Jeudi 15 février sort mon nouveau livre, chez Buchet-Chastel. Après l’Assiette est dans le Pré (paru en octobre 2017 chez Delachaux & Niestlé), je continue ma petite exploration de la bouffe. De ce qu’elle nous dit de la société. De sa force de persuasion politique. Manger, c’est voter, comme ne cesse de le revendiquer mon préfacier, Périco Legasse. C’est peut-être voter plus efficacement que de laisser tomber un bulletin dans une urne ! Manger est un acte social, car manger correctement, c’est demander à l’agriculture de travailler correctement. C’est lui donner plus d’argent, donc plus de forces face au gang à chemisette-rayures-cravate de la Grande distribution. Mais manger mieux, à tous les sens du terme, est-ce forcément manger bio ? Non ! Car le Bio est la cerise que l’on va chercher après qu’on a su se reconstituer le bon gâteau d’une hygiène de vie et d’une culture alimentaire riche et diversifiée. À quoi bon manger bio si c’est des plats tout préparés livrés par messagerie ou des tomates en hiver cueillies en Espagne par des semi-esclaves marocains ? À quoi bon manger bio si c’est pour donner des sous à Leclerc et, bientôt, Amazon ? Le bio est un humanisme, une philosophie naturaliste qui s’oppose au système agroalimentaire tel qu’il est aujourd’hui, et au fascisme naissant qu’est le véganisme. Mais le bio est fragile, travaillé qu’il est par des contradictions internes et les formidables pressions de l’industrie et de la Grande disitrbution qui, toujours, essaient de phagocyter ce qui les menace. La crise de croissance est bien là. Elle peut ouvrir l’avenir sur un nouvel équilibre, une ligne d’horizon attirante pour ces 20% d’agriculteurs qui sont déjà en train de changer de modèle ; ou être l’idiot utile du processus d’élimination de l’agriculture humaine et paysagère, au profit d’une moléculture hygiéniste, tracée, propre à destination de purs esprits urbains effrayés par le sang, le sol, les épluchures, le gras et la mort. Attention, danger… Voyage et rencontres en 128 pages.
Le Bio, non, La Bio, oui
(la préface et le préambule, pour vous donner envie)
Préface
Bio ? oui, mais bio…
Si la fin de l’humanité est déjà programmée par elle‐même, à grands renforts de croissance néolibérale, il est encore sur terre des fous furieux qui prétendent retarder ce processus en accordant une bribe d’espoir aux générations futures. L’espoir de ne pas laisser cette planète à leurs enfants dans l’état lamentable où ils l’auront trouvée. Quand la CoP 36 se tiendra sous abri antiatomique, la giboulée de mars ayant viré à l’ouragan ordinaire, et que les 10e états généraux de l’alimentation suggéreront la limitation du nombre de vaches d’une ferme moyenne à 10 000 têtes, nos gouvernants se diront que les affreux lanceurs d’alerte du début du XXIe siècle étaient optimistes dans leurs pires prédictions. Un tantinet plus lucide que les autres, doté d’un bon sens à peine enrichi par la rigueur de ses enquêtes, Frédéric Denhez est l’un de ces fous furieux. N’y allons pas par quatre chemins : l’ouvrage que vous avez entre les mains n’est pas le énième coup de gueule d’un indigné du bocage meurtri ou d’un révolté du gâchis alimentaire qui nous ruine, mais une interpellation légitime, un document fondateur dont la dimension politique dépasse de loin les promesses électorales du plus visionnaire des leaders écologistes.
Nous en sommes tous d’accord : à près de 7 milliards d’habitants, la maison commence à brûler ; à 10 milliards, les pompiers les plus valeureux n’y pourront plus rien si ce monde ne se repense pas. Il est pourtant un constat évident : si nous continuons à consommer de cette façon, la jolie boule bleue qui tourne en orbite autour du Soleil entre mars et Vénus ne pourra plus fournir. Cela fait plus de soixante‐dix ans que l’on ment à notre terre nourricière en lui faisant croire qu’elle est inépuisable. À force de l’exploiter, de la violer, de la pomper, de la bétonner, donc de la contourner, la cave se rebiffe. Lorsque apparut l’idée que l’on pouvait cultiver son jardin en fonction de ses justes besoins, selon ce que permet la nature, en créant une équation solidaire entre l’appétit humain et la fertilité des sols, d’aucuns admirent que cela méritait d’être érigé en éthique de vie. « La terre à ceux qui la travaillent », clamaient les premiers libertaires. Certes. elle est désormais à ceux qui la respectent. Lorsque Raoul Lemaire et Albert Howard, puis Hans et Maria Müller, comprirent l’urgence d’une méthode de production préservant la santé des sols, des écosystèmes et des personnes, on crut qu’une alternative à la détérioration de l’environnement par le productivisme agrochimique était enfin trouvée. Cette lueur a provoqué un séisme, éclairant les consciences, bouleversant la donne, suscitant des passions dignes des plus véhéments débats philosophiques, mais lorsque l’on observe posément ce que le bio est en train de devenir, on frémit d’effroi. Si l’Inquisition n’est pas inscrite dans les évangiles, ni le goulag dans Le Capital de Karl Marx, il faut croire que les concepteurs du projet biologique n’avaient pas prévu que les trois lettres qui devaient sauver le monde, sans être aussi dévoyées que purent l’être les deux messages que je viens de citer, ne suffiraient pas à pérenniser la biodiversité planétaire par leur seule apposition sur un pot de yaourt ou un paquet de carottes.
