des groupes électrogènes pour l’alimenter… Il faudrait donc développer les bornes électriques à quai, mais cela coûte cher », en effet, on en est à treize bornes installées sur la Seine aval entre Le Havre et l’Ile-de-France.

« Le nouveau règlement européen EMNR [Émissions des engins Mobiles Non Routiers] aligne les normes d’émissions sur le routier, ce qui nous oblige à rattraper en une seule fois quinze ans d’attente ! », résume Didier Léandri.  Or, la plupart des bateaux sont en équivalent norme Euro 2 à 3 alors que la majorité des camions sont en Euro 5 à 6.2. Le rattrapage ne sera pas simple, alors que le secteur est fragile, qu’il est éclaté en d’innombrables acteurs, et que la moindre modification du bateau pour réduire ses émissions de polluants nécessite de renouveler le titre de navigation, ce qui prend quinze mois. « On n’a pas de potion magique, on ne pourra progresser qu’avec lenteur, et encore, tous ensemble : il faut réfléchir à la modernisation en écosystème, avec tous les acteurs, pas seulement nous. » Les chargeurs, les avitailleurs, les ports etc., tout le monde !

Une autre contrainte découle de la taille même du marché que représente le fluvial en France : avec 1 086 bateaux propriétés de 1 024 entreprises, il n’y a pas d’effet d’échelle pour créer un effet de série qui rentabiliserait une nouvelle technologie. Pas assez de bateaux, trop d’acteurs. Et puis, du point de vue d’un motoriste, le fluvial se trouve entre le gros camion et le petit bateau maritime. Il faudrait des moteurs spéciaux, qui puisent un peu aux deux mondes, mais pour cela, il faudrait un nombre suffisant afin de créer une série. Le serpent se mord la queue. « Mais il y a quand même des choses qui peuvent se faire, » relativise Eloi Flipo, responsable division transport et report modal chez VNF. « On peut mariniser les moteurs de semi-remorques, car finalement, les puissances demandées sont semblables, c’est cher, mais faisable. »

PAMI

Erik Schultz approuve, et complète. Vice-président de BLN-Schuttevaer, opérateur fluvial aux Pays-Bas, M. Schultz élargit la vision à l’Europe : « Les problèmes sont les mêmes partout, vous savez. Le plus gros, pour l’armateur individuel, c’est toujours la recherche de financement. Et puis, il est soumis aux chargeurs qui, quoi qu’on en dise, cherchent toujours le moins cher. » Y compris dans un grand pays de batellerie tel que les Pays-Bas. « Pour l’avenir, je vois trois solutions. Sur le temps court, le biodiesel, et la réutilisation des huiles de restaurant… à moyen terme l’hybride ou l’électrique sur des distances inférieures à 150 km, et à long terme, sans doute l’hydrogène. » Alors que les marins (salés) ne jurent que par le GNL, le gaz liquéfié n’intéresse pas les bateliers pour une question de place dans les bateaux, et d’émissions en Nox qui ne sont quand même pas nulles, alors que les villes les voudront ainsi, demain, pour tous les véhicules. C’est quand même pas loin de 100% d’émissions de particules et d’oxydes de soufre en moins !

Les idées sont là, on voit à peu près vers quoi aller, mais le fluvial reste son propre frein par son éclatement en une multitude de petites sociétés et sa taille qui n’est pas critique pour justifier des investissements en R & D de la part de motoristes, insiste M. Schultz. Un milieu qui, en plus, serait assez peu réactif, à en croire Yann Tréméac : « Par exemple, sur le programme d’investissement d’avenir, on a reçu très peu de dossiers du fluvial, c’est rageant. Car nous, Ademe, mettons à disposition des sources de financement, mais les acteurs n’arrivent pas à monter les dossiers. » Reste à savoir pourquoi. C’est souvent compliqué, pour des sommes qui parfois sont trop faibles par rapport au temps passé. Plus simple, à priori, il existe aussi le PAMI (Plan d’Aide à la Modernisation et à l’Innovation) initié par VNF, qui a depuis 2008 aidé 2 000 projets à hauteur de 25 millions d’euros. Au bilan, d’après Voies navigables de France, une baisse de 8,5 % des émissions polluantes de l’ensemble de la flotte française, et une chute de 6,5 % de sa consommation de carburant. Jusqu’à 2022, VNF déboursera encore quelque 12 millions d’euros avec l’aide de l’Etat, l’Ademe et la région Ile-de-France.

À Lyon, l’hydrogène

Cela dit, comme le souligne Didier Léandri, le changement, c’est déjà maintenant, car il y a une floraison d’initiatives, comme jamais auparavant. Chez Sogestran Group par exemple. Mathieu Blanc est directeur fluvial chez cet armateur d’eau douce et d’eau salée. « On n’est pas un petit frère du maritime, car on est très spécifique. On a trois batailles en vérité : sur plus de 300 km, le sujet, c’est le CO2 ; en ville, ce sont les émissions de particules, et quand on s’arrête à quai, le sujet c’est… d’arrêter d’émettre quoi que ce soit ! », et tout cela, pour un seul bateau. C’est bien résumé. « Le courant-quai, par exemple, c’est une économie énorme. Au port de Lyon-Edouard-Herriot, ça ferait économiser plus de 6 000 tonnes de CO2 pour les 6 bateaux de transport de passagers ! ». Le courant-quai, qui pourrait être amené… par l’hydrogène. Sous forme de piles à combustible. Via sa filiale CFT, Sogestran a un partenariat sur la question avec VNF et la Compagnie nationale du Rhône (CNR). « On aura bientôt une station d’avitaillement au port. Il y a déjà de la demande. Après, on ne sait pas, pour l’avenir, si on chargera directement, ni sous quelle forme (gaz ou liquide), par bouteilles, ou par piles… » Sogestran a potentiellement 150 coques à équiper. La maison teste aussi un carburant à base de colza, et le GTL, dont elle n’est pas fan, elle non plus. « Il faut faire attention à l’analyse du cycle de vie, voir si la solution n’est pas plus émettrice que ce qu’elle remplace. Avec cette constante : les chargeurs, c’est du prix qu’ils achètent » avant toute considération environnementale. On en revient toujours au même.

Producteur d’énergie et concessionnaire des barrages du Rhône, la CNR va donc produire de l’hydrogène. Du vert, du bleu, car en sortie de barrages… et d’éoliennes, par électrolyse. « On a un parc d’éoliennes sur le port de Marseille-Fos », précise Frédéric Storck, Directeur Transition Énergétique et Innovation de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). Que fait-on de l’hydrogène ? « On teste l’injection dans le réseau de GRTGaz, à hauteur de 6 % du mélange. On va aussi tester la méthanation » autrement dit, la réaction entre l’hydrogène fabriqué et le CO2 capté, de façon à fabriquer du méthane, injecté lui aussi dans le réseau. Mais revenons-en à Lyon. « On s’est rendu compte que l’hydrogène pouvait être utilisé sur tout le parcours du Rhône. Alors, ici, à la sortie du port, au barrage de Pierre-Bénite, on produira bientôt de l’hydrogène par électrolyse avec à terme l’installation de sept stations d’avitaillement que la région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé d’implanter. En fait, on a à peine commencé qu’on se rend compte que ce n’est déjà pas assez : la demande est très forte. » À la fois par les industriels, pour leurs propres besoins, et… par les camions. La batellerie profitera de son concurrent qui a la taille suffisante pour lancer le marché. « Cet hydrogène, on va le mettre à disposition de Sogestran, sous forme, pour l’instant, de bouteilles en bord à voie d’eau. » Il propulsera le pousseur que Sogestran, en partenariat avec CNR et VNF, espère mettre à flot en 2021. « Ce sera le premier à hydrogène en Europe. Il remplacera celui utilisé actuellement pour acheminer les barges à conteneurs dans le port de Lyon » explique M. Blanc.

L’électrique, un autre métier

Président du comité technique du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican), Jean-Charles Nahon regarde cela avec un certain recul. « On attendait que les réglementations arrivent, les voilà. Tant qu’on n’imposait rien, on ne faisait rien, maintenant, on se retrouve avec une obligation de transition. Ce que je pense, c’est qu’on ira vers les hybrides, d’abord, car les batteries n’ont pas assez d’autonomie, et leur technologie est chinoise : leurs prix risquent d’augmenter avec la guerre commerciale de Trump. » Plus ou moins électrique, les barges de demain changeront de toute façon le métier : « Il faudra devenir électricien, ce n’est pas du tout la même chose, un bateau électrique ou hybride ! »

Olivier Jamey ne dit pas autre chose. Président de la communauté portuaire de Paris (CPP) il exploite notamment la ligne Porte-d’Aubervilliers – Porte-de-la-Villette, Mobilicade, pour le compte d’Icade une foncière filiale de la Caisse des dépôts et consignations. « Ce sont des navettes 100 % électriques. On transporte mine de rien 1 million de passagers chaque année ! » soit à peu près un cinquième des passagers franciliens. « C’est gratuit, et ça dure depuis 2007, on a une certaine expérience, maintenant. » Notamment celle du pilotage et de la disponibilité des équipages : « On accélère, on freine, on s’insère plus facilement dans la circulation. On a des profils différents de pilotes, c’est presque du col blanc, car pas de vibrations, moins d’accidentologies, moins de temps de préparation, moins de manipulations et les pilotes ont un accès immédiat à leurs performances. » Sans parler qu’il ne faut plus être mécanicien diplômé pour désosser le moteur ! L’électrique, sur de petites distances, ça marche. On n’en est pas encore à porter des conteneurs ou du ciment, mais on voit grâce à Mobilicade la souplesse qu’offre l’électrique. « Avec une contrainte, tout de même : un bateau, c’est 15 à 20 ans, alors que la durée de vie des batteries, c’est 5 à 7 ans. À chaque fois qu’on les remplace, il faut faire ré-agrémenter le bateau, c’est long. » La réglementation ne suit pas l’innovation.

La réglementation en retard d’une innovation

Directeur des Bateaux Parisiens, une filiale de la Sodexo, Arnaud Daniel n’envisage pas l’électrique de la même manière. « Pour nos batobus, c’est plutôt l’hybride. Pour les autres, bateaux de croisière et bateaux restaurants, c’est plus compliqué. » Les bateaux de croisière ont une cuve, où l’on met du vin… qu’il est impensable de remplacer par des batteries. « La solution unique n’existe pas, tout dépend de la typologie du bateau : quand on a un bateau qui fait des rotations d’une heure, on peut faire de l’électrique. Pour un des nôtres, qui tourne durant 18 heures, c’est impossible. » Là, c’est l’hybride-série comme pour les voitures, qui équipe la moitié de sa flotte. La base restera le GNR, avec un bloc électrique. « Quoi qu’il en soit, il nous faudra du courant-quai. On a déjà financé un poste en propre au port de la Bourdonnais, ce qui permet d’arrêter les groupes électrogènes. Il nous faudrait aussi un soutien de l’État, car les réglementations vont moins vite que les innovations. » Il travaille avec le ministère pour faire réécrire certaines, celle sur le point éclair, par exemple. Le point éclair, c’est la température la plus basse à laquelle un combustible émet suffisamment de vapeurs pour former, avec l’air ambiant, un mélange gazeux qui s’enflamme sous l’effet d’une source d’énergie, mais pas suffisamment pour que la combustion s’entretienne d’elle-même. C’est une unité légale de sécurité pour tout combustible. « Dans le règlement sur les carburants utilisés dans les bateaux fluviaux, le point éclair est fixé à 55 degrés. Or, il n’y en a pas pour l’hydrogène ! Donc, on ne peut pas l’utiliser. »

S’inspirer des marins

En retard sur le soufre, le secteur maritime est en avance sur la transition énergétique. À tout le moins, sur la réflexion, décrypte Paul Tourret. Directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), il est un observateur reconnu du transport de marchandises. Ce qu’il y voit éclaire ce qui attend le fluvial. « Il faut regarder l’histoire. Entre les années 1980 et 2000, il y a eu peu d’évolution technologique. Ensuite ça a surtout été la course au gigantisme, qui est en train de s’achever. » Question récurrente, à laquelle on entend toujours la même réponse : oui ça y est le gigantisme des porte-conteneurs, cette fois, c’est terminé. Parce que les ports ne peuvent plus investir pour modifier leurs quais, parce que les grues qu’il faudrait pour des bateaux toujours plus larges sont trop chères, parce qu’il faudrait draguer, parce qu’il devient impossible de vider rapidement l’afflux de conteneurs, parce que les cargaisons coûtent trop cher à assurer, chacun y va de sa raison. « Il semblerait que ça se termine tout de même, je dirai d’ici l’an prochain », ne serait-ce qu’à cause du coût de la transition énergétique. Les compagnies maritimes ont commencé à réinvestir dans les années 2007-2008, avec l’augmentation du prix du baril : « Elles ont adopté le slow-steaming – les commandants ont été incités à ralentir, et ont modifié le profil des coques » pour consommer moins de carburant. Évidemment, une fois que le prix du baril est retombé… « La convention internationale Marpol a imposé une baisse de 97 % des émissions de soufre [pour l’Europe du Nord et l’Amérique du Nord], et le secteur s’est entendu pour diviser par deux les émissions de CO2 d’ici 2050. » Maersk, premier armateur mondial, a même annoncé une neutralité carbone…

Y compris pour les quatre armateurs géants qui font la pluie et le beau temps sur le transport maritime, la réglementation en matière de pollution des mers et de l’air est sans échappatoire. « Les solutions, on les connaît. Des porte-conteneurs géants tournant au GNL ont déjà été commandés. Les ports s’équipent d’avitailleurs spécifiques. Un ferry à hydrogène circule en Suède. Surtout, on est dans l’amélioration : le fuel désulfuré et les épurateurs de fumée, » Solution complexe que ces scrubbers, car ils sont coûteux, prennent de la place, modifient la navigabilité, et ne font que déplacer le problème s’il n’y a pas de filière, dans les ports, pour récupérer ce qu’ont retenu les filtres. « Le courant-quai se développe aussi, à Marseille et Ajaccio par exemple pour les ferries. » Dans la ville corse, l’électricité est générée sur place, à partir d’un groupe électrogène alimenté… par du GNL. « Aujourd’hui, c’est le scrubber qui est majoritaire, avec de 1500 à 3000 navires sur une flotte mondiale de 50 000. Pour les plus gros bateaux, c’est le GNL qui a la cote : on pense que 1 000 bâtiments seront prochainement mis à l’eau avec cette technologie. » Mais quel est l’intérêt économique de tels changements alors que le prix du pétrole est faible ? Alors que les ports ne savent pas toujours quoi faire des résidus de scrubbers et sont peu nombreux à disposer d’un soutage GNL ? Alors que les capacités de production de fioul désulfuré sont… inconnues ? Personne n’est capable de dire comment cheminer vers l’avenir qui, lui, est connu : un transport le plus transparent possible. Voiture, camion, cargo, péniche devront voguer et s’amarrer sans émettre ni son ni particule. 

Vers des coopératives de bateliers ?

Avec quels financements ? La seule question qui vaille quand on est marinier. Une barge neuve, c’est 800 000 euros en moyenne. Qui peut avancer l’argent ? Les banques, l’Europe, VNF, l’État, les chargeurs, les armateurs ? Qui peut prêter à des bateliers seuls, navigant dans un secteur économique fragile, bien qu’en croissance ? « Moi, je n’ai pas eu de problème », nous rassure Jimmy Humbert. Marinier, gérant de la société Trans Fluvial Négoce, il a acheté son premier bateau à 18 ans. Il en a 32. « À l’époque, j’avais acquis un 1 000 tonnes. Là, j’ai obtenu les financements pour acheter un 2 000 tonnes, pour 2 millions d’euros, alors que j’ai de la visibilité sur quelques semaines seulement. » Certes, M. Humbert inspire confiance, à la fois par ses quatorze années de batellerie réussies et sa personnalité imposante. Certes, son bateau consomme autant de carburant que le précédent, pourtant deux fois moins lourd. Mais voilà… « Ma première banque a donné un refus car je travaillais avec un bateau payé, rentable, une péniche de 1948, qui valait encore 350 000 euros, alors que je voulais une nouvelle péniche deux fois plus grosse pour cinq fois plus cher. Même si financièrement j’étais très bien, j’allais être un jour ou l’autre très mal du point de vue comptable car mon bateau était déjà obsolète, » ne serait-ce qu’avec les contraintes environnementales, qui lui auraient demandé des investissements sans fin. « C’est cet argument qui a décidé une autre banque : un crédit, certes, mais grâce auquel j’avais un avenir plus assuré ». Il a amené 20 % du financement, la Banque Populaire du Nord a complété.

« M. Humbert, c’est déjà 14 ans d’expérience, ce qui est assez incroyable, c’est une bonne utilisation de son outil de travail, en plus sur la Seine où il y a plein de secteurs intéressants avec le Grand Paris et les JO. En plus, il avait été recommandé par un batelier important… » explique Frédéric Hauwen, Directeur du Marché Maritime et Fluvial du Crédit Maritime Banque Populaire du Nord. Le bouche-à-oreille est fondamental dans ce milieu de petites entreprises où tout le monde se connaît. Quant à l’opportunité économique du Grand Paris, l’intéressé, M. Humbert, n’en voit toujours rien. Normal, les opportunités commenceront à se présenter fin 2019, avec par exemple les chantiers du Grand Paris Express en bord à voie d’eau qui généreront plus de plus de 8 millions de tonnes de déblais par voie fluviale..Il y a autre chose qui explique l’intérêt du Crédit Maritime / Banque Populaire du Nord. « On est sur de bonnes années dans le fluvial, ça redémarre. Les bilans sont corrects, il y a des bateliers qui signent des contrats fermes, ce qui nous rassure, on sent que ça bouge, il y a un vrai mouvement de bateliers qui changent les moteurs, ou achètent des bateaux neufs. Et l’arrivée de jeunes, qu’on essaie d’aider à s’installer. » Une tendance démographique confirmée par Jimmy Humbert, qui ne sent pas néanmoins le même dynamisme dans sa profession. Son banquier semble décidément plus optimiste que lui : « Pour nous, il faut se rendre compte que le batelier, c’est souvent un couple, ce sont à deux des chefs d’entreprise, des gens courageux qui, mine de rien, quand ils ont tout payé, eh bien il leur reste 3 000 à 4 000 euros : ça rapporte, la batellerie ! » Et ce, en dépit du taux de fret très bas.

Sur la Seine, à en croire F. Hauwen, l’avenir est assuré durant les six à sept ans à venir, avec le Grand Paris et les JO ; il y a en plus le projet de canal Seine-Nord, la logistique urbaine en pleine réflexion, le développement du tourisme fluvial… de quoi rassurer un investisseur. « On veut accompagner la mutation du fluvial : par exemple, on pense qu’on va vers la construction de beaucoup de nouveaux bateaux, qui coûtent très cher. Il faudra avoir les reins solides ! Cela aura sans doute une conséquence : une recapitalisation des entreprises sous la forme de coopératives, d’armements de plusieurs bateliers, peut-être même avec des affréteurs en contrat. Cela va contre le sens de la propriété des bateliers, mais face à des coûts croissants… qu’est-ce qu’il vaudra mieux, demain ? Avoir chacun, à quatre bateliers réunis, 25 % de quatre bateaux ou 100 % d’un bateau très cher tout seul qu’on aura du mal à amortir ? » La réponse est dans la question. Il faudra mutualiser pour pouvoir investir sur des bateaux plus propres et efficaces. « Ne serait-ce que pour avoir une offre de transport souple. Cette réorganisation est compliquée, mais on la soutient. »

Soutenir l’avenir : Fludis

Autre banque, autre façon d’agir, la Banque des Territoires. « On n’est pas tout à fait une banque. On est plutôt co-investisseurs, avec les banques traditionnelles, » explique Gautier Chatelus, Directeur Investissement, Infrastructures et Transports de la Banque des Territoires. Cela veut dire quoi ? « En gros, notre investissement permet un rehaussement de la qualité du crédit, ce qui diminue le risque pour la banque. Ce n’est pas pour autant une garantie, une caution, on est à la fois tiers de confiance, investisseur avisé, actionnaire minoritaire… on a une vision de long terme, ce qui diminue les coûts financiers. » La Banque des territoires croît au fluvial, qu’elle veut voir sortir du tout-gazole. « C’est inadmissible que l’on ait demain de grosses émissions dans le centre de Paris, avec des barges qui n’auraient pas évolué. La profession est à risque, si elle ne commence pas à s’adapter aujourd’hui… Alors on regarde toutes les alternatives dans le secteur du transport, chez les gros-porteurs routiers, les bateaux, le gaz est sans doute la première alternative propre… Et on voit que c’est plus facile pour nous quand on finance plusieurs bateaux. » Or, le milieu fluvial est très émietté. « Il faudra restructurer la filière, et pour cela, il faudra compter sur les chargeurs. Mais de toute façon l’avenir est au fluvial, qui sera de moins en moins cher, car ce sera de plus en plus cher de passer par un autre mode de transport. » Elle aussi voit l’avenir par le prisme du regroupement, de la mutualisation des moyens. La Banque des territoires croît suffisamment au secteur pour avoir décidé de participer à l’augmentation de capital de Fludis, le nouveau projet de Gilles Manuelle.