Depuis le label Demeter de 1927, aussi pur que l’était un chrétien des Catacombes, une église s’est emparée de la bonne nouvelle, avec son clergé et sa liturgie, oubliant qu’il ne suffit pas d’aller à la messe tous les dimanches et d’assurer le denier du culte pour aimer son prochain comme soi‐même. Que nous dit Frédéric Denhez ? Que le bio est une foi, pas un dogme ; un comportement, pas une posture ; un sentiment, pas une sensation ; une résolution, pas une stratégie. Le bio a ses tartuffes et ses pharisiens, ses collabos et ses intégristes. Pire encore, comme la laïcité, ses détracteurs veulent l’adapter aux enjeux moins‐disants du moment pour mieux détruire ce qu’il doit protéger.
renvoyant dos à dos les organismes professionnels et les associations militantes dont les membres, aussi sincère et respectable que soit leur engagement, ne semblent pas avoir bien saisi l’immensité du défi, l’auteur tient le seul discours qui vaille à l’heure de la vérité : ou l’idéal agroécologique devient une façon d’être et de penser, ou il se verra vider de son sens.
Voici, parmi d’autres considérations pertinentes, ce qu’il faut retenir de ce courageux décryptage de la réalité du bio. L’analyse est sévère et le verdict sans concession, en effet, mais c’est à ce prix que l’on pourra empêcher la malbouffe financiarisée et le marché qui la régule de dévoyer notre seule espérance de survie. Une façon de dire «non» à une dérive, qui dit «oui» à la redéfinition d’une pédagogie salutaire.
Faisant l’autre jour mes courses dans la supérette organique où je me fournis quotidiennement, je tombai, à l’enseigne d’une marque durable reconnue, sur un camembert bio… au lait pasteurisé. Lisant l’ubuesque étiquette, je me disais que Frédéric Denhez n’a peut‐être pas tort. Espérons seulement qu’il n’ait pas totalement raison.
Périco Légasse, rédacteur en chef à Marianne
Préambule
Il y a des préfixes qui se libèrent. Ils s’émancipent, s’échappent et s’accolent où ils veulent. Ils ont le pouvoir. Ils n’ont plus besoin de mots pour exister. Ils sont leur propre définition. « éco » avait ouvert le bal, « bio » a suivi. aujourd’hui tout est éco, et tout est bio. Dire « bio » suffit à dire que c’est bien. en fait, c’est synonyme. C’est un brevet, une onction, le saint chrême, c’est donc douteux. Même le psy le moins perspicace sait que l’excès cache souvent le vide, qu’il est un cri de détresse plutôt qu’une revendication. Intéressez‐vous à moi ! Alors, tout est bio, mais aussi équitable, durable, responsable, solidaire et collaboratif, évidemment. achetez‐moi ! Et ne regardez pas trop l’étiquette. assurément, c’est louche. Car si tout est bio, c’est que rien ne l’est !
Devenu objet de marketing, le bio est un élixir qui change tout en vert, tout est question de dosage. Employé à tort et à travers, il peut aussi se ridiculiser. Bio, c’est bien, c’est moderne, mais cela peut tout aussi bien évoquer le passé, le passéisme, la nostalgie, le monde d’avant et le repli sur soi. Un excès, dans l’autre sens. Le même psy peu lucide verrait le même écran placé face à la réalité, la même image, projetée par ceux qui plaquent sur le bio ce qu’ils n’assument pas, rêves ou cauchemars. Une stratégie de défense qui en dit long sur le tumulte de la société.
Le bio dérange. Il cristallise plein de choses. Il est là, superbe, totémique, parce que nous sommes dans un entre‐deux. Mais qu’est‐il vraiment ? Une belle philosophie, qui peut tout autant illuminer l’avenir qu’être réduit à un rayon vert. Le bio est ce que nous en ferons. Attention, danger…
Le livre sur le site de l’éditeur : ici.
Un extrait téléchargeable : là.
Éditrice : Christelle Fontaine
Attaché de presse : Emmanuel Amar (06 18 06 42 71)
Date de parution : 15/02/2018
Format : 13 x 20,5 cm, 128 p., 12,00 EUR €
ISBN 978-2-283-03114-8