Dans le petit monde du fluvial, et dans celui, nettement plus grand, de la logistique, Gilles Manuelle est une célébrité atypique. En 2011, il avait surpris en lançant un bateau de livraison urbaine original, car les préparations de commande s’y faisaient en son sein, un préalable à la livraison par des vélos à assistance électrique déposés sur les quais au moyen d’une grue. « Vert Chez vous » eut des clients, mais l’affaire capota. Trop tôt pour le marché, pas assez mûr technologiquement. Dix-huit ans après, Gilles Manuelle a inauguré le 21 septembre un nouveau bateau, Fludis. « On est maintenant sur un100 % électrique, avec un groupe électrogène, et un parc batteries. La grue, les propulseurs, tout est redondant. Surtout, on pourra livrer trois fois plus qu’avec Vert Chez Vous. » Les vélos-cargos (baptisés Cyclofret), conçus par un artisan, assemblés par le groupe Manitou qui est partenaire de Fludis, transportent chacun une charge maximale de 250 kg (soit un volume utile de 1,7m3). Les commandes sont préparées dans le bateau, lequel est climatisé pour faciliter le travail des employés. « Ils sont tous salariés, en CDI », précise Gilles Manuelle qui considère qu’un projet d’ambition écologique se doit d’être aussi social. Dans le secteur de la logistique qui emploie beaucoup d’intérimaires et de contrats précaires, voilà un engagement rare… Chaque jour depuis Gennevilliers, Fludis escale à Javel-Bas (Paris 15e), Champs-Élysées (Paris 8e), Grands-Augustins (Paris 6e) et Henri IV (Paris 4e). Ce « bateau-entrepôt » comme Gilles Manuelle l’appelle n’a pas d’entrepôt propre, car on y décharge directement le contenu d’un semi-remorque, ce qui n’occasionne qu’une seule rupture de charge.

À l’inauguration, il y avait du monde, il y avait les premiers clients de Fludis, Ikea et Lyreco (livraison de papeterie et matériel de bureaux), il y avait VNF (qui a participé au financement), la Région, la Mairie de Paris, la Banque des Territoires, il y a eu des larmes. Baptisé par le navigateur Francis Joyon, le bateau est parti sans doute pour une longue route. Ikea va le tester durant six mois, avec 30 commandes par jour, soit 8 % des livraisons Paris intra-muros jusqu’à un maximum théorique de 25 %. Lyreco s’est aussi donné six mois. Si l’affaire est concluante, c’est-à-dire si au moins la moitié de ses livraisons peuvent passer au fluvial, l’entreprise d’articles de bureau envisage comme le géant suédois de passer commande d’une barge spécifique, dédiée à elle seule.

À Paris, l’horizon s’est enfin stabilisé. La politique claire de la mairie et de la région pour décarboner et décongestionner le transport, alliée à une demande sociale qui va dans le même sens (tout en commandant toujours plus sur l’Internet, le consommateur ne fait pas toujours ce que dit le citoyen) fait que les grandes entreprises regardent avec un œil nouveau le fluvial, et même, commencent à y destiner leurs produits. Et cela, on le doit à la ténacité de convaincus-convaincants tel Gilles Manuelle. « Comme on est indépendant vis-à-vis d’infrastructures de chargement et de déchargement sur quai, et que l’on a des dimensions compatibles avec les canaux, on peut s’adapter à chaque agglomération traversée par une voie navigable. »

Un consortium pour une déchetterie flottante

Autre exemple d’innovation, la déchetterie fluviale de Suez. « La Métropole de Lyon, c’est 1,3 million de personnes, 59 communes et 19 déchetteries, dont deux seulement à Lyon même, toutes saturées, avec en moyenne une heure d’attente pour les encombrants, » détaille Aurélie Pavageau, Directrice d’agence Rhône-Ain-Nord-Isère de SUEZ Recyclage et valorisation France. « Et comme en plus il y a une pénurie de foncier, et de plus en plus de déchets, d’encombrants, de meubles, et de déchets dangereux, on a eu l’idée de créer une déchetterie flottante », qui, à terme, viendra se substituer aux déchetteries existantes. Le groupe Suez n’est pas impécunieux, il a quand même cherché des financements. « Tout seuls, on ne pouvait pas y arriver, et on a trouvé nos partenaires, CFT, pour la barge, et CNR qui nous a mis à disposition le quai de déchargement au port Édouard Herriot. » Cela donne une barge de 100 tonnes, entrecoupée de six caissons. Cela paraît petit par rapport à une déchetterie classique. « En fait, on a innové en proposant une manutention horizontale : les usagers mettent leurs déchets dans un godet, et c’est celui-ci qui va ensuite remplir les caissons. » D’où le coût important du bateau, car le procédé n’existait pas : 2 millions d’euros, dont 1,6 millions de financements essentiellement par VNF et l’Europe. « On a d’abord créé un consortium entre les 4 partenaires – nous, CFT, CNR et VNF, puis on a signé un protocole d’accord en 2014 pendant le salon Pollutec. Et deux ans après, la barge était là. L’expérimentation se prolonge encore d’une année, en attendant que la Métropole sorte un appel d’offres… », que seul Suez pourra emporter, vu qu’il est le seul à avoir expérimenté. La barge en est encore au stade de la validation et de la démonstration, sur un seul quai (Fulchiron). En exploitation commerciale, il y en aura un second.

Inciter, pour obliger à utiliser le fleuve

Les mentalités changent, les financements existent, encore faut-il que les collectivités locales aient compris l’intérêt du fluvial et l’importance de la transition énergétique. C’est le cas, cela n’étonnera personne, à Strasbourg. « On a réaménagé les quais sud, la Manufacture des tabacs et les Bains municipaux et, dans le cadre, de ce chantier, on a installé une base fluviale sur le quai des pêcheurs, en plein cœur de ville, qui a permis d’acheminer les pavés nécessaires aux travaux par voie d’eau. Pour les entreprises concernées, il y avait des clauses d’obligation fluviale », se félicite Jean-Baptiste Gernet, Adjoint au maire de Strasbourg, délégué aux mobilités alternatives, à la logistique urbaine et à la voie fluviale (et oui !). Cette clause est interdite par la directive européenne sur la libre circulation des biens et des personnes : on ne saurait imposer quelque chose qui fausserait la concurrence pour imposer tel ou tel mode de transport. « En fait, elle est optionnelle, car on ne peut pas la rendre obligatoire. Mais avec du dialogue, on arrive à convaincre. » Surtout que de toute façon, quand le facultatif est affiché par une collectivité qui fait savoir lourdement qu’elle ne veut plus de camions en centre-ville, il se fait impératif. D’autant qu’à faciliter le travail des barges rend le fleuve plus présent dans le quotidien des administrés. Ce qui, en retour, les rend supporters de la logistique fluviale (et leur fait redécouvrir qu’il y a bien une rivière à Strasbourg… ), en tout cas, c’est ce qu’espère M. Gernet « On a programmé l’interdiction du diesel en centre-ville pour 2021. Et déjà, on a changé la réglementation sur l’accès au centre-ville, sur le tonnage, et surtout sur les horaires : c’est jusqu’à 10 h 30 pour les véhicules de livraisons polluants, 11 h 30 pour les véhicules propres. » Du coup les livraisons par voie d’eau en centre-ville ne sont plus si optionnelles que cela. Pour une entreprise de logistique, s’y faire, c’est préserver l’avenir de sa présence en ville.

L’hydrogène, plus que jamais

À Belfort, on est assez loin du fluvial. Mais on est au cœur d’un des grands centres européens de recherche et développement sur l’hydrogène. Parce que le maire d’une certaine époque, Jean-Pierre Chevénement, en avait décidé ainsi. « C’était il y a vingt ans, il était alors Ministre de la recherche. Depuis, on a à Belfort l’institut du stockage de l’hydrogène, le FCLab qui travaille sur les piles à combustible et pleins de labos associés dans l’écosystème hydrogène. Plus des entreprises locales, dont Alstom, Mahytec ou H2SYS qui testent des produits », décrit Nathalie Loch, chef de projet à l’agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté. 150 chercheurs publics travaillent sur la molécule, au sein de la plateforme technologique (recherche fondamentale et ingénierie) FCLAB. La région participe au financement de tests  de prototypes en conditions réelles. « Ici, à Belfort, on teste des trains. À Auxerre, ce sont des bus, à Dijon, des bennes à ordures ménagères. Comme on n’a pas de centrales nucléaires, et qu’on s’est donné comme objectif d’être territoire TEPOS (Territoires à énergie positive) en 2050, on est obligés de produire notre énergie nous-mêmes, et on fonce sur l’hydrogène. » La région finance deux projets structurants, ISTHY (création d’une plateforme nationale de stockage d’hydrogène à Dôle et HYBAN (banc de test de piles à combustible de grande puissance, elle a investi sur la méthanation, l’électrolyse… À Belfort, le premier bus de test d’hydrogène devrait être déployé en 2020 et six bus à hydrogène seront opérationnels d’ici 2021. L’objectif de la collectivité est de mettre 20 bus à hydrogène en service d’ici à 2024. Tout cela devrait faire maturer la filière, ce qui bénéficiera au secteur fluvial. « Qui est en plus tiré par le développement du tourisme, au port de Dole par exemple. Et les clients allemands et suisses veulent du silencieux et du pas polluant, et la population, ça la rassure de voir lors de la Fête de l’eau qu’il y a des technologies nouvelles… »

Le fluvial sort enfin de sa léthargie, de son entre-soi, du boulet passéiste attaché à la voie d’eau. Mais il est encore engourdi par ce qu’il est, un monde d’individus, de familles, qui pèse peu économiquement et qui n’a jamais voulu, jusqu’à présent, s’unir pour représenter ses intérêts. Le temps presse car la société n’attend plus : elle ne veut plus tousser, se moucher, cligner des yeux parce que des particules et des molécules néfastes sortent d’échappements anciens. Alors que le camion et la voiture sont condamnés dans les centres-villes, les péniches ont une formidable carte à jouer, qui coûtera cher, qui obligera sans doute à restructurer la profession, et à travailler avec le concurrent camion par lequel les innovations technologiques sont et seront testées. Les financements sont compliqués à obtenir, mais ils existent. La réglementation est en retard de plusieurs années, on peut supposer qu’elle rajeunira.

Préfet, délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, et Préfigurateur de l’interprofession fluviale, François Philizot avoue son optimisme en conclusion de ce colloque, tout en ne masquant pas les retards pris, par inertie et habitude : « L’enjeu du verdissement ne peut se traiter que dans un univers plus large, que dans des horizons plus étendus… or le monde du fluvial c’est un tout petit monde, il lui faut comprendre qu’il fait partie d’une chaîne logistique et économique qui le dépasse largement… on est dans une échelle qui va du transport maritime à la production d’électricité en passant par la capacité à trouver des fournisseurs de moteurs adaptés à un petit marché. S’il veut réussir sa mutation, le fluvial doit donc intégrer une réflexion à ces différentes échelles. Y compris géographiques : il faut aussi réfléchir selon des logiques d’axe afin d’adapter des réponses organisationnelles, industrielles, juridiques etc. à la réalité de chacun. Il y a enfin la nécessité pour le monde du fluvial de s’organiser, pour réunir l’ensemble des acteurs, porter ses messages et réfléchir aux solutions. Une loi, qui avait été mise en sommeil depuis son vote en 2012, va l’aider en mettant en place une ‘interprofession’ dont l’impératif sera de faire de l’innovation sous toutes ses formes, parce qu’elle sera l’expression de l’ensemble de la chaîne de valeur. L’an prochain, pour le prochain colloque, j’espère que son futur président viendra nous expliquer comment nous sommes passés d’une journée d’analyse des opportunités à la mise en œuvre d’un dispositif d’animation qui permettra d’atteindre les objectifs. » Chiche !

Les sols, enfin considérés comme un bien commun stratégique ? Exemples en région Auvergne-Rhône-Alpes

Longtemps les sols ont été un impensé. Personne n’en parlait, on n’y faisait pas attention. Réduit à deux dimensions, le sol était une surface plane qui maintenait droit les plantes, et servait de réservoir sans fond à l’étalement urbain. La société française le considérait comme une sorte de manne divine, elle est en train de retomber sur terre : désormais, le sol inquiète, car on le découvre en quantité limitée, avec des qualités qui se perdent. À la faveur de la loi LAAF (loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt) de 2014 ou de la loi de reconquête de la biodiversité de 2017, il est enfin devenu un objet social. Et même un sujet politique, dont des élus se sont emparés pour asseoir leurs projets d’avenir. On entend maintenant dans des collectivités que la préservation des sols doit être le pilier de toute politique de planification… Les médias considèrent le sol pour ce qu’il est, un écosystème à part entière dont le bon fonctionnement influence la qualité de l’eau, la richesse de la biodiversité ou encore la résistance face aux aléas météorologiques. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)  a, en août 2019, consacré un travail entier à la capacité offerte par les sols de la planète pour nous adapter au changement climatique, si nous les travaillions mieux. Les temps changent. Preuve en est la journée que la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes a consacré aux sols le 25 juin 2019, à la Préfecture de Région. La grande salle était pleine, des gens étaient debout. Ils n’ont pas été déçus.

Le sol, un bien commun stratégique et un objet politique pour les territoires

Exemples en région Auvergne-Rhône-Alpes

(Retour sur le séminaire régional foncier – 25 juin 2019)

Quand un Préfet de région exhorte au « ménagement » du territoire…

« Le foncier est un bien commun, en témoigne le nombre de personnes présentes aujourd’hui à ce séminaire… Le foncier est un bien commun stratégique, car le sol est une ressource convoitée, limitée et sensible. » C’est en ces termes que Pascal Mailhos, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes a ouvert le séminaire régional sur le foncier organisé par les services de l’Etat, qui s’est tenu à Lyon le 25 juin 2019.

Certes, le titre de la journée était « un bien commun stratégique pour l’avenir de notre territoire », tout de même, qu’un représentant de l’État reprenne l’expression « bien commun », aux telles implications juridiques et psychologiques, montre l’importance nouvelle accordée par l’État à la question du sol. Le Préfet s’est adressé ainsi à la grande diversité d’acteurs présents : « il faut abandonner l’idée qu’une politique d’aménagement ambitieuse suppose d’artificialiser des espaces naturels, forestiers ou agricoles. Au contraire, l’esprit de l’aménagement est plutôt d’avoir une utilisation raisonnée, intelligente et fine des espaces. » Autrement dit, passer de l’aménagement des territoires à leur… ménagement. Une révolution dans la doctrine française qui fait des élus des bâtisseurs, des constructeurs, aux dépens des sols agricoles et des milieux naturels. Et qui devra s’appuyer, rappelle le préfet sur la séquence Éviter-Réduire-Compenser, dont on ne retient souvent que le dernier verbe.

Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, on artificialise environ l’équivalent du lac d’Annecy chaque année : c’est énorme (environ 25 km2), mais c’est un peu moins que la moyenne nationale. Diminuer cette surface réclame une action collective (l’État, les collectivités, mais aussi les entreprises, les agriculteurs, etc.), prospective (« Ne pas construire les friches de demain… il faut nous projeter à 10, 15 ou 20 ans… nous poser la question suivante : « que deviendra cette maison ? Cet immeuble ? Cette usine ? Cet entrepôt logistique ? »… le foncier ne peut se penser que dans le long terme ») et coordonnée.

Le Préfet a demandé l’élaboration d’une feuille de route régionale afin de guider et de coordonner l’action des services de l’État. Elle sera une sorte de référentiel. Rendez-vous est donné au 4e trimestre de l’année 2019 pour la mise en œuvre de cette feuille de route qui s’accompagnera également d’objectifs ambitieux sur les thématiques de l’air et de l’eau. 

Développer des lieux hybrides entre ville et campagne 

En attendant, la journée a démarré par une première table ronde de réflexion sur la transition foncière que chacun espère de ses vœux, depuis de longues années, sans la voir arriver,  avec pour objectif d’illustrer les trois messages que l’État porte dans sa communication sur le foncier : mobiliser les espaces déjà urbanisés, conforter la connaissance fine du territoire et des besoins, façonner des projets durables et de qualité.

Le paradoxe est que la société déplore l’artificialisation des terres tout en poussant à urbaniser. Le discours est « préservons le foncier », les actes sont « donnez-nous des permis de construire » pour des pavillons, des ZAC, des rocades ou des extensions de bâtiments agricoles. Selon Pierre Janin, architecte, gérant de l’agence Fabriques Architecture Paysages, il y a quand même une évolution : « je vois des gens qui ne veulent pas forcément habiter dans de nouveaux lotissements, mais de plus en plus dans des extensions de hameaux », tout en réclamant des parcelles plus grandes que ce qui est autorisé. « J’ai quand même l’impression que bâtir une maison est passé de mode. » M. Janin est peut-être de nature optimiste. Connu dans le monde des architectes comme le penseur des relations entre espaces urbains et agricoles, il propose que l’on envisage l’aménagement urbain en conciliation avec les espaces agricoles. Ne serait-ce que pour trouver de la cohérence avec les aspirations des néo-ruraux qui veulent habiter à la campagne tout en ayant un mode de vie très urbain, c’est-à-dire avec la fibre, les services publics et… une agriculture sans bruits ni odeurs. Une gageure !

« La question des circuits courts est une façon de reconnecter tout cela. Le rapport de proximité entre production et consommation est une façon de réunir l’urbain et le rural », dit-il. Dans cet espace diffus, M. Janin repère chaque jour des initiatives qui font du lien. « Les plus intéressantes viennent d’associations de riverains, plus que des politiques, par exemple sur le compostage, les jardins partagés, etc. » Des initiatives et, déjà, des éléments de paysages qui rendent ce lien entre ville et campagne bien visible comme les chemins de randonnée, les haies, les bosquets, les friches laissées libres, ces « lieux hybrides », comme les appelle M. Janin, des espaces tiers qui ressemblent au tiers-paysages de Gilles Clément.

Construire en hauteur… ou en profondeur 

Vice-président du ScoT Tarentaise-Vanoise et Président de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) Auvergne Rhône-Alpes, Gilles Flandin a une vision large du problème, parce qu’il a « le nez dessus ». « Dans la région, on a surtout des conflits d’usage avec les activités touristiques. Sur mon territoire par exemple, il y a une grosse pression foncière, avec les chalets d’alpage près de Megève qui font monter les prix et auxquels sont parfois attachés des milliers de mètres carrés de terrain : les jeunes ont du mal à s’installer, et nous, élus, avons du mal à satisfaire les citoyens qui cherchent des productions maraîchères en circuits courts autour des villes, comme Chambéry. » Maire de la Commune des Chapelles, il est sous l’ombre des plus grandes stations de ski du massif alpin comme Les Arcs et La Plagne. « Mais ce n’est pas elles qui nous causent problèmes, sur le foncier, au contraire. Elles sont plutôt à limiter leur emprise. Aujourd’hui, on reconstruit la station sur la station. En fait, les marges de manœuvre sont sur les parkings. »

C’est une de ses grandes idées, et une immense interrogation de M. Flandin : « On n’est pas obligé de s’étaler, on peut travailler en profondeur (parkings en sous-sol), et en hauteur, tout de même ! » En France, on étale des parkings, à part en ville, on les installe rarement en sous-sol ou en silo. « Pourquoi on ne copie pas les Suisses ou les Autrichiens, qui consomment moins de surfaces que nous, parce qu’ils enterrent des tas de choses ! ? » Lesquels, les Allemands, les Hollandais, aussi, bâtissent les bâtiments logistiques sur deux étages, au moins. En France, la réglementation en matière de sécurité et d’accès pompier contraint de les concevoir sur un seul étage, forcément de grande surface. Et ils s’implantent rarement près des ports fluviaux, des gares de fret ou des villes, mais au milieu de nulle part, en bord d’autoroute, là où le foncier – agricole – est le moins cher.

Quel pouvoir a encore le maire face à ses administrés ? 

Gilles Flandin, avec sa casquette de maire, a d’autres remarques à faire. Il a par exemple le pouvoir en tant qu’élu de proposer l’usage des sols grâce aux documents d’urbanisme et de planification et aux permis de construire. « C’est une question de fond ! Le coup de crayon que met le maire sur un PLU a une sacrée valeur. Il peut faire passer le prix du mètre carré de 50 centimes pour de la terre agricole à 600, 800 euros ! Et comment dire non à un agriculteur qui veut vendre pour sa retraite, alors qu’il aura une pension de 600 euros ! ? » Pour M. Flandin, le doute n’est plus permis : il faut contrôler les prix du foncier, ce qui revient à remettre en cause le droit de propriété tel qu’il est dans le Code civil. Ou faire en sorte que la collectivité récupère une part de la valeur ajoutée de la revente des biens immobiliers, afin d’aider les jeunes et les primo-accédants à s’installer. « Mais voilà, aujourd’hui, nous, élus, on est confronté à une nouveauté : les propriétaires se réunissent en associations pour attaquer les PLU, les Scot, les permis de construire sur le fond. Ce sont de réels contre-pouvoirs », qui œuvrent pour leur seul intérêt. Surtout, que rien ne change. On les voit à l’œuvre à chaque fois qu’un champ d’éoliennes est proposé au débat public. Les attaques se font moins sur le terrain écologique que sur celui de la valeur immobilière des maisons censées être impactées par l’irruption de mâts à l’horizon. On les voit à l’œuvre lorsqu’un permis est déposé pour construire en limite de leurs parcelles. Le syndrome « Nimby » (Not In My BackYard). 

Ceci dit, rien n’avancera sérieusement sans une vraie stratégie. Président de la Safer régionale, M. Flandin déplore qu’il n’y en ait pas dans les documents existants. PLU, Scot manquent selon lui d’ambition. A l’échelle régionale, le Sraddet devrait servir à réguler le marché foncier par des orientations publiques clairement écrites. « Il faut une planification stratégique à grande échelle pour réguler le foncier. Il faut donc faire évoluer la planification actuelle. Il faut un regard national pour dire ce qu’est une forêt, qu’on sache classer, qu’on puisse mettre sous protection de la nation le foncier agricole : il faut une loi foncière agricole, et après, on n’y touche plus ! »

Le délicat équilibre des SCoT 

Applaudi par le public, M. Flandin est approuvé par les deux autres intervenants. Frédéric Bossard, par exemple. Directeur d’Épures, l’agence d’urbanisme de la région stéphanoise, M. Bossard considère que « réguler, c’est difficile chez nous, car on manque de discipline et notre niveau de conscience sociétal est assez bas ; et puis, en définitive, tout repose sur un usager qui est tantôt consommateur et tantôt contribuable. La planification doit donc s’attaquer à une harmonisation de la fiscalité : il n’est pas normal de payer plus cher ses impôts fonciers dans le centre-ville de Saint-Étienne que pour un pavillon en périphérie ! »

En effet : à Saint-Étienne, ville ayant connu un déclin industriel marqué, ce type de décalage a participé à vider le centre-ville des personnes fiscalement solvables. Laissés sans occupant, des logements de centre-ville sont devenus insalubres, nourrissant le mouvement centrifuge. « À cela il faut ajouter une cause structurelle : le bâti de Saint-Étienne a été construit pour 220 000 habitants, alors qu’aujourd’hui on est à 172 000. Le costume est désormais un peu trop large pour elle. » Les gens sont partis, la périphérie s’est artificialisée, et la ville s’est vidée. Le tropisme lyonnais ajoute à cela une volonté des Stéphanois de se rapprocher de la capitale régionale. « L’action publique a pourtant tout mis en place. On a une université qui a encore une capacité de développement, on a un parc de logements capable d’accueillir les étudiants, et on a du train pendulaire bien cadencé. On a aussi une capacité économique avérée avec des industries. » Selon M. Bossard : « Le législateur a trop voulu bien faire. Il a chargé les Scot de s’occuper de tout, or ça ne sert à rien de charger leur barque, car la principale valeur, ou vertu d’un Scot, c’est de mettre autour de la table des acteurs d’horizons différents. Plus on charge le Scot de sujets, plus la discussion devient compliquée. » Ajoutons à cela le Sraddet, qui peut être vu, par son ampleur, comme un document d’une grande complexité, ajoutons aussi les PLUi qui sont censés dire l’usage des sols à la parcelle, et on voit à quel point ce document de planification qu’est le Scot, articulation entre les deux précédents, est parfois délicat à mettre en œuvre. Ne serait-ce qu’en raison du nombre d’élus concernés et donc, de la vie politique qui d’une façon ou d’une autre en délimite la surface couverte. « Dans un monde idéal, il faudrait qu’a minima les Scot soient calés sur des bassins de vie et qu’on institutionnalise les InterScot. ». Dans tous les cas, avec la montée en puissance des PLUi et l’élaboration du SRADDET qui modifient les échelles spatiales de la planification, il y a un questionnement nécessaire à avoir sur les SCoT et les dynamiques d’interSCoT. La récente démarche « planifions nos territoires ensemble » engagé par le ministère de la transition écologique et solidaire, qui vise notamment à moderniser le ScoT, en témoigne. 

Malgré ces imperfections, l’agglomération stéphanoise est parvenue à préserver son foncier agricole. La moitié est classée dans un PAEN (périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains), notamment sur les coteaux, entre la ville de Saint-Etienne et Lyon.

L’exemple de Saint-Chamond ou comment remobiliser les espaces déjà urbanisés 

Situé au nord-est de Saint-Étienne, en direction de Lyon, au bord du Parc Naturel Régional du Pilat, dans le périmètre de l’agglomération, Saint-Chamond a été une grande ville industrielle. Il y eut Creusot-Loire, il y a eu Giat puis Novacieries. En pleine ville. Une friche, immense. « Grâce à Epora, on a pu en faire quelque chose, ce qui nous a permis de reconstruire la ville sur elle-même », se félicite le maire de la ville, Hervé Reynaud, également président de l’EPORA, l’établissement public foncier (EPF) de l’ouest Rhône-Alpes. L’ancien site industriel fait près de 40 ha, et se trouve à 200 m de la place de la Liberté, place centrale de Saint-Chamond. Une vraie friche urbaine, avec 38 000 m2 de bâtiments vides et 1,6 million de mètres cubes de terres polluées : la terreur de tous les conseils municipaux. « Ça a été très compliqué, je ne vous le cache pas, notamment parce que les réglementations sont lourdes. Et les services de l’État nous disent ce qu’on peut faire, ou pas », avec la responsabilité pour le porteur de projet de définir alors le comment faire. Après un démarrage difficile en 2006, les choses ont commencé à changer en 2014 avec l’installation de PME sur les anciennes pistes d’essais des blindés légers fabriqués par GIAT. En décembre 2018 l’ensemble a été enfin inauguré. « On a démoli un peu, un parc urbain de 5,5 ha est apparu, un skate parc de 1 000 m2 a été construit, et dans une des grandes halles on a installé un projet loisir avec brasserie, restaurants, magasins (dont une moyenne surface) et complexe cinématographique de six salles. » La grande cheminée marquée GIAT, symbole du passé ouvrier et industriel de la ville a été conservée. Le tout a coûté 55 millions d’euros.

« Sans l’Epora, on n’y serait pas arrivé. Comme tout EPF, il a la capacité à intervenir sur des sites complexes où il y a de la démolition, de la dépollution, du désamiantage à faire », et à trouver une stratégie foncière pour pouvoir agir. L’établissement a investi 30 millions d’euros, dont 17 d’acquisitions foncières et 7 d’études et travaux. « On y a même mis des logements – 30, dans les anciens bureaux de Siemens – en travaillant avec les bailleurs sociaux ! ». Mille personnes travaillent aujourd’hui sur le site, l’Institut de formation en soins infirmiers y accueille 300 étudiants. Combien d’hectares de terres agricoles auraient été mobilisés en périphérie de la ville si la friche n’avait pas été réhabilitée ? Combien de services rendus par ces hectares de terres aurait-on alors perdus ?

La valeur des services rendus 

Cette question des services rendus par les sols et des valeurs du foncier était le thème de la deuxième séquence de la journée qui a mis en avant le regard des chercheurs. 

Les sols nous rendent des services, on commence à s’en rendre compte, par défaut, quand une pluie trop forte dévale en ville trop vite : c’est que le béton et le pavillon n’absorbent pas l’eau, ne la ralentissent pas comme l’aurait fait une pâture. Donc, les sols ont un rôle dans l’hydrographie. Et puis, quand ils portent des arbres et des haies, ils constituent des habitats pour les animaux, ils amènent de la beauté dans le paysage – d’autres services rendus.

Émeline Hily essaie de mettre en place au sein du bureau d’études ACTeon une analyse de la valeur non marchande des sols au travers d’indicateurs spécifiques. « On ne fait pas d’études d’écosystèmes, mais une approche par milieu. On essaie de déterminer les différents services que rend tel ou tel sol, il s’agit ensuite de voir en quoi ces services-là peuvent être mieux pris en compte dans les décisions publiques. » Le travail reste difficile, car il semblerait que peu d’acteurs soient encore convaincus de l’importance de considérer les sols comme un objet de réflexion. Ce n’est pas le cas de la DREAL, avec laquelle ACTéon travaille sur un programme de recherche portant sur deux territoires : la communauté d’agglomération de Bourg-en-Bresse et la communauté de communes de Vallon-Pont-d’Arc, en Ardèche. « La première, agricole, est affectée par l’urbanisation, les ZAC, les lotissements ; la seconde par l’afflux de touristes en été. » Une approche classique par les coûts de remplacement ou les coûts évités est utilisée, c’est-à-dire une évaluation de ce qu’il faudrait dépenser pour construire un équipement qui assurerait un service naturel perdu, ou ce qu’il faudrait dépenser, au contraire, pour que ce service naturel perdure. « Par exemple, on mesure la capacité de stockage en eau d’un hectare de forêt, ce qui est assez simple, et on la met en regard du coût de mise en place d’une capacité de stockage équivalente si d’aventure l’on voulait transformer la forêt en une résidence pour personnes âgées. C’est une démarche qui parle, même si elle peut trouver rapidement sa limite dans l’esprit des citoyens : certes la forêt rend de nombreux services coûteux, mais l’Ehpad qu’on aimerait construire en son sein rapportera bien plus en emplois et en taxes… »

Dans les deux agglomérations, ACTéon a identifié des services prioritaires, car « on ne peut pas tout faire » : production agricole, régulation de la quantité et de la qualité de l’eau et séquestration du carbone pour le département de l’Ain, production et loisir-tourisme pour l’Ardèche. Une fois la notion et la valeur économique de service fourni bien comprise des élus, le but est d’intégrer cette valeur dans les différents documents d’urbanisme et de planification, afin de bien identifier les impacts directs et indirects, à court et long terme, de la consommation de nouvelles terres agricoles. « Avec deux bémols, quand même : par nature, ces évaluations sous-estiment la valeur réelle des écosystèmes, car on n’en étudie que certains aspects, et puis on ne peut les comparer d’un territoire à l’autre : ce qui est valable pour l’un ne l’est pas pour l’autre. » Et oui : ces indicateurs, ne sont… que des indicateurs, qui indiquent et ne disent pas la vérité. Ils donnent une idée, ils sont avant tout pédagogiques. L’argent est un langage universel qui permet sans doute, en la matière, de faire comprendre des notions de biodiversité encore trop abstraites pour beaucoup.

Le sol, inconnu juridique

Comme les sols, d’ailleurs, a démontré Maylis Desrousseaux, maître de conférences en droit au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), et juriste bien connue des spécialistes des sols. Qui sont-ils, les sols ? « Le sol est le fondateur du droit de propriété et du principe de souveraineté des États. Pourtant, il n’existe pas vraiment en termes juridiques. » En réalité, il n’est même pas défini ! Dans les règlements, normes et codes divers vous trouverez ressource, territoire, milieu… mais aucune définition juridique précise. Le code de l’environnement comprend un livre sur l’eau, un autre sur l’air, pas de livre sur les sols. C’est simple : les sols ne bénéficient pas d’une protection en tant que milieu naturel. Certains des services qu’ils rendent sont protégés, comme la qualité de l’eau, mais pas eux. Sauf, exceptions qui confirment la règle, : les sols de montagne, littoraux et agricoles sont eux protégés. « Mais c’est plutôt parce qu’ils rendent ici une valeur visible, plus que pour leur valeur intrinsèque. »

C’est pire, en vérité. Car tel qu’il est, le droit contribue à la destruction, à l’imperméabilisation. Le droit de l’urbanisme promeut de fait la « libération » du foncier, en permettant aux communes d’ouvrir de nouvelles zones à l’urbanisation dès lors qu’elles ont un PLU, un PLUi ou un Scot. « Et puis, le droit identifie des besoins en logement sans distinction entre résidences principales et résidences secondaires », ce qui aboutit à une consommation de foncier pour quelques semaines par an, laquelle entraîne une augmentation des prix qui oblige, par effet domino, les « locaux » les moins aisés à aller voir ailleurs si le foncier – agricole, toujours – n’est pas moins cher. « En plus, depuis ces 5 dernières années, on constate une nette limitation des recours contentieux en urbanisme à cause des réformes successives : les délais de recours sont plus courts qu’avant, les juges ont plus grand pouvoir pour régulariser des constructions illégales, bref, il y a libération accrue des possibilités d’urbaniser. » Sous prétexte de désengorger les juridictions administratives et limiter les recours abusifs, se justifie le législateur : c’est pourtant à peine 7 % des recours déposés au Conseil d’État, contre 14 % en matière fiscale ou 22 % en ce qui concerne le droit des étrangers. Bref, on n’atteindra pas l’objectif de zéro artificialisation nette fixé à l’échelle nationale par le Plan biodiversité de juillet 2018, sans définir une bonne fois pour toutes le sol.

L’artificialisation, c’est quoi ! ? 

Ni sans le connaître… Or, comme l’avait montré le rapport commun à l’Inra et l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) rendu public en décembre 2017 et auquel Maylis Desrouseaux a participé, personne ne sait vraiment, en France, à quoi servent les sols. En fait, c’est la notion même d’artificialisation que l’on est toujours incapable de caractériser. Le fameux « chaque seconde dans ce pays on perd 26 m2 de terres agricoles », soit un département tous les huit ans, n’est pas juste. Car, peut-on lire avec stupeur dans ce rapport, « selon la méthode (télédétection ou enquête statistique), la surface artificialisée diffère considérablement : 5,6 % selon CORINE Land Cover (CLC, satellite) en 2012 et 9,3 % selon Teruti-Lucas (TL, terrain) en 2014. » Bref, le petit studio consommé en une seconde d’urbanisation n’est plus qu’une chambre de bonne (non mansardée), selon la méthode d’évaluation utilisée.

L’écart du simple au double est encore plus large, en vérité, car en glanant les différentes façons de calculer, et en intégrant les marges d’erreurs, on arrive à une évaluation qui varie du simple… au quintuple. Le rapport nous indique « une forte variabilité interrégionale des mesures ainsi que des écarts entre les estimations de CLC et TL. » En effet : les écarts vont de 2 % pour l’Ile-de-France à plus de 50 % pour les régions les moins artificialisées. Quant aux inévitables marges d’erreur, elles sont gigantesques ! Les seuils de résolution des outils de télédétection font par exemple que les surfaces d’occupations de sols inférieures à 25 hectares ne sont pas retenues par l’outil CLC. En définitive, les données disponibles en France permettent surtout d’alerter sur les tendances, mais « elles ne constituent pas une mesure quantitative précise, d’autant qu’elles doivent être interprétées avec précaution, en prenant en compte, au-delà des bilans globaux, les changements bruts d’occupation des sols, catégorie par catégorie, et leur distribution spatiale, afin de saisir précisément les processus en jeu », prévenaient les auteurs du rapport. Conclusion de ces mêmes auteurs, en attendant de disposer d’outils précis, normés, procédant de mêmes méthodologies permettant d’obtenir partout une image multi-échelles de l’usage des sols, il s’agirait à tout le moins de renouveler les catégories de façon à distinguer de façon plus précise les types d’artificialisation : séparer par exemple les « espaces urbains denses », les « espaces périurbains peu denses » et l’état des sols avant leur artificialisation (par exemple : « origine espace non-cultivé », « origine espace agricole intensif », « origine espace agricole permanent extensif ») etc. ». Ce qui, mine de rien revient à imaginer qu’un parc urbain ou un parking très arboré est peut-être plus « naturel » qu’une plaine céréalière sans bosquets ni ruisseaux.

Définir, mesurer, savoir. On en est encore là en 2019, alors que l’armée sait précisément où se trouve le moindre pick-up roulant dans un désert à 5 000 km de distance, grâce à des moyens satellitaires quasi identiques à ceux des civils. En Normandie, la Safer et l’association Vigisol ont développé sans débourser des fortunes, un outil précis au mètre près, qui s’appuie sur la photo-interprétation avec des validations par le cadastre et des retours terrains. Les possibilités et les outils sont donc là, à condition de se mobiliser et de bien les mobiliser. C’est d’ailleurs l’objet du portail national sur l’artificialisation des sols qui a ouvert au mois de juillet 20197.

Le coefficient de biotope, injustement méconnu

Après ces constats douloureux, Maylis Desrousseaux a quelques idées pour l’avenir. « Les mécanismes juridiques sont nombreux pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette, mais ils ne sont pas mis en œuvre. L’un des plus importants est le coefficient de biotope, mis en place par la loi ALUR. Il permet de fixer dans un PLU une part minimale de surfaces non-imperméabilisées et un ratio entre la surface favorable à la nature et la surface d’une parcelle construite. » Pourtant, ce coefficient n’est pas appliqué, il est même globalement inconnu dans une loi dont la lourdeur d’application déplaît aux services d’urbanisme comme aux agents immobiliers et aux notaires. « Il faudrait aussi renforcer les procédures consultatives comme celles des CDPENAF, et prendre en compte la qualité des sols dans les documents d’urbanisme », comme l’ont fait l’agglomération de Tours dans son Scot, et celle d’Aubagne pour son PLUi. « Et puis, il faut se rendre compte qu’il y a encore trop de projets qui sont en dehors du champ d’application du mécanisme d’études d’impact », comme les parkings de moins de 50 places, ou, plus surprenant, les villages de vacances de moins d’un hectare ! Enfin, dans l’idéal, il s’agirait d’envisager l’avenir quand on autorise un aménagement. Demander qu’il ne soit pas irréversible, en exigeant qu’il soit conçu de façon à ce qu’en cas d’abandon, ou de démolition, la friche puisse retourner à l’état de nature. Ce qui n’est pas tout à fait possible quand la moindre allée est bitumée. « Dans d’autres pays, on a été créatif. La compensation est obligatoire et très développée en Allemagne, il y a aussi dans certaines villes comme à Dresde des obligations de désimperméabilisation alors qu’en Slovaquie et en République tchèque, il y a une compensation financière indexée sur la valeur des terres artificialisées. » La France, pays d’une incroyable inventivité fiscale et réglementaire, n’a curieusement pas exercé son génie sur les sols.

Lyon se connecte à nouveau avec la pluie 

La deuxième et dernière table ronde était consacrée à illustrer une région « Auvergne-Rhône-Alpes déjà en action » sur les questions foncières au travers d’exemples et de démarches mis en œuvre notamment par la métropole de Lyon et l’agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, le conseil régional, l’établissement public foncier local de Savoie, le bureau d’études CETIAC et la Direction Départementale des Territoires du Rhône.

Dans la capitale régionale, « Nous avons signé une convention, un accord-cadre avec l’agence de l’eau pour 113 ha que la Métropole s’engage à désimperméabiliser », explique Hervé Caltran, responsable d’unité à la délégation développement urbain et cadre de vie à la direction de l’eau de la Métropole. Sur ces 113 hectares, 75 sont à la charge unique du Grand Lyon. « La désimperméabilisation, en soi, c’est trop cher. Mais dans le cadre de travaux déjà programmés, ça l’est moins. » 

Concrètement, cela veut dire quoi ? Des noues, des revêtements drainants, des bords végétalisés, le tout est de « faire en sorte que l’eau de pluie soit absorbée là où elle tombe, plutôt que d’aller dans les systèmes d’assainissements et de récupération des eaux de pluie qui ont été conçus il y a cinquante ans, et alors que la ville s’est densifiée et que le changement climatique modifie la variabilité des abats d’eau 8», rappelle Katy Pojer, de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. « Depuis le SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) établi en 2016, qui court jusqu’en 2021, on a une politique de compensation de l’imperméabilisation. On applique en fait la doctrine ERC c’est-à-dire qu’on prône de limiter l’imperméabilisation nouvelle, par exemple en utilisant les friches existantes [ça, c’est le E d’éviter], ensuite on réduit l’impact hydraulique des aménagements [le R de réduire les impacts], enfin, on a été ambitieux car, à hauteur de l’existant, chaque surface imperméabilisée doit être compensée à 150 % [le C pour compenser] », explique Mme Pojer. Ambitieuse, la doctrine de l’Agence se réalise dans les rues de Lyon, par exemple autour du quartier de la Part-Dieu, en travaux depuis des mois. 48 opérations sont en cours. « Sur les rues Desaix et des Cuirassiers, par exemple, on va récupérer les eaux des trottoirs dans des tranchées d’infiltration et avec des mécanismes pour les envoyer sur les arbres » précise M. Caltran, de la métropole de Lyon. Rue Garibaldi, lors de sa requalification pour y faire passer le tramway, on a végétalisé et créé des puits d’infiltration, sous la chaussée. La ville se reconstruit tous les 20 ou 30 ans, la Métropole profitera désormais de ce cycle pour se rendre perméable. À petite dose.

En prévision, aussi de l’inéluctable accélération du changement climatique qui, lentement, mais sûrement, amènera Lyon à la latitude de Marseille d’ici 2050 : « Pavés infiltrants, chaussée réservoir, enrobée drainant, formes végétales avec les noues, les jardins de pluie, tout ce qui peut réduire l’effet ICU (îlot de chaleur urbain) », selon Mme Pojer. Laquelle reconnaît que Lyon n’a pas été précurseur : Douai dans le Nord et Roanne dans la Loire ont engagé des politiques semblables il y a une dizaine d’années déjà.

Combien ça coûte ? « On a des financements à hauteur de 50 % par l’agence de l’eau, avec un plafond de 30 € par m2, le reste c’est nous, et le maître d’ouvrage », répond M. Caltran du Grand Lyon. La « ville perméable », telle qu’elle se précise, va cela dit plus profond que la simple voirie, car elle a vocation à servir de pont entre les services administratifs de la Métropole afin que ceux-ci pensent ensemble, et pas chacun de son côté, la ville de demain. Encore faudra-t-il former les personnels à cette nouvelle façon de considérer l’eau, et le foncier avec lequel elle est en contact, prévient Katy Pojer : « Il y a des choses à changer, même dans les bureaux d’études, même pour un jeune ingénieur qui reste formé pour faire des tuyaux. C’est aux maires d’imposer le changement.Pour les aider, on a organisé des journées techniques pour expliquer quelles bonnes méthodes appliquer en montrant des gens ultra-convaincus, et il y en a de plus en plus. »

Passer de la culture du tuyau à l’aménagement poreux de la surface, prendre en compte l’eau et les sols dès l’amont des projets de rénovation ou d’aménagement : le projet de l’agence de désimperméabiliser 400 ha dans le Grand Lyon sur la durée du SDAGE (2021) semble bien parti.

Où sont les friches ? 

La gestion des friches l’est un peu moins. Le tabou est levé, certes – longtemps il était interdit de même imaginer que l’on puisse réutiliser une friche industrielle ou commerciale, les contraintes restent fortes. Ne serait-ce que le constat suivant, valable en général : il est moins onéreux de bâtir du neuf que de réhabiliter de l’ancien très pollué. Mais on peut penser que la multiplication des chantiers ferait baisser les prix. Encore faut-il connaître les opportunités. Voilà pourquoi l’EPFL (Etablissement Public Foncier Local) de la Savoie a décidé de mettre en place un observatoire des friches. « Notre but est double : alerter de l’existence de ces friches, et faire prendre conscience qu’elles constituent des opportunités. C’est un sujet prégnant, et important », résume Franck Gaudin Responsable du pôle développement à l’EPFL de Savoie. Comme pour l’usage des sols, la connaissance est, disons, faible : « On a des bases de données qui nous indiquent les sites pollués, et des bases cadastrales qui pointent les sites vacants. Mais un site vacant n’est pas forcément une friche, il n’est même pas forcément pollué… du coup on n’a, en fait, pas de base de références, et on n’a pas non plus de définition très ferme, très arrêtée sur le sujet. » Décidément…

Alors, pour se constituer une base solide, l’EPFL a choisi de s’adresser aux élus, aux techniciens qui connaissent leurs territoires. En croisant avec les données existantes (base des sites industriels et activités de service (BASIAS), les PLU, les classements ICPE, etc.), l’établissement est parvenu à une côte mal taillée : 110 ha de friches, à mettre au regard des 400 ha de foncier qui chaque année sont imperméabilisés en Savoie. « Le problème reste de toute façon celui des priorités dans le développement, car les élus veulent de l’emploi, de la population, et ils n’ont pas d’argent. Ils préfèrent donc souvent aménager les terres agricoles : j’ai un exemple d’une commune qui possède une papeterie, or, ne serait-ce que la démolir, coûterait 1,3 million d’euros… juste pour une surface de friche de 1 ha ! » Très cher, beaucoup plus que l’hectare de terres agricoles, même en montagne, même avec une grosse pression foncière. « Évidemment, si on ne faisait pas de dépollution, on ferait baisser les coûts, c’est certain… » mais c’est impossible.

M. Gaudin de l’EPFL73 attire notre attention sur le fait que les friches ne sont pas qu’industrielles. Elles sont aussi commerciales, quand une ZAC, un hypermarché fait faillite. Et touristiques : « Pensez aux centres de vacances des années 1970, à ces bâtiments que les comités d’entreprise ont créés dans les zones de moyenne montagne : des bâtiments qui aujourd’hui se retrouvent non utilisés, et ne répondent plus à un besoin immédiat. Qu’en fait-on ? Les détruire ou imaginer un besoin alternatif ? »

Le Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes aide l’EPFL dans son œuvre. « En fait… c’est une démarche commencée par la Région, qui partait du constat que nos partenaires de terrain, les EPFL, estimaient que ça n’allait pas assez vite, pas assez loin, et que ça coûtait trop cher d’identifier les friches. Alors on a décidé de créer la démarche IDfriches9».

Lancé en janvier 2015, le réseau d’ID friches regroupe plus de 500 acteurs économiques, académiques et publics sur le territoire au travers notamment : 

– d’un pôle de compétitivité « AXELERA » qui rassemble les acteurs de l’industrie, de la recherche et de la formation en chimie et environnement ;

– d’un cluster régional « INDURA » qui réunit entreprises et industries de TP, ingénieurs et établissements de recherche et de formation autour de l’innovation dans les infrastructures et

– d’un pôle de compétences et de ressources dédié au foncier, le Centre d’Echanges et de Ressources Foncières « CERF » qui regroupe les acteurs de la gestion foncière, de l’aménagement et de la construction.

La démarche vise à apporter un appui aux gestionnaires de friches, sur le volet technologique, organisationnel et financier, pour mener à bien leurs projets de requalification. En vérité, tout le monde aimerait faire comme à Saint-Chamond. « IDFriche a vocation à capitaliser les bonnes pratiques, à identifier les bons acteurs, à analyser les retours d’expériences… on visite des sites, on monte des groupes de travail, bref, on informe pour dire « n’ayez pas peur de vos friches ! » » Le programme gère également des financements, qui s’élèvent à 24 millions sur six ans, auquel s’ajoute 16 millions issus des fonds européens Feder. Il a déjà permis d’identifier 140 sites, représentant 170 ha à requalifier. 13 opérations ont déjà été financées pour leur caractère innovant. 

Compensation, double peine ou opportunité ? 

Autre sujet d’actualité, et de polémique, la compensation agricole collective10. Le bureau d’études Cetiac (Compensation et Études d’Impact Agricole Conseil) a observé ce qui se fait sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. Mise en place par la loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt (LAAF) de 2014, la compensation agricole collective, débutante, est mal connue. « Cela peut vraiment enrayer l’érosion des sols agricoles, car ce dispositif augmente le coût des aménagements, et demande de l’anticipation, en amont des projets. » La compensation agricole collective, explique, Julie Seegers, n’est pas un « stupide » jeu de chaise musicale : on ne donne pas 1 ha de terre à un agriculteur parce qu’on a détruit 1 ha de terres à un autre. « C’est assez libre : on compense en fait la perte de valeur économique pour la ferme France, par l’amélioration de l’irrigation ici, l’aide à un abattoir là, ou encore le financement d’un magasin de producteurs. » Cela demande une étude préalable, un diagnostic qui permet au moins de mettre en relation des gens qui ne se connaissent pas sur le territoire concerné par l’aménagement projeté. « Il faut faire attention à ce qu’il y ait une cohérence, pour ne pas avoir par exemple de légumeries partout ! Le périmètre d’étude doit prendre en compte la filière, et tenter d’identifier un secteur sur lequel l’agriculture fonctionne de la même façon. »

Qu’est-ce qui pourrait améliorer les choses là-dessus ? Elle ne sait pas encore. Si ce n’est que cette loi laisse beaucoup de liberté, même si elle est compliquée. Ne pas imposer un type de compensation, se laisser la liberté de piloter l’investissement. La compensation agricole collective semble vertueuse, elle est pourtant difficile à mettre en œuvre car les méthodes de calcul ne sont pas harmonisées, et sur l’existant, il n’y a pas encore assez de recul quant à l’efficacité économique. Et puis, il y a des effets pervers. Mme Seegers en a identifié deux. 

– « D’abord, il y a le risque d’une double compensation supportée par le monde agricole : la compensation écologique, et la compensation agricole. Il faut vraiment que lors d’une étude d’impact, on fasse en sorte qu’il n’y ait pas de double compensation possible. Il faut travailler sur comment on rapproche les deux sans les additionner. » Le département du Gard a par exemple intégré la compensation dans son programme de reconquête de friches (il en est fort riche). À Compiègne, afin d’en finir avec une relation très conflictuelle avec les agriculteurs la mairie a décidé, à l’occasion de l’élaboration de son PLUi, d’acheter une grosse exploitation pour la proposer en compensation pour des agriculteurs qui perdaient du foncier, en plus d’une stratégie globale pour développer le local et le maraîchage bio.

– L’autre effet pervers est financier : « Les fonds de compensation agricole collective sont importants. Ils pourraient se substituer aux interventions publiques, aux subventions comme celles de la Pac11, pour orienter l’agriculture. Cet argent, venu des acteurs privés n’est en effet pas soumis aux mêmes règles que les aides de l’État, du coup il y a peut-être des expérimentations à faire, des capacités d’actions à creuser… »

Un partenariat à étendre aux départements voisins

Tout cela interroge Guillaume Furri, Directeur adjoint de la DDT du Rhône. En 2012, le département a adopté une charte multipartenariale intitulée « Agriculture, Urbanisme et Territoires. » Elle met autour de la table une douzaine de structures concernées par le foncier agricole, comme la Métropole, la Région, le PNR du Pilat, une agence d’urbanisme ou encore la chambre d’agriculture régionale. « Le but est de réfléchir à comment faire avec la forte pression foncière exercée par la Métropole. » Un plan d’action annuel, validé par la CDPENAF, avec un important volet d’ingénierie : « Ça nous permet de décliner de façon concrète des actions au travers de sous-groupes thématiques qui réunissent des techniciens des différents partenaires, et cela aboutit à l’élaboration de fiches d’action sur lesquelles on se met d’accord, ou pas. » Et puis de conduire des études sur les enjeux spécifiques comme les mutations agricoles, l’évolution de l’artificialisation, les friches agricoles, in fine la mise en place d’une base de données territoriale. « On a réuni tout cela dans un site, http://agriculture-urbanisme-territoiresdurhone.fr, très complet », c’est le moins qu’on puisse dire : pour le professionnel comme le journaliste, c’est une incroyable mine d’informations. « Grâce à ce groupe de travail, on a pu voir des tendances. Par exemple que la consommation foncière était en courbe ascendante jusqu’à 2010 mais que depuis, la baisse est nette (35 % de diminution de la consommation des espaces agricoles, natures et forestiers entre 2010 et 2015), et on se dit qu’on devrait parvenir à une diminution de moitié en 2020, par rapport à 2005. » Cependant, la Métropole irradiant bien au-delà des frontières du département du Rhône, il ne serait pas inutile que les départements voisins de l’Ain et de l’Isère s’engagent sur de semblables partenariats.

Des premières pistes vers le zéro artificialisation nette

Pour montrer que l’on n’en resterait pas au fameux « c’est bien joli tout ça, mais… et alors ? ! » qui pousse dans les esprits des participants à un colloque après la clôture des prises de parole, ces derniers étaient invités à se répartir en ateliers durant l’après-midi. Cinq thèmes, chacun introduit par la présentation d’un contexte et l’illustration de réalisations pratiques. Cinq occasions de se faire entendre, cinq sources possibles de propositions pratiques.

Atelier n°1 : Urbanisme et projet agricole (animation par la DRAAF et la DREAL)

Voyons tout d’abord le thème consacré à l’urbanisme et les projets agricoles. L’idée force exprimée dans cet atelier : le foncier agricole peut être protégé de l’artificialisation si la collectivité a un projet pour ce foncier. Pour le Grand Clermont-Ferrand, ce projet s’appelle le Projet Alimentaire Territorial (PAT). Élaboré en lien avec le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez, ce projet de protection du foncier agricole dispose d’un volet opérationnel qui vient nourrir le Scot, dans l’espoir que d’ici 2050, la moitié des produits de maraîchages consommés par l’agglomération vienne d’elle-même, contre 11 % aujourd’hui. Avec le moins d’impact possible sur l’eau et la biodiversité (aide aux agricultures de conservation et biologique, à l’agroforesterie), sur l’air (diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture locale), et bien entendu sur les sols (division par deux du rythme de l’artificialisation). Pour cela, le PAT promeut notamment le développement des prairies naturelles et des légumineuses ; ce qui a contribué à alimenter un des principaux points d’achoppement de l’atelier qui a porté sur l’articulation entre les documents d’urbanisme et les pratiques agricoles. En effet, certains participants ont estimé que la planification ne devait pas empiéter « sur la liberté des agriculteurs : en aucun cas il ne faut opposer les pratiques : les documents d’urbanisme ne sauraient donc qualifier les bonnes pratiques. » Mais à partir du moment où Scot et PLU intégreront des indicateurs précis de la qualité des sols, ils seront bien obligés de choisir. « Les outils de préservation du foncier agricole sont également trop complexes ! » a été un autre cri du cœur de cet atelier. L’unanimité s’est faite sur ce sujet : les outils existants sont nombreux, mais ils sont complexes et difficiles à articuler. Il y a donc la nécessité de mieux les faire connaître et les mobiliser.

Atelier n°2 : Valeur non marchande des espaces (animation par le Bureau d’Etudes Acteon)

Un autre atelier était consacré à la valeur non marchande des espaces, notion largement abordée durant la matinée. Pour les participants, parmi la multitude de valeurs possibles que l’on peut conférer aux sols, les deux essentielles sont l’identité paysagère et le cadre de vie. Une approche simple, concrète, et très logique, car elle restitue le rapport quotidien que nous avons tous avec les espaces communs qui ne sont pas les champs ni les espaces naturels référencés. C’est d’ailleurs souvent à cela que se réfèrent les gens qui ne connaissent pas bien la notion de biodiversité : la nature est ce que l’on en voit, l’univers visuel et sonore dans lequel on vit et travaille. Le sol est un territoire vécu. Néanmoins, « il faut des indicateurs lisibles, par exemple les coûts évités », des indicateurs non émotionnels, moins subjectifs, qui viennent borner le regard. Pour les participants à cet atelier, les indicateurs à développer doivent être bien vulgarisés pour être acceptés, et surtout, doivent permettre d’aider les décideurs à se projeter sur l’avenir, à faire de la prospective, en particulier en matière de changement climatique.

Atelier n°3 : les outils de la densification pavillonnaire (animation par la DDT 01)

L’atelier sur les outils de la densification pavillonnaire était riche d’expériences présentées dans le   département de l’Ain et en Île-de-France. Maillé d’habitats pavillonnaires, le 01 est très étalé aux abords des grandes agglomérations. Les parcelles font 1000, 1 500, 2 000 m². Est-ce un problème ? « Non, c’est au contraire un gisement ! » pour la densification. À partir de cartographies qui recensent le potentiel densifiable, la démonstration a été faite que l’on peut au moyen d’ateliers, montrer les enjeux de l’étalement urbain aux élus, aux propriétaires et aux aménageurs, recueillir leur aspiration et surtout, confronter leurs visions sur un projet de territoire. C’est le pari gagné de l’appel à projets « densification douce maîtrisée » lancé en commun le CAUE et la DDT du département de l’Ain en 2015. Trois communes – Bourg-en-Bresse, Prévessin-Moëns et Thil avaient répondu. Le but était de faire comprendre pourquoi et comment densifier, d’estimer quelle densité était socialement acceptable. Pour chaque projet d’aménagement, les discussions avec chacun ont permis de comparer ce que donnerait graphiquement chaque vision : celle des élus, celle des habitants, celle de l’équipe chargée du projet. 

En Ile-de-France, partant du constat que le gisement est réparti au sein des multiples propriétaires privés, le bureau d’études IUDO aimerait en « faire des petits promoteurs, des acteurs de la ville. » De quelle façon ? Les propriétaires d’Arcueil qui souhaitaient agrandir leur maison se sont vus proposer une solution originale : vous agrandissez et, en jouant sur les hauteurs, la surface de parcelle et les différentes règles d’urbanisme, nous ajoutons quelques appartements indépendants. Vous gagnez ainsi de l’argent qui finance tout ou partie de l’investissement, et la collectivité gagne de la densité de population. Sans rien changer à l’intimité de la maison, et à parcelle égale, une manière de créer du petit collectif socialement acceptable. À ce jour, les projets élaborés à partir des études conduites avec les propriétaires ont porté sur 1 200 m² de surface habitable. 450 m² réhabilités, et 750 m² créés, 19 nouveaux habitants et 21 nouveaux bureaux avec un bâti conservé à 88 % et des jardins gardés à 90 %. La démarche a fait l’objet d’une exposition au Pavillon de l’Arsenal, à Paris. Avec celle de l’Ain, elle montre qu’on peut changer la perception de la densité et progresser sur le sujet en mettant l’habitant au même niveau que l’aménageur et l’élu. Sans lui, rien n’est vraiment possible.

Atelier n°4 : fonciers dégradés et usages alternatifs (animation par le Centre d’Echanges et de Ressources Foncières)

L’atelier n° 4 avait pour thème les usages alternatifs du foncier dégradé. « La définition n’est pas claire », ont estimé les participants, confirmant ce qui avait été dit le matin. Cela dit, à les entendre, on peut toujours faire quelque chose de ces fonciers, preuve en est les quatre réalisations qui ont été présentées. À partir des limons issus des chantiers et de composts d’origine locale, la SPL Lyon-Confluence (l’aménageur choisi par la Métropole de Lyon pour s’occuper de la réhabilitation de l’immense quartier de Confluence) teste la reconstitution de sols vivants dans le but de préfigurer le grand espace de nature dénommé « le Champ » qui s’intégrera prochainement dans le quartier. Le Conservatoire des Espaces Naturels (CEN) Rhône-Alpes a eu la même idée, selon une approche différente, en travaillant depuis les années 1990 avec l’armée française. Les terrains militaires ne sont certes pas des friches, car ils sont toujours utilisés, mais leur étendue et, en définitive, leur faible usage, en font des espaces naturels extrêmement riches. Le partenariat entre le CEN et le ministère de la Défense sur ces friches… vivantes a permis d’expérimenter des solutions de gestion et de réhabilitation sans que cela ne dérange les militaires. L’expertise ainsi acquise a permis au CEN de coordonner aujourd’hui le programme européen Life Défense Nature 2mil. Autre expérimentation, celle de Total qui a transformé un de ses terrains contaminés en ferme solaire : sur le site de la Mède, l’entreprise pétrolière a réutilisé 12 ha de terrains pour poser des panneaux solaires permettant l’alimentation électrique de l’équivalent de 3000 foyers. Enfin, l’EPFL du Dauphiné conduit, avec le bureau d’études ENVISOL et la ville du Pont-de-Claix, le projet Crisalid (Centre de Recherches Isérois en Aménagement Liminaire Durable), ou comment mettre des friches en cours de reconversion à disposition des entreprises, start-up et laboratoires spécialisés dans le traitement des sols pollués. Sur la friche Becker, ces structures s’essaient, expérimentent, tandis que la friche avance.

Atelier n°5 : Observation du foncier (animation par la DRAAF et la DREAL)

Dernier atelier, « l’observation du foncier » avec les témoignages de la DDT74 qui a présenté l’outil d’analyse de l’occupation du sol sur son département, de la Safer avec son observatoire de la consommation foncière, et de la DGALN (Direction Générale de l’Aménagement du Logement et de la Nature) qui a présenté les actions du plan national biodiversité relatives à la mesure de la consommation d’espace. 

En France, on l’a lu plus haut, on en est encore à s’interroger sur la meilleure façon de connaître ce que l’on fait des sols, on discute toujours autant sur les diagnostics. Depuis des années, on ne trouve pas de solutions toutes faites pour quantifier et qualifier l’ampleur de l’artificialisation. On ne sait pas vraiment. Les données sont pourtant là, nombreuses et aux origines diverses ; mais elles sont aussi segmentées et orientées pour répondre à des besoins spécifiques. La donnée n’est donc pas la connaissance. Les participants à cet atelier ont partagé ce constat qui est à l’origine de la mise en place d’un portail national d’observation du foncier12 ; et ils ont tous relevé l’impérieux besoin de rapprocher les acteurs entre eux pour partager les données, les méthodes et même… le vocabulaire. « On ne parle pas tous la même langue, car on n’a pas la même vision du territoire ! » C’est vrai, j’ai pu le vérifier à maintes reprises : autour d’une table, un même mot n’est pas perçu de la même façon par des acteurs différents. « Il faut des observatoires locaux, épaulés par les DDT et les Safer, pour alimenter les Scot et les PLU, pilotés, animés et coordonnés par les collectivités. » Les démarches de partage et de mise en commun restent aujourd’hui encore trop éparses et des progrès sont à faire pour développer une vision plus transverse. La mise en œuvre d’une observation partagée, doit être guidée par la volonté de rassembler et de confronter des sources de données hétérogènes. Les participants ont ainsi souligné la nécessité d’une coordination à l’échelon régional, pour articuler les actions locales et nationales et impulser des démarches concertées. 

Une journée sur les sols qui démarre par son « classement »  parmi les biens communs de la Nation est déjà une journée réussie. Quand en plus elle se déroule en présentant les choses telles qu’elles sont, l’impression est confirmée. Les sols n’ont pas de valeur juridique, la loi permet – encore – de les considérer comme un vulgaire support à aménagement, on connaît encore mal leur nature et leur usage, l’urbanisation continue de se penser comme durant les années 1980, les propriétaires deviennent une force collective qui s’oppose trop souvent aux élus qui veulent limiter l’étalement urbain. Mais certains tabous autour des friches ont été levés – les projets sur ces espaces se multiplient, des villes comme Lyon refont des voiries en pensant qu’un sol doit avant tout absorber l’eau, des maires évoquent l’hypothèse de contrôler les prix du foncier – un autre tabou. Cette journée a montré autant les blocages que les avancées. On a bien senti que l’on était entre deux mondes, encore celui du tout-béton-pavillon-macadam, et celui de la mesure, de l’évitement et de la réduction des dommages. Le sol est en train de devenir un objet politique majeur. C’est par lui que l’on fera demain l’aménagement du territoire. Le préserver en quantité comme en qualité implique de réfléchir avant de construire. Lors de cette journée, le sol s’est affirmé comme la majuscule du mot politique. C’est déjà ça.

Pour vous donner envie de lire La Cause végane, un nouvel intégrisme ? qui sort le 3 octobre.

Le voici. Après mes tribunes dans Libération, puis celle publiée par Le Monde, j’ai enquêté sur les origines, la signification et les implications de ce vaste mouvement qu’est le végano-animalo-antispécisme. Le résultat paraît ce jeudi 3 octobre chez Buchet-Chastel !
Ami(e)s véganes ou simplement végétarien(e)s, n’ayez crainte, ce livre n’est pas un portrait à charge. Il questionne le culte, pas les fidèles. Le véganisme (j’ai tout mis dans ce mot-valise) mérite d’être disséqué dans la mesure où il prétend changer le futur. Alors j’ai rencontré beaucoup de gens et j’ai beaucoup lu. Voici le résultat… perturbant, d’après celles et ceux qui l’ont déjà lu. Ami(e)s véganes, vous mangez aussi pour nourrir une philosophie qui, paradoxalement, veut séparer strictement l’homme du reste du vivant sans lui proposer le modèle d’une société alternative. Sous l’œil attentif de puissants opportunistes. Un livre qui paraît avec le bonheur d’une préface de Laurent Chevallier et d’une postface de Marc-André Sélosse.
Ci-dessous la couverture, le communiqué de presse, le chapitrage et des extraits

EDITIONS BUCHET-CHASTEL

En librairie le 03 octobre 2019

La Cause végane

Un nouvel intégrisme ?

Frédéric Denhez 

Préface du Docteur Laurent Chevallier

Postface de Marc-André Sélosse, professeur au MNHN 

 18 € – 240 pages

Relations presse :

Emmanuel AMAR 06 18 06 42 71 – amar.emmanuel@sfr.fr